loi de prévention de la délinquance : l’escalade répressive


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date de publication : mercredi 30 août 2006
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Un projet conséquent (51 articles) a fini par être examiné en Conseil des ministres le 28 juin.
S’il touche à la fois au Code pénal, au Code de la famille, de l’éducation et de la santé, il concerne essentiellement la délinquance des mineurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il porte bien mal son nom : on cherchera en vain en quoi il concerne la prévention !

Cet article de Françoise Dumont, secrétaire générale adjointe de la LDH, a été publié dans le N° 135 (juillet - septembre 2006) de la revue Hommes et Libertés de la Ligue des droits de l’Homme [1].


Annoncée depuis longtemps, cette loi a longtemps eu quelque chose de l’Arlésienne : tout le monde en parlait, mais bien peu l’apercevaient. Notons au passage l’exploit démocratique du ministre de l’Intérieur qui, en mai, avait réussi à présenter son projet devant la commission des lois, sans que les députés aient le texte. Certains d’entre eux avaient tout de même protesté. Le même scénario s’était ensuite répété lors du Conseil interministériel des villes. On reste vraiment sidéré devant tant de transparence, de concertation, sur un sujet dont certains voudraient faire le thème principal de la prochaine campagne électorale.

A en croire divers propos ministériels - qu’ils émanent d’ailleurs du ministère de l’Intérieur ou du ministère de la Justice - la justice serait trop « laxiste » à l’égard des jeunes, ce qui développerait chez eux un véritable sentiment d’impunité. Pour illustrer cette irrésistible montée de la délinquance des mineurs et justifier une nouvelle vague de mesures répressives, Pascal Clément, par exemple, s’appuie sur le nombre des mineurs « mis en cause » par les services de la police : entre 2004 et 2005, et sur le fait qu’ effectivement, on note une augmentation de 4,8 %.

Le problème, c’est qu’une fois de plus, ces chiffres doivent être rapprochés d’autres données consultables sur le site internet du ministère de la Justice. On y découvre notamment que, si le nombre des mineurs « mis en cause » a effectivement augmenté entre 1999 et 2003, leur proportion parmi l’ensemble des « mis en cause » à l’échelon national et toutes tranches d’âge confondues, est en recul constant sur la même période. N’en déplaise au pourfendeur de racaille, dont l’efficacité en terme de lutte contre l’insécurité est loin d’être démontrée, la délinquance des mineurs n’évolue donc pas plus vite que la délinquance des « majeurs ». C’est une aberration d’analyser l’une en dehors de l’autre.

L’arsenal répressif est déjà très conséquent

Ajoutons au passage, que « mis en cause » ne signifie pas forcément coupable. En octobre et novembre dernier, des centaines de jeunes ont été déférés au parquet de Bobigny mais près d’un tiers ne furent même pas mis en examen, faute d’éléments suffisants ! Rappelons aussi qu’après ces émeutes urbaines, le ministre de l’Intérieur n’a pas hésité à aligner plusieurs mensonges qui lui ont valu quelques échanges peu cordiaux avec Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, le Syndicat de la magistrature ou l’Union syndicale des magistrats. Ainsi a-t-il prétendu, par exemple, que les trois adolescents impliqués dans l’incendie d’un bus à Sevran avaient été laissés en liberté alors même que ces derniers avaient aussitôt été placés en détention provisoire et qu’ils y étaient encore en juin. On pourrait citer d’autres exemples de contre-information.

Quant au prétendu « laxisme » de la justice, antienne qui nourrit l’idéologie sécuritaire, il est lui aussi démenti par les chiffres de la chancellerie. Le taux de réponse pénale concernant les infractions commises par des mineurs est bien plus important que celui relatif aux infractions commises par des majeurs. Ainsi en 2005, 84% des affaires dont les auteurs de moins de 18 ans ont été identifiés, ont reçu une suite pénale, contre 77% pour les adultes.

Face à certains mineurs en perte totale de repères, il ne saurait être question de nier ni la nécessité du rappel de la règle et de la loi, ni la nécessité de sanction dans certains cas. Mais le but d’une nouvelle loi est généralement de créer de « nouveaux outils ». En matière de délinquance des mineurs, était-ce vraiment nécessaire ?

Dans ce domaine, l’ordonnance de 1945 est le texte fondateur. Elaboré à la demande de résistants français qui avaient découvert en prison, l’horreur des bagnes pour enfants, il régit la responsabilité pénale des mineurs, en posant comme principe la primauté des réponses éducatives sur l’enfermement. Il s’agit d’une philosophie humaniste, progressiste, qui n’exclut ni la sanction ni la possibilité d’une détention. Ce texte dont on nous répète à l’envi qu’il est obsolète a par ailleurs déià connu près d’une trentaine de réécritures partielles pour la « moderniser ». Depuis une quinzaine d’années, ces modifications entraînent une immixtion toujours plus grande du droit pénal des majeurs, plus répressif, dans celui des mineurs.

Par ailleurs, la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (loi Perben I) a marqué elle aussi une augmentation sensible de la réponse pénale à la délinquance des mineurs.

En résumé, elle a assoupli les conditions de la retenue judiciaire des 10-13 ans et a instauré à leur endroit des « sanctions éducatives ». Elle a rendu possible le placement sous contrôle judiciaire et en détention provisoire des mineurs de 13-16 ans, ainsi que les « jugements à délai rapproché » pour les multirécidivistes.

Enfin, cette loi a créé les centres éducatifs fermés pour les jeunes âgés de 13 à 18 ans, établissements dont la mise en place est extrêmement coûteuse (800 euros par jour et par jeune). Quatre ans après la création de ces centres, les résultats sont très peu concluants et on constate que les crédits (et les personnels) mis à la disposition de la protection judiciaire de la jeunesse sont de plus en plus consacrés au carcéral au détriment de l’éducatif.

Le premier de ces rapports, celui de Jacques Alain Bénisti, député UMP du Val-de-Marne a été remis à M. de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, en 2004. Ce texte est émaillé d’affirmations qui, à force de vouloir coller à une certaine idée du bon sens populaire, font froid dans le dos.

Ce projet est justifié par des rapports pseudo-scientifiques

On y trouve notamment une courbe pseudo scientifique, montrant comment, à partir de l’âge de 1 an, un jeune peut s’enfoncer inexorablement dans la délinquance, surtout si, chez lui, on parle le « patois » du pays d’origine. Le bilinguisme, perçu souvent comme une richesse, y est clairement désigné comme un indice de future déviance. Tous les ingrédients de la stigmatisation et de la criminalisation des populations dites « issues de l’immigration » étaient déjà réunis dans ce texte.

Plus nuancé, le rapport de Marie-Thérèse Hermange, sénatrice de Paris, ne renonce ni au secret partagé, ni à l’instauration étroite d’une collaboration des travailleurs sociaux. Il évoque le rôle prépondérant du maire, la rationalisation des fichiers informatiques, la vidéo surveillance. Il réitère les préconisations sur le renforcement du contrôle des familles et la mise en oeuvre d’interventions précoces, le mineur en difficulté étant défini comme un futur délinquant. Si ce rapport a le courage d’aborder des problèmes graves comme l’exploitation des mineurs, l’inceste, l’excision ou le mariage forcé, il entretient malheureusement une confusion constante entre mineurs en danger et mineurs délinquants.

Le dernier rapport qu’il faut citer est celui rédigé par Arno Klarsfeld, conseiller de Nicolas Sarkozy. On y retrouve toutes les affirmations quant à la nécessité du dépistage précoce de la délinquance - l’avocat allant même jusqu’à citer des études faites aux Etats-Unis sur les mères enceintes - et sur la nécessite de sanctionner les parents d’enfants délinquants.

Que reste-t-il de tous ces rapports dans le texte présenté au Conseil des ministres ? Comme on s’y attendait, le maire devient le grand ordonnateur de la prévention de la délinquance. Déjà investi de quasi pouvoirs de procureur par la loi sur l’égalité des chance qui lui permet de proposer pour certaines infractions des peines d’intérêt général, le maire se voit confier des pouvoirs de contrôle dans de nombreux domaines de la vie de ses administrés : coordonnateur de l’action sociale, tuteur de la vie des familles, contrôleur de l’assiduité scolaire, responsable en première intention des placements d’office psychiatriques, juge des comportements antisociaux... Il présiderait le Conseil des « droits et devoirs des familles » et pourrait procéder à des rappels à l’ordre. Le cumul des pouvoirs confiés à une autorité particulièrement soumise aux pressions de l’environnement immédiat constituerait un danger pour les libertés individuelles.

Le projet lui-même mérite d’être étudié avec attention

Le projet met aussi à mal le droit des mineurs. L’instauration d’une peine d’initiation au travail dès 13 ans, après l’apprentissage dès 14 ans, remettrait un peu plus en cause l’interdiction de faire travailler un mineur avant 16 ans. La création d’une procédure de comparution quasi-immédiate pour les 16-18 ans signerait la fin de la spécificité de la justice des mineurs.

Projet de loi fourre-tout, celui-ci demande notamment aux travailleurs sociaux de renoncer au secret professionnel. Ce nouveau partenariat implique la mise en commun d’informations nominatives, non seulement sur les délinquants, mais aussi sur les populations considérées comme « à risque », soit les enfants, jeunes ou familles rencontrant des difficultés matérielles, éducatives ou sociales. Sur la base de ces critères particulièrement larges et flous, ces personnes seront donc signalées au maire, c’est-à-dire à un politique, qui, à partir de là, constituera un fichier informatisé.

Sur le terrain, un certain nombre de maires, y compris des maires UMP, ont très vite refusé de jouer un tel rôle, que certains qualifient de rôle de « sherif ». Mais en même temps, d’autres n’ont même pas
attendu l’élaboration d’une telle loi pour mettre en place des dispositifs de veille ou de suivi d’un nouveau genre. Parmi les communes « innovantes », citons : Vitry-le-François, Orléans, Chambéry, Tarbes et potentiellement, les 24 sites pilotes désignés pour conduire les expérimentations en matière de sécurité.

Cette remise en cause à peine déguisée du secret professionnel a déjà suscité de vives réactions des travailleurs sociaux, notamment dans le cadre du CNU (Collectif national unitaire anti-délation), dont la LDH fait partie. Pour tous, il y a, à travers cette mesure, une remise en cause profonde de la nature même de leur travail qui repose sur une relation de confiance.

Par ailleurs, ce projet porte en lui un changement fondamental, quant à l’objectif visé par cet échange d’informations. Que veut-on repérer exactement ? Des problèmes sociaux, des situations créatrices de précarité et de marginalisation qui produisent éventuellement des comportements déviants ? Apparemment non, car avec ce projet de loi, on vise essentiellement à désigner des personnes. On ne chercherait donc plus à communiquer, à réfléchir sur les causes de la délinquance et de l’insécurité, mais plus simplement à identifier les fauteurs de troubles, à prévenir un risque pour protéger les victimes réelles ou potentielles de l’insécurité.

Le débat sur la délinquance juvénile se focalise beaucoup autour de la notion de « prévention ». Tout se passe comme si, à force d’entendre les discours catastrophistes que martèlent les médias et beaucoup de responsables politiques de tous bords, l’idée même de prévention devenait inconvenante. Au moment où le discours ambiant voudrait faire croire que la prévention a fait la preuve de son inefficacité, la défendre nécessite un véritable état des lieux de ce qui a réellement été fait dans ce domaine. Avec quels moyens ? Avec quels personnels ? Quel délai d’attente, par exemple, pour la mise en place effective de mesures éducatives ? Quelles possibilités d’insertion professionnelle pour les jeunes concernés ? Comment l’école contribue-t-elle à prévenir la violence ? Etc...

Peut-être est-il même nécessaire de relancer une réflexion générale sur la prévention et la protection de l’enfance, de réfléchir de nouveau à ses fondements intellectuels et moraux, d’évaluer nos connaissances dans ce domaine, de regarder en face, au-delà des sensibilités corporatistes, les éventuels dysfonctionnements institutionnels. Il faut que sur ce sujet, cessent les discours de ceux qui semblent revenus de tout - notamment de la prévention - sans jamais y être allés.

La délinquance des mineurs : des réponses nécessairement diverses

Il est par ailleurs révélateur que dans tous les rapports qui ont préparé cette future loi, on n’évoque jamais l’insécurité sociale comme facteur explicatif de la déviance et de la délinquance. Il est vrai que dans la présentation de son rapport devant la commission des lois, le ministre de l’Intérieur avait vigoureusement rejeté tout recours à une telle démarche. Recherchant une nouvelle fois la formule « choc », il avait alors fustigé tous ceux qui « à force d’expliquer l’inexplicable en étaient venus à excuser l’inexcusable ». Peut-on vraiment passer sous silence tous les processus de marginalisation et de paupérisation de populations soumises à la ségrégation urbaine ? Tout ce discours sur la responsabilisation des parents devient, en fait, une culpabilisation de certains parents et de certains jeunes désignés à la vigilance locale. Or, ce sont bien les conditions sociales dans lesquelles vivent les personnes qui permettent de comprendre la délinquance et non l’origine desdits délinquants. On ne construit pas la sécurité, qui est un droit fondamental pour tous, sur de l’insécurité sociale. La stigmatisation en bloc, l’ethnicisation des questions de sécurité, si elles rassurent une partie de l’opinion, ne font qu’exacerber la violence et la tension qui pèsent sur les professionnels de la prévention comme sur les populations des quartiers dits sensibles. Elles ne constituent qu’une fuite en avant et gageons que si on reste dans cette même logique, on nous fera très vite le coup de la nécessité d’envisager encore une autre loi, encore plus répressive !

Françoise Dumont

Notes

[1Voici le sommaire de ce numéro 135 de la revue Hommes & Libertés.


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