Amnesty International dénonce cinq décès dans les mains de la police française


article de la rubrique justice - police > violences policières
date de publication : jeudi 1er décembre 2011
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Dans son rapport France : notre vie est en suspens. Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite, Amnesty International se penche sur les cas de cinq personnes décédées, alors qu’elles se trouvaient aux mains de la police française. Il s’agissait chaque fois d’une interpellation banale qui a mal tourné ; les faits se sont déroulés entre 2004 et 2009, mais la lumière n’a toujours pas été faite sur les circonstances ayant entraîné la mort.

L’association de défense des droits humains dénonce des dysfonctionnements et notamment “l’impunité de fait” dont bénéficient les policiers mis en cause : dans chaque cas, ils sont, à la connaissance d’AI, toujours en fonction, alors que les proches des victimes, appartenant à des “minorités visibles”, vivent dans la souffrance, en attendant que justice soit faite – voir ci-dessous le cas d’Ali Ziri.

Les présidents des cinq sections d’AI des pays d’origine des cinq victimes et la présidente de la section française ont adressé une lettre ouverte aux ministres de l’Intérieur et de la Justice pour demander que des enquêtes impartiales et exhaustives soient menées.


Un rapport sur cinq cas de décès aux mains de la police [1]

Abou Bakari Tandia, Lamine Dieng, Abdelhakim Ajimi, Ali Ziri, Mohamed Boukrourou ; ces cinq personnes sont mortes entre 2004 et 2009 au cours d’interpellations qui ont mal tournées.

Pour Amnesty International, ces 5 affaires particulièrement dramatiques sont symptomatiques des dysfonctionnements qu’AI pointe du doigts dans son travail de recherche depuis 6 ans en France : usage disproportionné de la force, tendance à interpeller davantage les personnes étrangères et d’origine étrangère, manque d’impartialité des enquêtes, réticences des procureurs à poursuivre des agents de la force publique, sanctions sans commune mesure avec la gravité des faits, dégradation des relations de forces de l’ordre avec les citoyens.

Amnesty International a conscience que les policiers travaillent dans des conditions difficiles et font un métier parfois dangereux pour faire respecter la loi et maintenir l’ordre public. Cependant, ce faisant, ils doivent eux-mêmes se situer strictement dans le cadre des lois. Tout manquement à la déontologie doit faire l’objet d’une enquête impartiale et des responsabilités doivent être engagées pour permettre aux proches d’obtenir justice.

Rapports d’Amnesty International :

  • Notre vie est en suspens – 30 novembre 2011
    Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite (Index : EUR 21/003/2011 - 29 pages)
  • Pour une véritable justice – 5 avril 2005.
    Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans des cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements (index AI : EUR 21/001/2005).

Lettre ouverte adressée aux ministres français de l’Intérieur et de la Justice [2]

Monsieur le Ministre,

Amnesty International a enquêté sur des allégations de mauvais traitements et d’usage excessif de la force mettant en cause des agents de la force publique, et sur l’impunité de fait dont certains peuvent bénéficier. Le nouveau rapport intitulé France. « Notre vie est en suspens. » Les familles des personnes
mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite (index : EUR 21/003/2011, 30 novembre 2011) illustre, à travers cinq cas, les préoccupations d’Amnesty International concernant l’absence d’enquêtes indépendantes et exhaustives dans certaines affaires impliquant des agents de la force publique.

Ce rapport repose principalement sur les témoignages des familles, des comités de soutien et des avocats recueillis en France par des représentants d’Amnesty International lors d’une mission menée en septembre et octobre 2011, et souligne les répercussions pour les familles des victimes du fait de la
lenteur et l’inadéquation des enquêtes. Tous les parents des victimes interrogés ont évoqué l’effet terrible que le décès, puis le sentiment de ne pas avoir accès à la vérité et à la justice, ont eu sur eux et sur leur capacité à faire leur deuil. Les cinq personnes décédées appartenaient à des minorités dites « visibles » : un Français d’origine sénégalaise et quatre ressortissants étrangers originaires du Mali, de la Tunisie, d’Algérie et du Maroc. Les parents des victimes ont déclaré à Amnesty International que leurs gouvernements respectifs ne leur ont apporté que peu ou pas de soutien dans leur quête de justice.

Cinq cas sont présentés dans le rapport :

  • Abou Bakari Tandia, un Malien de 38 ans, décédé suite à sa garde à vue en décembre 2004, à Courbevoie ;
  • Lamine Dieng, un Français d’origine sénégalaise âgé de 25 ans, décédé au cours de son interpellation en juin 2007, à Paris ;
  • Abdelhakim Ajimi, un Tunisien de 22 ans, décédé pendant son interpellation en mai 2008, à Grasse ;
  • Ali Ziri, un Algérien de 69 ans, décédé suite à son interpellation en juin 2009, à Argenteuil ;
  • Mohamed Boukrourou, un Marocain de 41 ans, décédé pendant son interpellation en novembre 2009, à Valentigney.

Amnesty International est profondément préoccupée car, à ce jour, les allégations dont fait état ce rapport ne semblent pas faire l’objet d’enquêtes adéquates et approfondies dans les meilleurs délais.
La majorité des agents de la force publique impliqués n’ont pas été mis en examen et, à notre connaissance, sont toujours en fonction.

La France est tenue de respecter le droit à la vie, de le protéger et de veiller à ce que le recours à la torture et aux autres mauvais traitements soit absolument prohibé. Cette obligation comporte un élément essentiel : la nécessité de diligenter dans les meilleurs délais des enquêtes exhaustives,
impartiales et indépendantes respectant le droit international relatif aux droits humains.

En outre, Amnesty International est consternée de constater que, même si l’âge, l’origine sociale et la nationalité des victimes de violations des droits humains commises par les agents de la force publique varient, les cas portés à sa connaissance concernent, dans leur grande majorité, des personnes
appartenant à des minorités « visibles ». Amnesty International avait déjà relevé ce phénomène dans deux précédents rapports, l’un publié en 2005 et intitulé France. Pour une véritable justice (index AI : EUR 21/001/2005), l’autre publié en 2009 et intitulé France. Des policiers au-dessus des lois
(index AI : EUR 21/003/2009).

Compte tenu de ce qui précède, Amnesty International vous demande instamment de prendre des mesures pour vous assurer que les enquêtes diligentées sur les cas de décès impliquant des agents de la force publique soient réellement menées dans les meilleurs délais et soient exhaustives,
indépendantes et impartiales, en particulier pour Abou Bakari Tandia, Lamine Dieng, Abdelhakim Ajimi, Ali Ziri et Mohamed Boukrourou.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.

Le 30 novembre 2011

Signatures

- Nicola Duckworth, Directrice du Programme Europe et Asie centrale
Secrétariat international d’Amnesty International
- Geneviève Garrigos, Présidente d’Amnesty International France
- Ali Yemloul, Président d’Amnesty International Algérie
- Mohamed Sogoba, Coordinateur Actions Urgentes d’Amnesty International Mali
- Salah Abdellaoui, Directeur Executif d’Amnesty International Maroc
- El hadj Abdoulaye Seck, Chargé de la mobilisation d’Amnesty International Sénégal
Sondés Garboug, Présidente d’Amnesty International Tunisie

Mémorial dédié à Ali Ziri ©AI

Le cas d’Ali Ziri [3]

Deux ans et demi après la mort d’Ali Ziri, suite à son interpellation par la police nationale d’Argenteuil(95), ce dossier est toujours au point mort. Rien n’a bougé. Les policiers impliqués dans la mort du retraité algérien, âgé de 69 ans, sont toujours en fonction. [...]

Le 24 juillet 2009, l’Institut médico-légal de Paris rend les conclusions d’une autopsie, qui relève l’existence de 27 hématomes. « Ali Ziri est mort suite à un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique, généré par suffocation et appui postérieur dorsal. ».

Le 15 avril 2011, les conclusions de nouveaux examens complémentaires affirment que « le manque de discernement des policiers a conduit à des comportements qui n’étaient pas sans conséquence sur l’état de santé de M. Ziri. ». Tous ces éléments confirment que des violences policières sont à l’origine de la mort d’Ali Ziri. Et pourtant, rien n’a bougé. Pire encore, tous les actes demandés par les avocats de la famille ALi Ziri, comme l’audition des témoins et des policiers par un juge d’instruction et la reconstitution des faits, ont été refusés par le Procureur de la république de Pontoise.

Le 1er décembre prochain, ce même procureur devra rendre son réquisitoire définitif à propos de cette affaire. Il y a de fortes possibilités qu’il aille vers un non lieu, qui signifie la fin de l’instruction et l’abandon des poursuites.

C’est pourquoi le collectif appelle à un rassemblement le mardi 29 novembre à 18 heures
Angle des rues Jeanne d’Arc et Antonin-Georges-Belin, non loin de la mairie d’Argenteuil.
Le cortège se rendra ensuite devant la sous-préfecture d’Argenteuil.

Pour plus de détails, lire http://danactu-resistance.over-blog...

Notes

[1Extraits d’un communiqué d’Amnesty International daté du 29 novembre 2011 : http://www.amnesty.fr/AI-en-action/....

[3D’après L’Humanité du 24 novembre 2011.


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