les parents et la délinquance des mineurs


article de la rubrique Big Brother > loi de “prévention” de la délinquance
date de publication : vendredi 8 février 2008
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L’idée de “responsabilisation des parents” s’est-elle traduite par une véritable prévention de la délinquance ?


par Anne Chemin, Le Monde, 6 février 2008

En quelques années, la "responsabilisation des parents" est devenue l’une des idées en vogue du débat sur la délinquance des mineurs.
Le mot a rythmé les controverses autour de la loi sur la prévention de la délinquance de 2007 et il a hanté les propos de la campagne présidentielle : face à la croissance des incivilités, la responsabilisation des parents constituerait une réponse pragmatique et efficace. « L’objectif de ces politiques est d’appuyer mais aussi de contrôler les familles à risques, ont résumé Marine Boisson et Laetitia Delannoy, chargées de mission au Centre d’analyse stratégique (CAS), lors d’un colloque organisé le 21 janvier à Paris. Avec ces programmes, l’Etat cherche à faire des familles des coproducteurs de la sécurité. »

Née dans les années 1980, cette idée a rapidement fait le tour du monde. Aujourd’hui, elle inspire à la fois la loi galloise sur les « parenting orders », qui, sous peine d’amende, obligent les parents à suivre un stage parental, et les « family group conferences » néo-zélandaises, qui instaurent des rencontres entre la victime, le délinquant et leurs parents avant le prononcé de la sanction. Ces politiques s’appuient sur une conviction : la famille étant le premier lieu de sociabilisation des enfants, les défaillances parentales doivent être corrigées, au besoin sous contrainte, afin de mettre la société à l’abri du désordre.

La "responsabilisation" a ses mots-clés : démission parentale, rationnalisation de la dépense publique, coproduction de la sécurité, gestion des familles à risques. Elle a aussi une histoire : son acte de naissance symbolique est une loi californienne de 1988 qui crée, pour les parents, un « devoir d’exercer raisonnablement la prise en charge, la supervision, la protection et le contrôle » de leurs enfants. Depuis, cette idée a essaimé dans le monde anglo-saxon, l’Europe et les organisations internationales. En 2003, le Conseil de l’Europe a ainsi estimé qu’il « conviendrait d’encourager les parents à prendre conscience de leurs responsabilités envers le comportement délictueux des jeunes enfants et à les assumer ».

Le mot recouvre en réalité des pratiques très différentes. Le soutien à la parentalité en constitue la version la plus souple : en France, les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, créés en 1999, tentent, sur la base du volontariat, de favoriser le dialogue au sein des familles en difficulté. Groupes de parole, journées de rencontres, médiation, ateliers thérapeutiques : le but n’est pas de renforcer les « compétences » parentales ou de faire respecter sous contrainte une liste d’obligations, mais de sortir les familles en difficulté de l’isolement et de restaurer avec le temps le dialogue entre les générations.

En Grande-Bretagne, la responsabilisation renvoie en revanche à un système où la famille est placée en situation d’accusée : depuis 1998, les « parenting orders » obligent les parents d’enfants délinquants à participer pendant trois mois à des séances visant à développer leurs « parental skills » (compétences parentales). Ils doivent également, sous peine d’amende, faire respecter à leurs enfants des obligations comme l’assiduité scolaire ou l’interdiction de sortir le soir. Dans les faits, ces politiques visent pour l’essentiel des mères isolées en situation de précarité.

Aux Etats-Unis, la responsabilisation des parents a pris le visage plus répressif de la pénalisation. Dans certains Etats, le non-respect de l’obligation scolaire peut ainsi valoir des poursuites judiciaires aux parents. Quant à la pratique du couvre-feu, qui était en vogue à la fin du XIXe siècle, elle a retrouvé une nouvelle jeunesse : dans les années 1990, des centaines de villes ont imposé aux adolescents des interdictions de sortie à certaines heures. Lorsqu’ils ne les respectent pas, leurs parents, qui encourent jusqu’à 1 000 dollars d’amende, peuvent être poursuivis.

Au colloque du CAS, la plupart des spécialistes ont souligné que ces politiques n’avaient sans doute qu’une très faible incidence sur la prévention de la délinquance. « Les “parental orders”, qui ont concerné 1 200 parents, en Angleterre, depuis 2003, n’auront probablement pas d’impact sur le comportement des enfants à long terme, reconnaissait Tony Munton, le directeur du département de la justice criminelle du ministère de la justice britannique. Les parents que l’on a obligés à entrer dans ce système le vivent comme une punition. Or c’est plutôt d’aide qu’ils ont besoin. » « La responsabilisation est une fausse bonne idée » , concluait le sénateur (PS) de Loire-Atlantique, Charles Gautier.

Convertie tardivement aux mérites de cette idée, la France s’est, elle aussi, engagée dans des politiques de responsabilisation sous contrainte. Depuis 2006, le contrat de responsabilité parentale permet ainsi au président du conseil général d’imposer aux parents « défaillants » une liste d’obligations sous peine de suspension des allocations familiales. Quant à la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance, elle crée des conseils des droits et des devoirs des familles dans les mairies et inscrit dans les textes les « stages de responsabilité parentale » mis en place par certains procureurs.

Ces nouveaux outils ont donné lieu à des débats politiques enflammés... mais ils sont restés lettre morte. « Les contrats se comptent à peine sur les doigts des deux mains et on ne recense aucune suspension d’allocations depuis 2004, constatait lors du colloque Aymeric de Chalup, le responsable des prestations familiales de la Caisse nationale des allocations familiales. La contrainte ne nous paraît pas une solution très efficace : nous préférons les dispositifs qui s’appuient sur le volontariat. » Les stages de responsabilité parentale n’ont pas remporté plus de succès. « A ma connaissance, ils n’ont quasiment jamais été mis en place par les parquets », soulignait François Sottet, le chef du parquet des mineurs de Paris.

En réalité, les politiques de responsabilisation souffrent souvent d’une conception un peu mécaniste de la parentalité, comme s’il suffisait de remplir une liste d’obligations pour devenir un "bon parent". « Elles sont à la fois infantilisantes et stigmatisantes pour les parents », résumait le magistrat François Sottet. Leur succès est lié au fait qu’elles remplissent une fonction plus politique que pratique : durcir le discours sur les devoirs des parents. « Ces programmes sont essentiellement symboliques, concluait Elizabeth Burney, chercheuse senior associée de l’Institut de criminologie de Cambridge. Ils servent plus à afficher des valeurs qu’à prévenir réellement la délinquance. »

Anne Chemin

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