violences policières à Marseille : le major condamné à un an avec sursis


article de la rubrique justice - police > violences policières
date de publication : vendredi 13 décembre 2013
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La scène s’est déroulée dans une cage d’immeuble à Marseille, au cours de la nuit du 18 janvier 2012... Le policier filmé en train de matraquer des étudiants qui se rendaient les mains levées a été condamné vendredi 13 décembre 2013 à un an de prison avec sursis pour violences aggravées. En revanche, le tribunal correctionnel de Marseille a relaxé les six jeunes gens qui, comble de l’affaire, étaient poursuivis pour violences en réunion sur dépositaires de l’autorité publique...

Ci-dessous les deux articles que David Coquille a consacrés à l’affaire dans le quotidien La Marseillaise.


Six jeunes innocentés par une vidéo choc

vendredi 13 décembre 2013 19:00 [1]


Le policier filmé en train de matraquer des étudiants qui se rendent les mains levées dans une cage d’immeuble à Marseille a été condamné à un an de prison avec sursis pour violences aggravées. Le tribunal a relaxé les six jeunes gens qui, comble de l’affaire, étaient poursuivis pour violences en réunion sur dépositaires de l’autorité publique.

A l’audience du 29 novembre 2013, le procureur Sylvie Canovas avait courageusement requis la peine de deux ans d’emprisonnement dont un avec sursis contre ce major de 50 ans, le plus haut gradé des huit équipages arrivés en force cette nuit du 18 janvier 2012, sur la place Jean-Jaurès. A ses yeux, cette procédure était « marquée du sceau du mensonge et de l’habillage » avec une vidéo qui « donne la nausée ». Elle avait requis la « relaxe pure et simple » des jeunes.


Marseille : la vidéo qui accable un policier...


« Le tribunal n’a pris en compte que ce qu’il voit dans la vidéo »

Le président Mohamed Mahouachi a tenu à expliquer à Charles, Arnaud, Benjamin, Stanislav, Florian et Joris, le sens de la décision. « Même si la tentation était grande, le tribunal n’a pris en compte que ce qu’il voit dans la vidéo. On ne pouvait pas rendre le policier responsable des violences commises au bas de l’immeuble. » C’est tout le problème de cette procédure tronquée, avec les auditions de 27 policiers présents qui n’ont rien vu, rien entendu, où le rédacteur du PV d’interpellation n’a même pas participé à l’opération...

« Je suis satisfait d’être relaxé mais je ne comprends pas que les autres policiers ne soient pas poursuivis », commente un des jeunes. « On méritait cette relaxe. Ce n’est que justice. On peut reprendre confiance en la justice avec un procès de cette qualité-là. Mais la principale policière responsable continue d’exercer sur la voie publique », déplore leur avocat Me Laurent Sallou. Il dénonce une « solidarité de corps » à l’oeuvre jusque dans la conduite de l’enquête de l’IGS « menée pour présenter le dossier de la manière la plus favorable aux policiers ». « Il a fallu le courage de deux parquetiers, le premier qui a compris que quelque chose clochait et les a remis en liberté à l’issue de 36 heures de garde à vue, et le procureur à l’audience qui a eu le souci de faire passer la justice sans faire primer les intérêts de la police », ajoute l’avocat.

Un dossier « sous contrôle de la hiérarchie policière »

Il entend désormais engager la responsabilité administrative de l’Etat. « Je dis que ce dossier était sous contrôle de la hiérarchie policière dés le début », accuse l’avocat, « des gens de haut rang sont intervenus au commissariat de Noailles pour contrôler que tout se passait bien. Il y avait déjà le dossier de la BAC Nord. On ne peut pas s’empêcher de mettre ces deux affaires en relief. Quand on voit la levée de boucliers de syndicats policiers qui refusent le port de la matricule sur les uniformes, on voit bien que c’est pour ne pas avoir à répondre à d’éventuels dérapages. »

Dans la nuit du 17 au 18 janvier 2012, un équipage de trois policiers est appelé pour de la musique trop forte par un octogénaire au 4ème étage du 20, place Jean-Jaurès. Des étudiants et jeunes actifs fêtent un diplôme. Le ton monte et la policière Myriam L., déboutée de sa constitution de partie civile hier, réclame du renfort, se disant encerclés par une dizaine de jeunes. « Il n’est matériellement pas possible d’avoir été entouré dans ces lieux extrêmement exiguës », avait vite vu le président Mahouachi à l’audience du 29 novembre. 27 fonctionnaires avaient alors débarqué, chauds comme des braises. Et là, selon les mots du président, « les policiers dérapent ». Une policière entre dans l’appartement et gaze les jeunes pour les faire sortir. Un voisin filme alors la scène au premier étage à travers l’oeilleton de son appartement puis de son balcon où il voit une policière plastronner avec ses trophées humains au sol. « Ils descendent sans la moindre agressivité, les bras levés en signe de soumission et on entend des coups, des cris, des plaintes qui rendent mal à l’aise, ils supplient des “arrêtez arrêtez j’ai rien fait”, des insultes des policiers « ta gueule, pédé, tu t’es chié dessus ou quoi ?! », avait décrit le président au procès.

« Une faute en 30 ans d’une carrière exceptionnelle »

« C’est un dérapage. Je n’ai pas d’excuse. J’ai mal cerné la situation. J’étais chauffé par les appels radio relayés par l’état-major », a admis le major Jean-Claude P., 50 ans, suspendu 15 jours. Le tribunal lui a accordé hier la non inscription de sa condamnation, sauvant ainsi son emploi. « Ce jugement fait la part des choses entre ce policier seul et une série d’autres personnes qui n’ont pas été poursuivies. C’est une décision juste, sévère qui sanctionne une faute en 30 ans d’une carrière exceptionnelle », commentait son avocat, Me Christophe Bass.

Au bas de l’immeuble, un comité de réception chaud, avait accueilli les étudiants à coups de genoux dans les têtes. Les deux médecins de garde à vue n’avaient délivré aucun jour d’ITT en dépit des nez, des dents cassés et autres ecchymoses costales. Commentaire du juge : « Ces certificats médicaux laissent pantois ».

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Violences policières : le vidéaste raconte

jeudi 12 décembre 2013 09:28 [2]


Grâce à sa vidéo diffusée à l’audience correctionnelle du 28 novembre 2013, un physicien italien qui vit à Marseille a permis à cinq jeunes étudiants accusés de violences sur des policiers de montrer aux juges que c’est eux qui le 18 janvier 2012 à 2h du matin avaient été victimes de violences illégitimes caractérisées. Ce vidéaste a souhaité rester anonyme. On apprend dans l’entretien qu’une policière s’est proposée de poser devant les jeunes blessés allongés au sol, place Jean-Jaurès. Un an de prison ferme a été réclamé contre un major de police du groupe de nuit des motards, le seul fonctionnaire identifié sur la vidéo parmi les 27 présents. Les juges rendent leur délibéré demain dans ce « dossier du mensonge » où même les médecins de garde-à-vue ont minimisé les blessures sévères infligées aux étudiants.

  • Racontez-nous comment cela s’est passé

Ce n’est pas la fête qui m’a réveillé cette nuit-là mais la police qui criait dans l’immeuble. Je suis allé à la porte. Une policière m’a dit « restez chez vous ça va piquer ». J’ignorais tout de ce qui se passait mais j’ai compris qu’ils allaient utiliser du gaz. Instinctivement j’ai pris ma caméra et j’ai filmé à travers un judas à côté de la porte.

  • Quelle était votre intention ?

De faire un témoignage. J’ai un profond respect pour les policiers, je sais qu’ils font un boulot peut-être encore plus stressant à Marseille. Là j’ai vu le policier donner des coups avec sa matraque sur les jeunes qui descendaient les bras levés. C’était clair que c’était pas correct. Après j’ai ouvert la porte et j ai demandé à la policière ce qui se passait. Elle m’a dit « ils ont frappé des collègues, rentrez chez vous ».

Après je suis allé sur le balcon. Je voulais que les policiers voient que j’étais là, que je les regardais agir pour les dissuader de faire d’autres violences. Je n’avais jamais vu ça, sauf à la télé. Je tenais ma caméra le long du corps. Les jeunes étaient allongés au sol, ils pleuraient et gémissaient. Puis elle a vu ma caméra et a dit « ah vous filmez ? », j’ai répondu « oui, est-ce que ça vous dérange ? » Et là elle a dit « non, non si vous voulez on pose ! » en riant. C’est elle qui a créé l’événement. Car à ce moment-là les jeunes ont su que quelqu’un avait filmé. J’ai dû rester encore une demi-heure puis je suis rentré. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là. C’était très choquant ce qui c’était passé. Le lendemain matin, j’ai vu le sang en bas de l’immeuble, il y en avait pas mal, j’ai pris des photos.

  • Saviez-vous ce que vous alliez en faire de cette vidéo ?

Je me suis posé la question. J’en ai parlé à mes amis. Je leur ai montré [la viidéo]. Certains n’étaient pas surpris du comportement des policiers. En fait, je n’ai pas eu à choisir car un des jeunes m’a contacté. On s’est rencontré. Je lui ai posé beaucoup de questions car je voulais recouper ce qu’il me disait avec ce que je savais. Honnêtement, je n’aurais pas donné la vidéo sans assurance qu’il ne mentait pas. Et il m’a convaincu. Je lui ai donnée.

  • Plus tard l’IGS vous téléphone ?

Ils m’ont laissé une convocation et je les ai appelés. Une dame de la police des polices m’a rassuré et m’a demandé d’amener la vidéo que l’on n’a pas visionné ensemble. Je pensais qu’avec cette vidéo, ils laisseraient tomber les étudiants. Je n’imaginais pas qu’il y aurait des suites et sûrement pas que les jeunes seraient poursuivis. On ne m’a pas convoqué. Pas de confrontation. Rien. C’est vous qui m’avez appris qu’il y avait eu un procès et l’histoire des policiers qui n’avaient rien vu, rien entendu.

  • Quel sentiment cela vous laisse ?

Je ne suis pas du genre à tirer des conclusions générales d’un fait ponctuel. Je n’ai aucun plaisir à tirer de cette histoire. C’est une mauvaise histoire pour tout le monde. Deux ans d’attente pour ces étudiants que je ne saurais d’ailleurs même pas reconnaître si je les croisais dans la rue. Je n’ai jamais pensé faire un coup contre la police. Et je trouve aussi qu’à Marseille les gens sont excitables pour rien. J’adore cette ville, sa folie. Elle a beaucoup de potentiel humain. Il y a des choses particulières qui se passent à Marseille.

Propos recueillis par David Coquille


P.-S.

Complément :

Le rapport anonymisé de l’Inspection des services (IGS), publié sur le site de La Marseillaise : http://fr.scribd.com/doc/191326420/....


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