Il ne faut pas perdre de vue qu’en créant les fichiers Edvige et Cristina, Michèle Alliot-Marie ne faisait que mettre en œuvre la politique définie par Nicolas Sarkozy et rappelée dans la feuille de route qu’il lui a adressée le 30 juillet 2007.
Faut-il rappeler également que, dès juillet dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies avait alerté sur les risques du fichier Edvige.
Cette politique a été programmée par Nicolas Sarkozy dès son arrivée au ministère de l’Intérieur en 2002 [1]. En mars 2003, il fait adopter la loi pour la sécurité intérieure (loi n° 2003-239 du 18 mars 2003) qui permet une extension des fichiers de police, notamment du Fnaeg (fichier national des empreintes génétiques), et qui légalise la consultation de ces fichiers lors d’enquêtes administratives.
Certes, nous assistons depuis une vingtaine d’années à un développement considérable du nombre des fichiers dits de sécurité et à une croissance constante du volume des informations qu’ils contiennent [2]. Mais avec Nicolas Sarkozy, dont le bilan au ministère de l’Intérieur dans la lutte contre les violences a été jugé « globalement négatif » par Sébastian Roché [3], on peut parler d’addiction au fichage.
L’une des explications se trouve peut-être dans cette phrase prononcée au printemps 2007 par celui qui était alors candidat à l’élection présidentielle : « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile » [4]. D’où la nécessité de constituer de gigantesques bases de données qui permettront, espère-t-il, d’anticiper en repérant à l’avance les groupes et les individus susceptibles de commettre tel ou tel délit.
On observera d’ailleurs, que, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement [5], le volume des informations collectées par Edvige sera plus important qu’il ne l’était dans le fichier des Renseignements généraux. Il ne s’agit pas d’un simple toilettage !
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies
Dès juillet dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a alerté sur les risques du fichier policier Edvige, appelant la France à revoir sa copie.
Cet organisme de surveillance examine les politiques des Etats en matière de libertés et droits civiques. Le 22 juillet 2008, dans un rapport rendu sur la France, les 18 experts ont alerté sur les dangers d’Edvige et plus généralement sur « la prolifération de différentes bases de données. » Voici le point 22 du rapport final [6] :
Le Comité reconnaît le rôle important joué par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour protéger l’intégrité et la confidentialité des informations concernant la vie privée d’un individu contre toute immixtion arbitraire ou illégale des autorités publiques ou de particuliers ou d’organismes privés, mais il s’inquiète de la prolifération de différentes bases de données, et relève que d’après les rapports qu’il a reçus, la collecte, le stockage et l’utilisation de données personnelles sensibles contenues dans les bases de données comme « EDVIGE » (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) et « STIC » (Système de traitement des infractions constatées) peut soulever des questions au regard de l’article 17 du Pacte. (art. 17 et 23). ( Voir ci-dessous.)
La France devrait prendre toutes les mesures voulues pour garantir que la collecte, le stockage et l’utilisation de données personnelles sensibles soient compatibles avec les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17 du Pacte. Compte tenu de l’Observation générale n° 16 (1988) relative au droit au respect de la vie privée, de la famille, du domicile et de la correspondance, et à la protection de l’honneur et de la réputation, la France devrait veiller en particulier à ce que :
- a. La collecte et la conservation de données personnelles dans les ordinateurs, dans des banques de données et selon d’autres procédés, que ce soit par les autorités publiques, des particuliers ou des organismes privés, soient régies par la loi ;
- b. Des mesures effectives soient adoptées pour garantir que ces informations n’arrivent pas entre les mains de personnes non autorisées par la loi à les recevoir, les traiter et les utiliser ;
- c. Les individus relevant de sa juridiction aient le droit de demander la rectification ou la suppression d’une donnée qui est incorrecte ou a été recueillie ou traitée en violation des dispositions de la loi ;
- d. Le fichier « EDVIGE » ne porte que sur les enfants à partir de 13 ans reconnus coupables d’une infraction pénale ;
- e. Le fichier « STIC » soit strictement limité aux individus qui sont soupçonnés, dans le cadre d’une enquête, d’avoir commis une infraction pénale.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [7]
Article 17
[1] Voir l’article de Pierre Piazza Pierre Piazza : derrière Edvige, la frénésie des fichiers.
[2] D’après le même article de Pierre Piazza :
FPR (fichier des personnes recherchées) ; FRG (fichier des renseignements généraux) ; FIT (fichier automatisé du terrorisme) ; FNT (fichier national transfrontière) ; FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) ; FAED (fichier automatisé des empreintes digitales) ; STIC (système national des infractions constatées) et JUDEX (système judiciaire de documentation et d’exploitation) bientôt fusionnés en un fichier appelé ARIANE, etc.
Parallèlement, les autorités françaises ont contribué à mettre en place ou envisagent de participer à l’alimentation et à l’exploitation de nouvelles bases de données biométriques : fichier des empreintes digitales des demandeurs de visas, système d’information Schengen II, fichier Eurodac, fichier national des passeports biométriques, etc.
[3] Sébastian Roché en janvier 2007 (voir : Sarkozy l’illusioniste : meilleur au jeu des lois qu’à une véritable maîtrise de la délinquance.)
[5] Un autre exemple de désinformation : le bruit qui a couru ces derniers jours selon lequel la LDH aurait fait l’objet d’une démarche de concertation de la part de la ministre de l’Intérieur sur le fichier Edvige, affirmation démentie par un communiqué de la LDH le 10 septembre.
[6] Voir article 2810.
[7] Le pacte est entré en vigueur en 1976 - Référence : http://www.unhchr.ch/french/html/me....