observatoire départemental sur les violences policières illégitimes : rapport 2012-2013


article de la rubrique justice - police > violences policières
date de publication : jeudi 16 octobre 2014
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Nul maintien de l’ordre public ne peut se faire au mépris des droits de l’Homme


CIMADE
Ligue des Droits de l’Homme 13
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples


Maison Méditerranéenne des droits de l’Homme, 34 cours Julien, 13006 Marseille
Tél : 06 81 39 42 19 (LDH) - 04 91 42 94 65 (MRAP) - 04 91 90 49 70 (La CIMADE)

Ci-dessous, une synthèse du rapport 2012-2013 qui a été présenté lors d’une conférence de presse le 9 avril 2014. Pour télécharger le rapport complet : http://www.laurent-mucchielli.org/p....


L’Observatoire départemental sur les Violences Policières Illégitimes (OVPI) est composé de la Ligue des Droits de l’Homme 13, du MRAP, de la CIMADE et de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), avec la participation de Rencontres Tsiganes, Médecins du Monde et la section sociale du service de médecine judiciaire de la Timone..

Depuis sa création, l’Observatoire affirme son attachement à une police au service du citoyen et respectueuse des droits de l’Homme.
La société issue de la République doit notamment pouvoir s’appuyer sur une police qui, pour être respectée, doit faire preuve d’une éthique irréprochable.

L’Observatoire départemental sur les Violences Policières Illégitimes :

  • Recense et analyse les différentes affaires pour lesquelles les associations membres de l’Observatoire ont été sollicitées.
  • Suit leur traitement par l’institution judiciaire.
  • Soutient les personnes victimes de violences policières illégitimes (écoute, conseil, communiqués, conférences de presse…).
  • Informe le citoyen et interpelle les pouvoirs publics (Préfecture de Police, Tribunaux de Grande Instance, Parquets ).

Les affaires traitées par l’Observatoire ne sont manifestement que la partie émergée de l’iceberg car les personnes victimes de violences policières illégitimes souhaitent bien souvent ne pas donner suite du fait :

  • De multiples difficultés rencontrées lorsqu’elles ont souhaité porter plainte dans un commissariat et qu’elles ne savent pas qu’elles peuvent le faire, par écrit, auprès du procureur de la République mais aussi de la difficulté de le faire, sans s’exposer, lorsqu’elles sont en situation irrégulière ou sans domicile fixe.
  • D’avoir vécu un événement particulièrement traumatisant, événement qu’elles préfèrent « tenter d’oublier » et les amenant à souhaiter « passer à autre chose »,
  • De leur sentiment que c’est le pot de terre contre le pot de fer dans ce type d’affaires,
  • Que ces personnes ne croient plus en la fonction protectrice de la Police et de la Justice après ce qu’elles ont vécu.

Rappelons l’article 14 du nouveau code de déontologie de la police nationale : « Toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers et des militaires de la gendarmerie nationale et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant ... »

L’Observatoire rédige un rapport d’activité tous les deux ans dans lequel il dresse un état des violences policières illégitimes pour lesquelles il a été saisi, et en analyse les causes.

L’Observatoire a été créé en 2001, pour répondre à la demande de citoyens victimes de violences policières illégitimes. Il a donc plus de 10 ans d’existence et le présent rapport est le 5e à être présenté.
Il est intéressant de noter que le terme « illégitime » accolé à violence nous a été, longtemps, reproché. Cette expression peut choquer les juristes : la force publique est limitée au « strictement nécessaire » selon le législateur et s’en trouve de fait légitime. Elle s’oppose à la violence individuelle, source de désordre. La force est légitime, la violence est illégitime. Nous avons donc dans « violence illégitime » un pléonasme concernant l’individu et une absurdité vis à vis des forces de l’ordre. Néanmoins nous nous adressons aux citoyens ordinaires, qui pensent, par exemple, que pour arrêter un terroriste la violence des forces de l’ordre est justifiée, donc légitime. En revanche, les violences dont ils se disent victimes ne sont pas justifiées.
Le juriste dira que le terme de « violence » appliqué aux forces de l’ordre est suffisant. Qu’il reflète en soi la dérive. Et qu’à trop répéter « violences illégitimes » on en banalise le terme.
Cependant, dans le rapport de la C.N.D.S. de 2008, les violences illégitimes deviennent un titre de chapitre (p12) et l’expression est reprise dans le corps du rapport.
Nous avons constaté aujourd’hui que, dans le formulaire en ligne sur le site du ministère de l’Intérieur et de la police nationale, « violences illégitimes » est un type d’allégation qui est retenu.

Aujourd’hui nous vous présentons le 5e rapport. Il comporte 39 témoignages, dont 9 cas issus du centre de Rétention. Ils illustrent combien ces lieux sont des zones de non droit alors qu’ils sont sur le sol de la République. La déontologie de la police doit s’y appliquer avec d’autant plus de rigueur.
Il reste donc 30 cas que l’on peut comparer à la quarantaine de cas des rapports précédents..

Une rapide analyse de ces dix années d’exercice.

1 - Les constantes :

Outrages et rébellion :

Déjà dans son rapport de 2004 – 2005 l’Observatoire faisait remarquer : "A propos de la mise en accusation de victimes de violences policières illégitimes et concernant la question des dommages et intérêts demandés par des policiers à l’encontre de personnes accusées « d’outrage et rébellion », « de violence à agent », voire « d’incitation à l’émeute », précisons (entre autres points)  :
* La victime, devenue agresseur, étant très souvent condamnée, elle n’a plus aucun crédit vis-à-vis d’un tribunal et sa plainte est presque toujours rejetée.
* Un tel système nous paraît être dangereusement incitatif. Il induit effectivement un mélange des genres peu souhaitable entre les difficultés que des policiers peuvent rencontrer dans leur pratique professionnelle et le bénéfice financier qu’ils peuvent en tirer. Rappelons que si la victime civile n’est pas solvable, c’est l’Etat qui versera au policier les dommages et intérêts demandés"

Ce système est appelé protection fonctionnelle. Un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration publié en décembre 2013 en démontre les excès : un fonctionnaire qui s’est déclare « victime » d’outrages à 28 reprises au cours de l’année 2012 n’a déclenché aucune suite de la part de l’administration…
C’est bien sûr un cas extrême, mais 6 fonctionnaires de police totalisent plus de 15 dossiers chacun, un autre a ouvert 19 dossiers depuis 2009 etc…L’IGA s’émeut du coût annuel de cette protection fonctionnelle. Pour l’Observatoire, en cas d’outrage, c’est l’uniforme qui est outragé, pas le policier. Si cet outrage était sanctionné par une amende à payer à l’Etat, les économies seraient considérables et la tentation moins grande.

Or, dans l’article 5 du nouveau code de déontologie de la police le principe de protection de l’Etat est réaffirmé :
« L’État défend le policier ou le militaire de la gendarmerie nationale, ainsi que ses proches contre les attaques, menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations, dénonciations calomnieuses et outrages dont celui-ci peut être victime dans l’exercice ou du fait de ses fonctions.
L’État accorde au policier ou au militaire de la gendarmerie nationale sa protection en cas de poursuites pénales liées à des faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle
 ».
Non seulement le système n’est pas modifié mais aucune sanction n’est prévue en cas de demandes répétées et abusives
Le changement n’est pas pour demain.

Les contrôles d’identité :

L’Observatoire avait espéré qu’avec un changement de président, la mentalité qui avait prévalu à l’élaboration du discours de Grenoble serait écartée de nos instances politiques exécutives. Hélas il n’en est rien. La traque à l’émigré clandestin et la chasse aux Roms sont malheureusement toujours en cours. Et donnent bien sûr lieu à des abus. Il semble néanmoins qu’il y ait moins de dérapages.

Le fait générateur anodin qui conduit à une escalade de violence

Ca a été et ça reste l’essentiel du travail de l’Observatoire. Les raisons de cette escalade sont diverses et ont été évoquées dans nos précédents rapports : l’énervement de part et d’autre, la nécessité de se désennuyer pendant les longues missions de nuit où il ne se passe pas grand chose, la volonté de "faire des crânes" pour être bien vu de sa hiérarchie, des interpellations qui rapportent aux policiers des points rémunérés sur le bulletin de salaire, la sensation de se sentir investi d’une mission de « redresseur de tort », d’être un cowboy, ce qui peut paraitre combien plus valorisant que d’être au service du citoyen. L’Observatoire a conscience que le gouvernement précédent a beaucoup soufflé sur les braises. Ces dérives sont le fait d’une minorité de policiers. Il déplore que les contre-pouvoirs soient encore très insuffisants.

La difficulté de la preuve :

Nous avons deux cas extrêmes où des policiers prennent soin d’emmener les interpellés dans des halls d’immeuble (n° 6 & 30 ) avant de les passer à tabac. D’ailleurs généralement la plus part des affaires se passent hors témoins ou devant des témoins qui ne veulent pas témoigner, ce qui est très préjudiciable à la manifestation de la vérité. L’observatoire constate aussi, avec le cas n° 26, que 4 témoignages concordants, à charge contre la police, ne suffisent pas.
En effet la procédure a été classée « car l’infraction était insuffisamment caractérisée (insuffisance de preuves, circonstances indéterminées) ».

2 - Ce qui a baissé :

Les infractions routières

L’Observatoire constate que les violences policières ayant une infraction routière comme fait générateur connaissent une baisse notable. Nous avions 12 cas lors du premier rapport (2004 – 2005). Nous avions 5 cas lors du rapport 2010-2011. Pendant les deux dernières années, nous n’avons été saisis que d’un seul cas. La politique du chiffre, avec un nombre mensuel de garde à vue imposé à chaque commissariat, serait-elle vraiment abandonnée ?

3 - Ce qui est nouveau

Pour la première fois, l’Observatoire constate des avancées. Par ordre chronologique :

Présence de l’avocat en garde à vue

La présence de l’avocat en garde à vue et le droit de garder le silence ont été introduit en droit français par la loi N° 2011-392 du 14 avril 2011. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juin 2011, pour se conformer aux exigences du procès équitable résultant de l’article 6 de la CESDHLF (Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales).
Dans l’ensemble, les relations entre les avocats et les officiers de police judiciaire sont courtoises. Il est effectif que la présence de l’avocat durant la garde à vue protège la personne retenue des sollicitations mensongères (signe et tu sors tout de suite…), des intimidations, des menaces voire des coups qui l’obligeaient à signer, sans l’avoir relu, le procès verbal d’audition.
L’accès au dossier par les avocats devrait transposer la Directive européenne du 22 mai 2012 en droit français le 2 Juin 2014.

La BAC nord de Marseille

Un autre paramètre important nous semble-t-il, est la mise à l’index des agissements de la BAC nord.
Sans pouvoir affirmer que les éléments de cette BAC nord étaient responsables des dérapages que nous avons constatés dans nos précédents rapports, il est incontestable que nous recensions 9 cas de violences policières dans le rapport 2010-2011 (hors évacuation des camps de Rroms) perpétrés dans ces quartiers nord et que, dans le présent rapport, nous n’avons que deux cas.

Saisine de l’IGPN par le citoyen

Depuis le 2 septembre 2013, grâce à un formulaire en ligne sur le site du ministère de l’Intérieur et de la police nationale, tout citoyen a la possibilité de saisir directement l’ensemble des services de l’IGPN pour signaler un manquement à la déontologie policière dont il serait témoin ou victime. La création d’un comité d’orientation du contrôle interne au sein même de l’IGPN, composé pour moitié d’acteurs externes à la police, nous paraît essentielle. Ce n’est plus exclusivement la police qui enquête sur la police. Reste à savoir quels sont les acteurs externes choisis.

Les démarches citoyennes

Des témoins d’interpellations musclées prennent des photos ou des films. Ces interventions peuvent entrainer la mise en examen du témoin comme le cas n°9 traité page 46, mais aussi générer l’acquittement des interpellés et la condamnation du policier (cf n°4 page 22). D’autres, comme les huit personnes du cas n° 37 traité page 45, ne filment ni ne photographient mais témoignent par écrit.

4 - Conclusion

Des avancées donc. Mais encore insuffisantes.

L’Observatoire constate que les interpellés sont victimes de violences « gratuites » dans la mesure où celles-ci s’exercent APRES qu’ils ont été immobilisés : menottes excessivement serrées (constatées dans 7 cas), gifles dans 3 cas, coups de pieds dans 2 cas, roués de coups dans 6 cas , voire 1 cas d’étranglement. Toutes ces violences étaient inutiles. Et elles ne sont jamais sanctionnées.
Même si ces deux années ont vu des progrès notables, l’Observatoire ne croit pas que le nouveau code de déontologie fera cesser ces violences. Les individus qui les exercent ne sont pas sensibles à la déontologie. Le racisme, la vengeance, l’exacerbation qui les animent ne pourront céder que face à un contrepouvoir efficace. Or leur hiérarchie n’intervient jamais et trop souvent les juges, loin de les sanctionner, condamnent leurs victimes.

Certes le numéro d’immatriculation des policiers apparaîtra sur leur uniforme. Encore faudra-t-il le mémoriser. Et que vaudra l’énoncé de ce numéro dans le traitement judiciaire de la plainte de l’interpellé malmené ?

Car l’esprit de corps règne toujours. On note dans le témoignage n°7 "il s’est alors servi de moi comme punching ball me frappant avec pieds, poings, genoux, tête et coudes sur la nuque, les côtes et le reste du corps… Les autres policiers n’ont pas réagi…Je leur ai dit « vous ne faites rien pour me protéger de cet individu ? » Ils ont répondu « on dira qu’on n’a rien vu » et ils riaient."

Il reste encore des progrès à faire pour le respect des principes fondamentaux de notre Etat de droit.


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