les fichiers de police en débat dans le Var et les Alpes-Maritimes


article de la rubrique Big Brother > Edvige et Cristina
date de publication : jeudi 11 septembre 2008
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En visite dans le Var, Michel Vauzelle, président PS du conseil régional, a dénoncé comme « liberticide » le décret créant le fichier Edvige. « Comment accepter que soient systématiquement fichés, au pays des libertés, les personnes engagées dans la vie de la cité ? On n’ose imaginer l’utilisation que pourrait faire un pouvoir autoritaire d’un tel fichier. »


Fichiers de police : grand débat dans le Var

par Lilian Renard, Var Matin du 11 septembre 2008

« Savez-vous combien il existe de fichiers policiers ? Au moins trente-six. En silence, on nous habitue à être surveillés. » François Nadiras, figure de la Ligue des droits de l’homme (LDH) de Toulon, passe beaucoup de temps dans les fiches. Fichiers policiers, base-élèves, vidéosurveillance, biométrie... Il épluche chaque nouveau décret, recense mille exemples qu’il présente sur le site de la LDH Toulon [1], véritable bible documentaire sur les penchants orwelliens de nos sociétés.

Lundi dernier, en pleine polémique sur le fichier policier Edvige [2], le site de la LDH a d’ailleurs reçu plus de 3 800 visites. Mais pourquoi donc Edvige sème-t-elle la terreur dans le monde syndical, politique, économique, alors que des dizaines de fichiers scrutent déjà, et dans l’indifférence générale, tant de citoyens ?

C’est que ce dossier destiné à remplacer l’ancien fichier des RG, étend le spectre du renseignement aux mineurs dès 13 ans et prévoit de compulser des données sensibles sur des personnalités publiques, sans limitation de temps. Dans le Var, des centaines de personnes seraient concernées, recensées selon leurs origines raciales, leurs opinions politiques, leurs orientations sexuelles voire même leur état de santé.

« Pas de fiche Falco »

Devant ce tollé, le président de la République a d’ailleurs demandé au ministre de l’Intérieur de réviser ses fiches, d’engager une concertation « suivie de décisions pour protéger les libertés ».

« Jusqu’à présent, on n’avait pas de fiches sur les leaders syndicaux, assure un fonctionnaire du renseignement. De même, depuis 1994, on ne renseignait plus le fichier politique. Après cette date, on n’a jamais rien écrit sur Falco, pas plus que sur les leaders de la LCR. En fait, beaucoup de gens étaient même surpris de ne pas avoir de dossier RG.  » Au total, l’actuel fichier varois recenserait plus d’un millier de personnes. Demain, Edvige en identifierait beaucoup plus.

Depuis longtemps déjà, dans le Var, l’exploitation de ces fichiers fait polémique. En même temps qu’Edvige, la LDH s’est ainsi attaquée à sa petite soeur, Christina, et, plus généralement, « à l’extension du fichage des citoyens ». Par exemple, l’association avait vivement critiqué le recours à un système biométrique pour gérer l’accès des élèves au collège Joliot-Curie de Carqueiranne [3]. Depuis, ce procédé a été abandonné.

Les prélèvements qui dérangent

De nombreuses voix s’étaient encore élevées contre la généralisation des prélèvements ADN, prescrits dans la plupart des infractions pénales, jusqu’aux plus banales « incivilités ».

Dans le Var, le parquet de Toulon tend d’ailleurs vers un recueil systématique de l’ADN, ce qui le conduit à ordonner quelque 3 000 prélèvements par an. « C’est aussi grave qu’Edvige, car cette empreinte reste dans les fichiers internationaux, estime Me Christine Ravaz, et cela concernera à peu près tout... sauf les infractions financières. »

En juin dernier, à Toulon, un vif mouvement d’humeur s’était également levé contre Base élèves. Ce dossier, mis en place par l’Éducation nationale, regroupe des données personnelles sur les élèves. À l’origine, il recensait nombre d’informations sensibles : origines, langue parlée à la maison, difficultés scolaires, absences, situation des parents.

(D.R.)

« Nos enfants ne sont pas vos indics », s’étaient emportés des parents d’élèves de l’école Jules-Muraire, lors d’une manifestation à Toulon. Depuis, le fichier a été modifié. « C’est extrêmement inquiétant, prévient François Nadiras : aujourd’hui, tout le monde apparaît sur un fichier. » L’an dernier, 56 000 fichiers ont été déclarés à la Cnil [4], ce qui porte à 1,2 million leur nombre depuis la création de la commission.

Employé licencié, syndicaliste dénoncé : la loi des fiches

Jusqu’à ces dernières semaines, S., éducateur pour le compte d’une association, intervenait périodiquement auprès des détenus incarcérés La Farlède. « Du jour au lendemain, son autorisation d’accès à la maison d’arrêt lui a été refusée », raconte Me Bruno Bochnakian, avocat du jeune homme. Privé de ce sésame par l’administration„ il a ensuite été licencié par son employeur.

Son nom est-il arrivé dans un fichier ou une enquête de police ? Pour l’heure, nul ne le sait. « Mon client est musulman pratiquant, est-ce la raison ? En tout cas, il n’en a jamais fait état sur son lieu de travail. Il a un casier vierge aucun fait délictuel ne lui a jamais été reproché », s’étonne Me Bochnakian. L’avocat vient donc de saisir officiellement la préfecture pour obtenir communication du dossier. Réponse des services de l’État : impossible, il s’agit de « données confidentielles ».

Le risque de l’arbitraire

« On est précisément dans ce que peut nous amener Edvige, analyse-t-il, un fichier occulte, où peuvent figurer des informations contestables, sans aucun moyen de les vérifier. Voilà le risque : que des décisions soient prises sans aucune justification, que des emplois soient refusés à certaines personnes au seul motif qu’elles figurent dans un fichier. On est alors dans le pur arbitraire. »

Certaines initiatives en matière de renseignement vont même parfois jusqu’à cibler les policiers eux-mêmes. En mai 2006, le président départemental de l’Unsa Police, Jean-Luc Bouteille, alors conseiller municipal de gauche à Lorgues, avait participé à l’encadrement du meeting de Ségolène Royal dans la commune. Ce jour-là, les renseignements généraux avaient fait remonter l’information au ministère de l’Intérieur. Où elle fut scrupuleusement étudiée... Quelques jours plus tard, Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, avait vertement sermonné le secrétaire général de l’Unsa, lui reprochant la présence d’un de ses représentants à ce meeting.

« Au-delà d’Edvige, on construit une société policière, qui veut avant tout du renseignement, déplore Jean-Luc Bouteille. Je sais
aussi un citoyen. Le samedi après-midi, j’ai le droit d’avoir mes propres engagements, sans pour autant faire l’objet d’un rapport
 ».

Lilian Renard

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Les défenseurs azuréens des droits de l’Homme sont inquiets

Nice Matin du 11 septembre 2008

Fin juin, les RG étaient officiellement sacrifiés sur l’autel de la réforme des services de renseignements. Mais les Azuréens qui étaient fichés avant, le sont restés après.

Qu’ils soient hommes ou femmes politiques, syndicalistes, qu’ils jouent un rôle économique ou social, qu’ils soient notables ou gamins d’une banlieue, ils sont encore environ 50 000 à être fichés.

Le listing n’est naturellement pas disponible... Du moins, ceux des fichés toujours en activités. Si la fiche RG de Jacques Médecin a par exemple disparu - soit égarée, soit versée aux Archives départementales -, ses successeurs aux plus hautes responsabilités politiques des Alpes-Maritimes auraient tous droit à un petit CV policier.

Un procès-verbal de la Gestapo

Officiellement, depuis que Jospin décida d’interdire aux RG de s’occuper par trop de politique, le who’s who de ce qu’on appelait jadis la police politique ne serait plus aussi bien fourni. Mais il n’en serait que mieux tenu. Depuis qu’en 1991, Pierre Joxe fut pris d’une colère rouge, les vieilles fiches ont ainsi été dépoussiérées. [5]

« Elles en avaient grand besoin, raconte un ancien responsable azuréen aujourd’hui en retraite. Il y a quelques mois encore, nous avions des notes extravagantes, héritées de l’après-guerre. Je me souviens de celle du père d’un des grands patrons du BTP qui avait été fiché à la Libération sur la simple dénonciation d’un de ses voisins qui, l’accusant d’avoir collaboré avec les Allemands, avait joint pour preuve de sa bonne foi calomnieuse un procès-verbal de la Gestapo dans lequel il était vaguement cité. » Des fiches RG un peu hâtives, érigeant des réputations terribles, souvent fallacieuses, il y en aurait eu ainsi des milliers, encombrant jusqu’à ces derniers mois les étagères des RG azuréens. Toujours sous couvert d’anonymat, un enquêteur se souvient ainsi du fameux « fichier des homosexuels », établi toujours pendant la période noire de l’Occupation, mais qui n’aurait été détruit qu’au milieu des années 70. « Nul ne l’a jamais utilisé, mais il existait et était stocké à Paris dans des caves que la Gestapo utilisait comme geôles ».

Alors que la direction des RG jure que, jamais au grand jamais, on ne ficha personne sur la base de ses préférences sexuelles, un simple inspecteur se souvient pourtant que la très paillarde association du Cube - qui réunissait des dizaines de notables niçois proches du Médecinisme et défraya la chronique dans les années 90 - fut l’objet d’une série de fiches individuelles.

Le « droit d’oubli » respecté

Officiellement toujours, les infos collectées n’auraient jamais franchi la ligne jaune de la dérive liberticide, dénoncée par les pourfendeurs du fichier Edvige. Et le fameux « droit d’oubli » aurait ici été scrupuleusement respecté. « Car en 1968, à chaque manif, on embarquait des étudiants. Tous ou presque étaient fichés. Mais leur activisme était souvent furtif. Or, sous de Gaulle et encore sous Giscard, un jeune gars fiché pour avoir battu le pavé risquait de voir les portes d’une administration se fermer devant lui. »

Mais juré craché, ces dossiers-là ont été retirés... Il y a moins de dix ans seulement ! Tout comme ceux tenus à jour depuis 1962 sur les rapatriés d’Algérie ou les ressortissants du Maghreb ayant joué un rôle, fut-il anecdotique, dans le contexte trouble de la décolonisation.

Autres temps autres moeurs, l’une des nouvelles missions prioritaires des RG étant la surveillance des banlieues, la vieille police politique a ici comme ailleurs changé de cible.

Pas 13 ans mais 14

En 2005, ainsi, les RG azuréens se sont attelés à une vaste opération de renseignements dans les quartiers : celle menée à Grasse au pied des tours de la Blanquière n’alla pas, comme le préconise Edvige jusqu’à mettre les mineurs délinquants de 13 ans en fiche... Nabil, le plus jeune de ces trublions azuréens avait, il est vrai, 14 ans.

Notes

[2Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale.

[4La Commission nationale informatique et libertés est l’autorité administrative indépendante chargée de veiller à la protection des données personnelles.

[5En 1991, Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur, avait appris que des centaines de milliers de fiches remontaient à la Libération. Qu’elles étaient souvent le fruit de dénonciations anonymes. Fondées ou pas, nul n’avait jamais cherché à le vérifier, le travail des RG étant de compiler des renseignements. Du coup, sans le savoir, des milliers de Français se retrouvaient fichés à leur insu comme “collabo” ou “antisémite”. Certains d’entre eux l’avaient peut-être été. D’autres en étaient sans doute accusés fallacieusement. Ces fiches existaient toujours — près de 700 000 ont été retirées du fichier central des RG. [Var Matin du 11 septembre 2008]


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