plan de prévention de la délinquance : retour du “secret professionnel partagé”


article de la rubrique Big Brother > loi de “prévention” de la délinquance
date de publication : jeudi 15 octobre 2009
version imprimable : imprimer


Le premier ministre a présenté le plan national de prévention de la délinquance, vendredi 2 octobre 2009, à Villeneuve-la-Garenne.
Ce plan, valable pour les trois années à venir, vise pour l’essentiel à relancer la loi du 5 mars 2007 et, en particulier, à surmonter les difficultés rencontrées par les maires pour organiser le « partage d’informations nominatives ».

Une approche axée sur le recours au « secret professionnel partagé » qui ne semble pas convaincre les maires, et dont l’approche exclusivement sécuritaire
 [1] irrite profondément les professionnels.

[Ajouté le 15 octobre 2009] – Le Plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes 2010-2012 est téléchargeable ici. Deux extraits de ce plan sont repris ci-dessous : l’un concerne l’« échange d’informations nominatives » avec les travailleurs sociaux, l’autre abordant la lutte contre l’absentéisme scolaire évoque une « application nationale informatisée [...] exploitée depuis octobre 2009 ».

[Mise en ligne le 12 octobre 2009, complétée le 15]



A l’issue d’un comité interministériel réunissant les ministres les plus concernés par le sujet
 [2], François Fillon a présenté, le 2 octobre 2009 à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes annoncé depuis plusieurs mois. Ce plan est supposé répondre à la demande du président de la République qui, en mai dernier, à l’occasion d’un long discours sécuritaire aux accents dramatiques, avait demandé au gouvernement de mettre en place une « stratégie globale interministérielle ». Il vient après le bilan très critique de l’application de cette loi par le Conseil national des villes.

D’une durée de trois ans et applicable dès le 1er janvier 2010, le nouveau plan consiste pour l’essentiel en un renforcement des dispositifs existant. Le premier ministre a parlé vidéo-protection, récidive des mineurs délinquants, sanctuarisation des locaux scolaires ... [3].

Le retour du “secret professionnel partagé”

Pour le premier ministre, « l’essentiel de la loi de 2007, c’est de faire du maire le pivot de l’action de la prévention contre la délinquance ». En créant le Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) présidé par le maire, cette loi a placé ce dernier au centre du dispositif. Mais, comme l’a déclaré François Fillon, en présentant son plan :

« La principale difficulté que rencontrent les maires, lorsqu’ils veulent mettre en œuvre une politique de prévention de la délinquance, concerne les échanges d’informations nominatives au sein des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
Ces échanges sont absolument nécessaires si on veut effectuer un suivi individuel de personnes dérivant vers la délinquance. La concertation et la confiance en amont sont les clés d’un suivi efficace des signalements qui sont effectués.

« Nous avons donc décidé de mieux définir la notion de “secret professionnel partagé” et de travailler à ce qu’elle soit acceptée à la fois par les travailleurs sociaux, par les enseignants et par les forces de l’ordre.
Mais pour que cette circulation du secret professionnel soit possible, il faut absolument que règne entre ces acteurs la confiance.

« Et donc pour organiser collectivement la prévention de la délinquance autour du maire, nous avons décidé que serait mise en place une charte déontologique, en liaison avec le Conseil supérieur du travail social. »

Selon Pierre Cardo, premier vice-président de l’Association des maires ville et banlieue
de France [4], il n’est pas certain que cette charte déontologique facilite l’échange d’informations entre le maire et les travailleurs sociaux.

Pierre Cardo : « Les maires ne sont pas des pères Fouettard »

[Actualités sociales hebdomadaires, N° 2627, 9 octobre 2009]


  • Selon le Conseil national des villes, la loi sur la prévention de la délinquance aurait engendré une « défiance » à l’égard des maires...

La loi a souhaité faire du maire le chef d’orchestre de la prévention de la délinquance, ce que je demandais depuis longtemps. Je ne crois pas qu’elle ait instauré une « défiance » à son égard. Elle existait déjà, tant du côté des travailleurs sociaux à l’égard des élus que l’inverse.
Ce que l’on peut comprendre : certains maires considèrent qu’ils doivent tout savoir et certains travailleurs sociaux oublient que les édiles ont un devoir de réserve et qu’ils sont aussi au service des usagers. Pour ma part, j’ai toujours défendu l’idée que le maire ne devait pas avoir de pouvoir répressif, mais qu’il devait être le trait d’union entre les acteurs de la répression et ceux de la prévention. Ce qui suppose qu’il obtienne la confiance des acteurs de la ville et qu’il soit destinataire d’un certain nombre d’informations.

  • Même « nominatives » ?

Nous avons besoin d’informations nominatives sur les usagers, de temps en temps. Bien souvent les travailleurs sociaux ne résident pas dans la commune. Nous oui, et nous sommes souvent interpellés par des jeunes, qui ne vont pas forcément nous dire s’ils font ou non l’objet d’un suivi social. Or nous avons besoin de le savoir pour éviter d’engager des actions qui iraient à l’inverse de celles déjà mises en oeuvre. Les travailleurs sociaux ne peuvent pas toujours brandir l’anonymat de l’information. Nous n’avons pas besoin de connaître toute l’histoire d’un jeune, mais de savoir s’il fait l’objet d’une prise en charge. Voire s’il a été parfois violent pour en tenir compte dans les mesures qui pourraient être prises.

Il ne s’agit pas pour les travailleurs sociaux de tout partager, mais de s’interroger : en l’espèce, quel est l’intérêt de l’usager ? De se taire ou de communiquer telle information ? Par ailleurs, beaucoup de personnes se confient plus facilement au maire qu’aux travailleurs sociaux, dont elles se méfient. Il faut donc que nous puissions partager certaines informations. Les jeunes savent jouer avec nos failles.

  • Afin de faciliter l’échange d’informations au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), il est proposé d’élaborer une charte déontologique. Une bonne idée ?

Tout d’abord, ces conseils assez institutionnels, où l’on définit surtout les axes stratégiques, ne sont pas le lieu où l’on échange des informations nominatives sur les usagers. Ce type d’échange se fait davantage au sein de comités plus restreints (cellule de veille, réunions informelles...), où les acteurs se connaissent. Maintenant, je ne suis pas sûr qu’une charte déontologique améliore les choses. Il faudrait déjà qu’on explique aux travailleurs dans le cadre de leur formation initiale, à quoi sert l’élu !

  • Le gouvernement veut inciter les maires à créer des conseils des droits et devoirs des familles...

Je préfère recevoir directement les familles en difficulté, qui sont souvent désorientées, et échanger avec elles. Je me méfie, surtout dans le climat actuel, de ce qui pourrait apparaître comme un tribunal des familles. Surtout, je suis opposé à ce qu’un tel conseil puisse demander au juge des enfants une mise sous tutelle des allocations familiales. Ce n’est pas aux maires de la proposer, ils ne sont pas des pères Fouettard. Même si cela ne m’empêche pas, si cela semble nécessaire, de saisir le conseil général, qui dispose de moyens supplémentaires comme le « contrat de responsabilité parentale ».

  • Que pensez-vous du doublement des moyens pour la vidéosurveillance ?

Pendant 25 ans, j’y ai été hostile, mais avec la baisse des effectifs de police, il est nécessaire de protéger certains établissements. J’explique aux jeunes : « Vous dites que les flics vous agressent et les flics disent que vous les provoquez. Au moins, on pourra regarder la bande et vérifier qui a raison. »

Propos recueillis par Isabelle Sarazin


Les mesures annoncées par le premier ministre n’abordent la dimension du travail social que sous l’angle du partage des informations nominatives au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. D’où l’exaspération des professionnels.

Prévention de la délinquance : l’approche exclusivement sécuritaire irrite

par Isabelle Sarazin, Actualités sociales hebdomadaires, N° 2627, 9 octobre 2009


« Rien de nouveau par rapport au plan précédent. Le gouvernement persiste dans son approche sécuritaire », réagit l’ANAS (Association nationale des assistants de service social) après l’annonce par François Fillon du plan de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes. « Ce n’est qu’un chapelet de dispositions entièrement dévolues au contrôle social et à la surveillance généralisée : vidéosurveillance, sanctuarisation des établissements scolaires et délation », résume le Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUAS-FP)-FSU.

« Cela ne marche pas »

Il faut dire qu’en revenant à nouveau sur le partage de l’information nominative, le gouvernement ne pouvait qu’irriter les professionnels. D’autant que le Conseil national des villes (CNV) avait dressé un bilan très critique de l’application de la loi du 5 mars 2007, relevant qu’en voulant faciliter l’échange d’informations sociales confidentielles, elle avait mis les élus en porte-à-faux et renforcé la méfiance à leur égard. « On a donc bien vu que cela ne marche pas, juge Françoise Léglise, présidente de l’ANAS. Il faut arrêter de croire que les travailleurs sociaux auraient des informations que n’auraient pas les policiers. S’il y a un problème, rien n’empêche le maire de convoquer l’usager ! »

La ligne de l’association est claire : le travailleur social peut dire si telle famille fait l’objet d’une mesure, mais pas au-delà, et surtout pas donner des informations personnelles que celle-ci lui aurait confiées. Dans la réalité, explique-t-elle, bon nombre d’administrations rechignent à envoyer des travailleurs sociaux au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance pour éviter toute confusion sur le rôle et la place de chacun. Ce sont les responsables de service, qui ne sont pas au contact direct des familles, qui y participent et font le lien avec les professionnels, « ce qui ne pose généralement pas de problème », souligne l’ANAS. Elle juge, en outre, pernicieuse l’idée d’élaborer une charte déontologique avec le Conseil supérieur du travail social (CSTS) « pour le partage de l’information nominative dans le respect du secret professionnel ». « C’est un label visant finalement à dégager les professionnels du secret professionnel, qui semble ennuyer tout le monde », commente Françoise Léglise. « L’ajout d’une charte supplémentaire viendrait apporter plus de confusion », renchérit l’Unasea (Union nationale des associations de sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes). Du côté du CSTS, si on est plutôt satisfait de voir reconnu celui-ci comme une instance ressources sur la déontologie, on se montre pourtant inquiet sur le risque d’instrumentalisation du travail social à des fins sécuritaires. Quant à l’idée de constituer une équipe pluridisciplinaire, composée notamment de travailleurs sociaux, de policiers et de personnels éducatifs, qui aidera, à sa demande, le maire à mettre en place le partage de l’information nominative, elle revient « à mettre à la disposition des municipalités les professionnels, qui deviennent ainsi de simples "sous-traitants" », estime l’ANAS. « Qui seront ces professionnels ? Quel lien hiérarchique avec le maire ? », s’interroge, dans le même sens, l’Unasea.

L’irritation des professionnels est d’autant plus compréhensible que le gouvernement n’évoque le travail social que sous la focale du partage d’informations. Ce qui revient à « nier » le travail de prévention des intervenants « qui cherchent par leur action à insérer socialement et scolairement les jeunes », estime le SNUAS-FPFSU. Et alors que « les moyens des politiques publiques de prévention sont devenus dérisoires ».

Le plan, par ailleurs, ne facilite guère le développement de relations de confiance entre le maire et les acteurs sociaux, ou les usagers. Il donne ainsi à l’élu municipal « une mission formelle » de rappel à l’ordre et propose à cette fin qu’une convention soit signée dans chaque département. « Comment se feront les rappels à l’ordre : par convocation du maire ? en présence des parents ? Quelle sanction en cas de non-respect ? Cela constituera-t-il un premier échelon dans l’évaluation d’une délinquance potentielle ? », questionne l’Unasea. De même, en incitant les maires à mettre en place des conseils des droits et devoirs des familles – des instances déjà critiquées par le CNV en raison des « risques de confusion entre les autorités » –, on instaure « une forme de surveillance pénale des familles précaires », réagit Claude Bartolone, président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis. Lequel réunissait, le 2 octobre les élus de droite et de gauche du département pour tirer la sonnette d’alarme sur la montée de l’insécurité.

Des oublis

A ces orientations sécuritaires s’ajoutent plusieurs oublis pointés par l’Unasea. Le secteur associatif habilité, « pourtant acteur de la justice des mineurs », n’est ainsi pas mentionné dans l’instance de coordination (qui réunit le juge des enfants, le parquet et les services de protection judiciaire de la jeunesse) instituée par le plan auprès de chaque tribunal pour enfants. Par ailleurs, la généralisation du contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) en faveur des jeunes sous main de justice, expérimenté dans sept départements par les missions locales, n’est pas suffisant pour lutter contre la récidive. « Les questions de logement, de la santé et de la vie sociale » sont également à prendre en compte.

Enfin le financement de ces mesures (par le fonds interministériel de prévention de la délinquance, les crédits de la politique de la ville et de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) pose question, alors que le gouvernement refuse de mettre en place le fonds national de financement de protection de l’enfance.

Isabelle Sarazin


P.-S.


[Ajouté le 15 octobre 2009] – Extraits du Plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes 2010-2012.

Mieux faire travailler autour du maire les travailleurs sociaux pour favoriser l’échange d’informations nominatives (page 24)

La mise en oeuvre par les intervenants sociaux relevant des conseils généraux de l’échange d’information nominative dans le respect du secret professionnel doit être réalisée conformément aux règles juridiques et déontologiques.

A cette fin, la diffusion de la circulaire du 9 mai 2007 relative à l’application des articles 8 à 10 de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 sera réitérée afin de permettre son accessibilité sur le site des
ministères en charge des affaires sociales ; elle est en effet de nature à clarifier certaines dispositions de la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance, à assurer une meilleure articulation entre cette loi et celle sur la protection de l’enfance et de rassurer les travailleurs sociaux sur les règles déontologiques et les pratiques professionnelles auxquelles ils sont attachés.

Enfin, une charte déontologique type est élaborée en liaison avec le conseil supérieur du travail social au sujet du partage de l’information nominative dans le respect du secret professionnel.

Cette charte type est déclinée par les acteurs locaux au niveau de chaque département.

Mesures :

  • 22 - Elaborer, en liaison avec le conseil supérieur du travail social, une charte déontologique type pour le partage de l’information nominative dans le respect du secret professionnel
  • 23 - Décliner cette charte type au niveau départemental.
  • 24 - Constituer, au plan national, une équipe pluridisciplinaire de soutien et d’appui aux maires : animée
    par le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance, cette équipe intervient sur l’ensemble du territoire national pour conseiller les maires dans la mise en place du
    partage de l’information nominative dans le respect du secret professionnel.

_________________

La lutte contre l’absentéisme scolaire (page 29)

La lutte contre l’absentéisme scolaire constitue une priorité.
L’assiduité s’impose à tous et constitue la condition première de la réussite et de l’insertion.

Au-delà des actions présentées dans la circulaire interministérielle du 18 décembre 2008 relative à la mise en oeuvre des décisions du comité
interministériel des villes du 20 juin 2008, le ministère de l’éducation
nationale met en place trois dispositifs qui doivent être soutenus, suivis et évalués :

  • a) Les médiateurs de réussite scolaire
    Les 3 000 médiateurs de réussite scolaire déjà recrutés feront l’objet
    d’une évaluation en
    septembre 2010. Sur la base de cette évaluation, leur nombre sera porté
    à 5 000 pour la rentrée 2011
    (une fiche technique est jointe en annexe).
  • b) Application nationale informatisée
    Pour permettre aux établissements scolaires de mieux repérer et de
    suivre les élèves déscolarisés, une application nationale informatisée est exploitée depuis octobre 2009.
  • c) Echange d’information
    Conformément aux dispositions de l’article 12 de la loi du 5 mars 2007,
    les maires sont destinataires des signalements relatifs à l’absentéisme. Une circulaire du ministère l’éducation nationale rappellera aux responsables concernés les modalités de transmission de ces informations.

Notes

[1Les ministres de l’Intérieur et de l’Education ont inauguré, le 5 octobre à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), la première « équipe mobile de sécurité » (EMS), composée de dix personnes dont cinq « spécialistes » de la sécurité et cinq personnels de l’Education nationale. Rappelons que la mission des EMS est double : prévenir la violence en dénouant les tensions et intervenir en cas d’incidents dans un établissement à la demande du proviseur. Brice Hortefeux et Luc Chatel ont tenu à préciser que les membres des équipes mobiles de sécurité sont des contractuels de l’Education nationale et non des policiers. Quelque 500 personnes devraient être recrutées d’ici à la fin de l’année par les rectorats pour intégrer les EMS.

[2Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Luc Chatel, respectivement ministres de la Justice, de l’Intérieur, du Travail et de l’Éducation nationale, ainsi que Fadela Amara, Rama Yade et Nadine Morano, secrétaires d’État chargées respectivement de la politique de la ville, des sports et de la famille.

[3La présentation du plan de prévention de la délinquance par François Fillon : http://www.blog-fillon.com/article-....

[4Pierre Cardo est député UMP des Yvelines, et conseiller municipal de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines).


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP