Cristina, demi-soeur cachée d’Edvige


article de la rubrique Big Brother > Edvige et Cristina
date de publication : samedi 2 août 2008
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C’est en lisant la délibération de la Cnil consacrée au projet de décret créant le fichier Edvige [1] que l’on apprend la création d’un autre fichier. Mais aucune information n’est donnée sur Cristina (centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux), en dehors du fait que cet outil sera mis à la disposition du tout nouveau “FBI à la française”.

La réforme des services de renseignement a conduit à la création, le 1er juillet 2008, d’un service de renseignement intérieur unique, la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), obtenu par la fusion de la DST (direction de la surveillance du territoire) et des RG (Renseignements généraux). Mais il faut noter que, si les effectifs de la DST tournaient autour de 2000 personnes, la DCRI disposera du double !

Le décret portant création de la DCRI [2] précise qu’“elle contribue à la surveillance des communications électroniques et radioélectriques susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’Etat” ; Cristina pourra garder traces des données provenant des écoutes (téléphoniques et internet) de ceux que les autorités voudront surveiller.

[Mis en ligne le 16 juillet 2008, complété le 2 août 2008]

Pancho (Le Monde du 2 août 2008).

Les deux balances de la République

par D. H., Le Canard enchaîné du 9 juillet 2008

On les disait définitivement sortis par la petite porte des commissariats. Promis-juré, c’en était fait de la « police politique ». Patatras ! les Renseignements généraux (RG) reviennent par le grand portail de la place Beauvau. Depuis le 1" juillet, les RG n’existent plus, fondus dans la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, notre CIA à nous). Mais, le 27 juin dernier, Michèle Alliot-Marie a signé un décret pour la création d’un fichier dénommé « Edvige » (« Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale »).

Derrière ce charmant vocable se dissimule le fichage systématique des élus, syndicalistes et religieux de tout poil, à l’usage de la DCRI. Sous la seule « condition que les informations (répertoriées) soient nécessaires au gouvernement ou à ses représentants pour l’exercice de leurs responsabilités ». Difficile d’être plus précis !

Décidément très coquine, Edvige fait mieux que les RG. Alors que le décret de 1991 n’autorisait les chaussures à clous qu’à répertorier les individus « qui peuvent porter atteinte à la sûreté de l’Etat ou à la sécurité publique », celui de 2008 permet aux flics de cibler les « personnes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». En se mouchant bruyamment ?

Ça la fiche mal

A sa naissance, Edvige promettait d’être plus vicieuse encore. D’abord parce que le ministère de l’Intérieur n’avait pas prévu de dévoiler son existence. C’est la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) qui l’a souhaité. Et cette même Commission a obtenu que le décret ne prévoie plus l’enregistrement systématique de données relatives au « comportement » ou aux « déplacements » des personnalités politiques et administratives.

Contrairement à Edvige, sa copine Cristina restera dans l’ombre. Cet autre fichier reprend et étend des données qui existent depuis 1997 à la Direction de surveillance du territoire (DST) et sont classifiées « secret-défense ». Elles concernent de présumés terroristes, leurs amis et les amis de leurs amis.

Consultée, comme la loi l’exige, la Cnil s’est contentée d’émettre un « avis favorable avec réserves » sur le projet de décret portant création au profit de la direction centrale du renseignement intérieur d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « CRISTINA »
 [3]. Sans qu’on sache en quoi elle y est « favorable ». Ni sur quoi portent ses « réserves ». Nous voilà pleinement rassurés.

D. H.
L’avis de la Cnil sur le projet de décret créant Cristina — bref sinon rassurant...

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La direction centrale du renseignement intérieur fait ses premiers pas

[LEMONDE.FR avec AFP, le 1er juillet 2008]

La direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui absorbe la DST (direction de la surveillance du territoire, contre-espionnage) et la DCRG (direction centrale des renseignements généraux), est effective depuis mardi 1er juillet à minuit.

La DCRI, qui voit le jour après l’adoption en conseil des ministres le 25 juin du décret de sa création [2], sera animée par le préfet Bernard Squarcini, qui devrait en être nommé directeur mercredi, lors du prochain conseil. Sa naissance marque la disparition des mythiques DST et RG. Cet outil se veut un " FBI à la française" en matière de renseignement.

Imaginée par le candidat Nicolas Sarkozy, elle a été imposée par le nouveau président, qui en avait confié la mise en œuvre à la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, dès son arrivée à l’Elysée.

Installée à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) dans des locaux ultra-sécurisés et forte de 4 000 fonctionnaires, dont 3 000 policiers dits "actifs", la DCRI traitera de ce qui "relève de l’intérêt de la nation" : terrorisme, grands mouvements de contestation, intelligence économique. C’est ce que les policiers nomment, dans leur jargon, le "milieu fermé", auparavant du ressort quasi exclusif de la DST.

Les policiers de la DCRI, dotés de l’habilitation "secret défense", seront implantés par zone dans chaque département. 175 commissaires, soit 10 % de l’effectif total, y seront affectés, dont une centaine à Levallois.

"RÉPARTITION DES TÂCHES INUTILES"

Pour le "milieu ouvert", plus traditionnel – comptage des manifestants, violences urbaines, conflits sociaux –, une sous-direction de l’information générale (SDIG) de 1 000 policiers est créée à la direction de la sécurité publique (DCSP).

Les 4 000 policiers des RG et les 2 000 de la DST ont été répartis dans ces deux structures "sans trop de dommages", selon leurs syndicats. La base a pourtant exprimé ses craintes face à une réforme inédite supprimant de facto deux services de police aux succès retentissants dans la lutte contre le terrorisme, mais parfois qualifiés de "barbouzes" à la suite de scandales.[...]

Le fichier de la DST, rebaptisé Cristina, échappe au contrôle de la Cnil

par Patricia Tourancheau, Libération le 26 juillet 2008

En parallèle d’Edvige, l’ancienne « documentation » de la Direction de la surveillance du territoire (DST) devient Cristina (centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux). C’est la fusion, ce mois-ci, des RG et de la DST dans un même service du renseignement intérieur qui a provoqué la refonte de leurs bases de données jusqu’alors sans nom.

« Nous n’avons pas ajouté de fichiers. Celui des RG créé en 1991 est devenu Edvige et a été remis au goût du jour pour lutter contre les violences urbaines en y ajoutant les mineurs à partir de 13 ans, précise la direction générale de la police nationale.Celui de la DST a été rebaptisé Cristina et relève du secret défense. » Ce fichier du terrorisme et des espions a été déclaré de façon « simplifiée » à la Cnil (commission nationale de l’informatique et des libertés) mais échappe à son contrôle. Car Cristina, géré par le service secret intérieur français, relève - tout comme son frère jumeau de la DGSE pour l’extérieur - de la protection de la sûreté nationale.

Ces fichiers-là, listés dans un décret du 15 mai 2007, bénéficient d’un régime spécial qui les exonère du droit commun et de la surveillance de la Cnil. Le très confidentiel Cristina englobe donc les suspects d’appartenance à un réseau lié au terrorisme et « leur environnement », à savoir contacts, familles et points de chute, religion ou « conversion à l’islam » : « Comment surveiller, sans ces renseignements, les jihadistes qui partent de France pour aller en Irak puis reviennent avec le risque qu’ils frappent en France ? », interroge un officier. [...]

P.-S.

[Note ajoutée le 13 nov 2008] – D’après La Nouvelle République du 23 septembre 2008, Cristina contiendrait 260.000 fiches d’individus suspects d’appartenance à des réseaux d’islamistes radicaux, les séparatistes basques et bretons, les indépendantistes corses ainsi que les personnes appartenant à des mouvements de subversion violents ou idéologiques.

Notes

[1La délibération 2008-174 du 16 juin 2008 de la Cnil sur le projet de décret créant le fichier Edvige.

Une autre délibération 2008-175 du 16 juin 2008 évoque la période transitoire.

[2Le décret n°2008-609 du 27 juin 2008 , publié au JO du 28 juin 2008, définit les missions et l’organisation de la DCRI.

[3Comme vous pouvez le constater, l’avis de la Cnil,
publié au JO du 1er juillet 2008 — délibération 2008-177 du 16 juin 2008 — comporte pour seule indication "Avis favorable avec réserves ".


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