le projet de loi sur la prévention de la délinquance adopté en première lecture par les députés


article de la rubrique Big Brother > loi de “prévention” de la délinquance
date de publication : jeudi 7 décembre 2006
version imprimable : imprimer


Nicolas Sarkozy a présenté son texte à l’ouverture des débats le 21 novembre, puis il n’est plus reparu dans l’hémicycle, laissant au ministre délégué à l’Aménagement du territoire Christian Estrosi le soin d’assurer sa suite.

Le texte a été adopté en première lecture, mardi 5 décembre, après un débat de près de 56 heures. Le projet repart pour une deuxième lecture au Sénat.


Un projet de loi ultrasensible devant un hémicycle désert

par Patrick Roger, Le Monde daté du 6 déc. 06

L’Assemblée nationale devait adopter en première lecture, mardi 5 décembre, le projet de loi sur la prévention de la délinquance présenté par Nicolas Sarkozy. Le scrutin public devrait faire apparaître une large majorité des voix de l’UMP en faveur de ce texte, et une opposition non moins soudée pour le rejeter. Et pourtant...

Voilà un texte qui, depuis plus d’un an, a donné lieu à de multiples réécritures et arbitrages. Qui a mené le gouvernement au bord de la crise de nerfs, le premier ministre et le garde des sceaux, d’un côté, le ministre de l’intérieur, de l’autre, ne cessant de se mettre respectivement des bâtons dans les roues. Qui a nourri l’inquiétude des maires, mobilisé contre lui les magistrats, mis dans la rue des milliers de travailleurs sociaux, suscité l’émoi des usagers et des professionnels de la psychiatrie... Pour qu’en séance, durant les neuf jours qu’aura nécessités l’examen du projet de loi au Palais-Bourbon, les effectifs présents excèdent rarement la dizaine !

Pour défendre son texte à la tribune, à l’ouverture de la discussion, M. Sarkozy avait appelé au "plus large rassemblement des républicains". Dans un même élan, ses partisans avaient salué debout son intervention. Les jours suivants, le ministre de l’intérieur, occupé à d’autres tâches, n’est plus revenu.

La majorité, elle, n’était pas plus présente, à tel point que, pour empêcher l’adoption d’un amendement de l’opposition, Yves Bur (UMP, Bas-Rhin), qui présidait une séance, dut prendre part au vote. Jeudi 30 novembre, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Henri Cuq, et le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, devaient battre le rappel pour que la discussion du texte puisse s’achever le lendemain avec un minimum de présents. Résultat : à peine quinze députés dans l’hémicycle au moment de voter ces dispositions sur les mineurs objets d’un interminable affrontement interministériel.

Le projet doit revenir en deuxième lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale. Chaque nouvel examen est l’occasion de l’"enrichir" de nouvelles dispositions. Nouvelles sanctions, souvent. Ou "cavaliers" permettant de glisser des mesures jugées urgentes mais sans rapport direct avec le texte, comme l’aménagement du permis à points. Dans l’indifférence quasi générale.

Patrick Roger

Les principaux points du projet de loi adopté par les députés

JUSTICE DES MINEURS. La procédure de "présentation immédiate" de mineurs délinquants devant les magistrats modifie l’ordonnance de 1945 sur l’enfance en remplaçant le "jugement à délai rapproché".

Le texte prévoit pour les mineurs :

- un placement pour un mois, hors du lieu de résidence, dans un établissement "permettant la mise en œuvre d’un travail psychologique, éducatif et social portant sur les faits commis" ;
- un placement en internat pour une année scolaire, avec "avertissement solennel" du tribunal ;
- une mesure "d’activité de jour" obligeant le mineur, pour un an maximum, à participer à "des activités d’insertion professionnelle ou scolaire" auprès d’organismes habilités ;
- un contrôle judiciaire avec placement en "centre éducatif fermé" (CEF) et "mise en œuvre de programmes à caractère éducatif et civique".

Pour les parents de mineurs délinquants est prévue la possibilité d’un stage de responsabilité parentale, que le procureur peut imposer aux parents négligeant leurs enfants. Nicolas Sarkozy souhaitait introduire la suppression de l’excuse de minorité – peine divisée en deux pour les mineurs de 16 à 18 ans – et les peines planchers pour les récidivistes. Devant l’opposition de Pascal Clément, ministre de la justice, et celle de Dominique de Villepin, il y a renoncé. Il a par la suite annoncé qu’il ferait appliquer "tout de suite" ces dispositions s’il est élu président. Un
compromis a finalement été trouvé pour le projet de loi. La possibilité
pour le juge de ne pas utiliser l’excuse de minorité en cas de récidive
ne sera plus présentée comme "exceptionnelle" et ne devra plus être motivée.

S’agissant des multirécidivistes, à défaut de peine plancher, il est prévu la
motivation expresse par les juges du choix de la peine prononcée.

NOUVELLES INFRACTIONS. De nouvelles infractions sont créées, principalement ajoutées par des amendements, dans un contexte sécuritaire tendu ; en présentant son texte, Nicolas Sarkozy avait par exemple dit le dédier à Mama Galledou, la passagère brûlée lors de l’attaque d’un bus à Marseille :

- violences avec usage ou menace d’une arme commises en bande organisée ou avec guet-apens sur un membre des forces de l’ordre, un pompier ou un agent de transport public ;
- embuscade dans le but de commettre à l’encontre d’un membre des forces de l’ordre des violences avec usage ou menace d’une arme ;
- détention ou transport sans motif de substances incendiaires ou explosives.

En matière de rébellion, les peines sont alourdies, passant de six mois à un an de prison.

RÔLE DU MAIRE. Le maire devient le "pivot" de la politique de prévention, dont il "coordonne la mise en œuvre" :

- le secret professionnel des acteurs sociaux pourra être "partagé" et le maire avoir accès à des informations confidentielles ;
- le maire peut saisir le juge des enfants pour mise sous tutelle des prestations familiales ;
- il peut effectuer un "rappel à l’ordre" à l’encontre d’un administré, y compris mineur, susceptible de troubler l’ordre public ;
- il peut "mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, relatives aux enfants en âge scolaire" ;
- dans les communes est créé un "conseil pour les droits et devoirs des familles" (CDDF) présidé par le maire.

SANTÉ MENTALE. Le volet santé mentale, très contesté par les professionnels, a fait l’objet d’une procédure parlementaire compliquée pour pouvoir être retiré ultérieurement du texte et réintroduit dans une ordonnance gouvernementale.

- Le maire peut prononcer, "par avis motivé au vu d’un certificat médical ou, en cas d’urgence, d’un avis médical, l’hospitalisation d’office" à charge pour lui "d’en référer dans les vingt-quatre heures" au préfet ;
- création d’un fichier de données administratives sur les hospitalisations d’office ;
- le maire est informé des sorties à l’essai des malades mentaux.

Par amendement, les députés ont décidé d’aggraver les peines pour les infractions "commises sous l’emprise manifeste d’un produit stupéfiant ou en état d’ivresse manifeste". L’Assemblée a par ailleurs donné son aval à "l’injonction thérapeutique" par le procureur de la République à l’égard des personnes ayant fait un usage illicite de stupéfiants.

AUTRES DISPOSITIONS. Le projet de loi sur la prévention de la délinquance inclut nombre de dispositions dont la place ne se
justifierait pas nécessairement dans un texte portant cet intitulé, ce qui a poussé certains députés à le qualifier de "texte fourre-tout" :

- modification des règles du permis à point : le dispositif prévoit que tout conducteur ayant perdu un point pourra le récupérer au bout d’un an, et non au bout de trois comme c’est le cas actuellement ;
- la législation sur les chiens dangereux est durcie : la détention de chiens de première et deuxième catégorie est subordonnée à l’obtention d’un "certificat de sociabilité et d’aptitude à l’utilisation". Leur détention illégale serait sanctionnée de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende ;
- plusieurs dispositions nouvelles visent les gens du voyage : deux articles prévoient d’autoriser les maires à demander au préfet l’évacuation forcée en cas d’installation illégale, sans avoir à saisir le juge. Et ce, que la commune ait respecté ou non ses obligations légales de mise à disposition
d’aires d’accueil ;
- les troubles de voisinage font l’objet d’un amendement adopté au Sénat après avis favorable du gouvernement. Il prévoit qu’un bail puisse être résilié par un tiers en raison de troubles du voisinage par le locataire. Les copropriétaires pourraient ainsi se substituer au bailleur ;
- deux ans de prison et 30 000 euros d’amende en cas de rétention d’information sur la disparition d’un mineur ;
- six mois de prison et 3 750 euros d’amende pour dégradation des voies ferrées et des installations d’énergie.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP