l’origine, une barrière invisible


article de la rubrique Big Brother > Edvige et Cristina
date de publication : lundi 23 mars 2009
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Être titulaire d’un BTS et se voir embauché avec un CDI... Ce rêve s’est réalisé en février dernier pour un jeune Toulonnais. Mais il n’a duré que quelques jours. En effet X. Y. – désignons-le ainsi puisqu’il nous a demandé de respecter son anonymat – bien que français, né en France, est d’origine maghrébine, et son histoire est tout à fait semblable à celle de O. C..

Des histoires qui illustrent l’emprise croissante des fichiers « cachés » sur notre vie quotidienne.


Dans le cadre de la gestion mixte de la prison de Toulon-La Farlède, la société Idex, outre la mission de réinsertion, assure la gestion de l’intendance et de la logistique pour ce qui concerne la maintenance, le nettoyage... [1].

Le 11 février 2009, X. Y. est engagé par la société IDEX ENERGIES, avec un contrat à durée indéterminée (CDI), comme technicien d’exploitation, dans le service Efficacité énergétique, filière Exploitation, au sein de l’Unité Opérationnelle GESUD (UO 13) dont la direction est implantée à Aix en Provence.

Son contrat précise qu’il sera affecté sur le site « Centre Pénitentiaire Toulon-La Farlède » et ajoute que « ce lieu de travail n’est en aucun cas limitatif et nous nous réservons le droit de vous déplacer sur d’autres exploitations n’entraînant pas de changement de résidence. »

Le 20 février 2009, la lettre suivante, recommandée avec accusé de réception, est adressée à X. Y. par le Directeur Régional GESUD :

Aix-en-Provence, le 20 février 2009


Monsieur,

Vous avez été engagé au sein de notre Société le 11 février 2009, sous contrat à durée indéterminée, assorti d’une période d’essai de trois mois.

Cet essai se révélant non concluant, nous avons décidé de mettre fin à votre contrat de travail.

En conséquence, et en application de l’article 11 de notre Convention Collective, vous disposez d’un délai de prévenance d’une durée d’un jour qui commence à courir le jour de la notification de la rupture de l’essai.

Toutefois, nous vous dispensons de l’exécution de votre préavis. Ce dernier sera bien entendu rémunéré.

Au terme de votre préavis non-exécuté, nous vous remettrons par courrier séparé votre solde de tout compte, votre certificat de travail ainsi que l’attestation destinée aux ASSEDIC.

Veuillez agréer, Monsieur, nos salutations distinguées.

Que s’est-il donc passé ?

Quelques jours auparavant, le 17 février, le directeur du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède avait adressé la lettre suivante au Chef d’unité privée :

Toulon 17/02/09


OBJET : Refus d’habilitation.

Comme suite à notre entretien de ce jour, j’ai l’honneur de vous faire savoir que je ne délivrerai pas d’autorisation définitive d’accès à l’établissement, pour M. X. Y.

En effet, ce dernier fait l’objet d’un avis réservé par les services de la Préfecture du Var, en raison de multiples interpellations et faits délictueux.

Vous comprendrez que je ne peux autoriser son accès à l’établissement, dans le cadre de la maintenance du site, qui l’amènerait à des contacts quotidiens et prolongés avec la population pénale, ayant pour fonction aussi d’encadrer des personnes détenues classées à la maintenance.

Une lettre en tout point semblable à celle qui figure dans le dossier d’O. C., à la date du 2 juin 2008.

Quels sont ces « multiples interpellations et faits délictueux » ?

En réalité, aucune trace d’interpellation ou autre fait délictueux ne figure au bulletin numéro 3 du casier judiciaire de X. Y., comme on peut le constater :

Que conclure de cette situation ?

Tout d’abord, on peut être surpris que, dans sa lettre de licenciement, l’employeur n’ait pas jugé bon d’informer le jeune salarié qu’il n’avait rien à lui reprocher, plutôt que de laisser penser qu’il n’était pas compétent pour ce poste.

Mais surtout, cette affaire en dit long sur les dangers, risques et dérives des fichiers qui existent sur chacun d’entre nous.

L’origine maghrébine de X. Y. a vraisemblablement servi de support à cet avis réservé – on sait que la « radicalisation islamique en prison » hante nos dirigeants.
Il est certes légitime de prévenir les menaces à l’ordre public, mais les mesures prises depuis quelques années au nom de la lutte contre le terrorisme sont véritablement excessives.

A l’évidence, X. Y. a été fiché, et des informations nominatives le concernant ont été rassemblées à son insu et sans qu’il puisse y avoir accès.

Priver ce jeune homme d’un emploi pour lequel il possédait a priori les compétences, puisqu’il avait été embauché, relève-t-il du fonctionnement d’un État de droit ? On peut craindre que nous assistions là à une nouvelle manifestation de l’arbitraire que nous avons rencontré dans le cas d’O. C., où la CADA elle-même avait reçu une fin de non-recevoir.

En ce qui concerne X. Y., l’incident est clos – ... pour l’instant. Mais combien de barrières invisibles devra-t-il rencontrer avant d’être embauché ?

P.-S.

Le titre de cette page se veut une allusion au documentaire « Le plafond de verre » (2006) où Yamina Benguigui montre les aspects invisibles et pernicieux de la discrimination dont souffrent les gens issus de l’immigration. Quoi qu’ils fassent, quels que soient leurs efforts, ils se heurteront au « plafond de verre ».

Contrairement à ce qu’affirme la Constitution, nous ne naissons pas libres et égaux en droits.

Notes

[1Voir la note 1 de cet article.


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