Jean-Pierre Dubois : le fichage Edvige mélange ordre public et renseignement politique


article de la rubrique Big Brother > Edvige et Cristina
date de publication : mardi 22 juillet 2008
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« Le nouveau fichier Edvige des "personnes portant atteinte à l’ordre public" est un pas de plus vers une société de surveillance généralisée » estime Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). La création de ce fichier qui mêle citoyens ordinaires et responsables politiques, discrètement annoncée au Journal officiel du 1er juillet 2008, provoque une mobilisation sans précédent. Près de 40 000 personnes et près de 300 associations ont d’ores et déjà signé la pétition pour l’abandon du fichier. La Ligue des droits de l’Homme a décidé de saisir le Conseil d’Etat.


Il s’agit d’un pas de plus vers une société de surveillance généralisée

par Jean-Pierre Dubois, Contrejournal de Liberation, le 18 juillet 2008

Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) est un nouveau fichier qui s’inspire des caractéristiques de l’ancien fichier des Renseignements généraux, en les aggravant. Il est créé en même temps que la fusion entre les Renseignements Généraux et la DST (Direction de Surveillance du Territoire), au sein d’une même agence de renseignements — la Direction Centrale de la Sécurité Publique. Son but est de recenser des personnes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, en dehors du cadre des procédures judiciaires et ce, pour des gens qui n’ont pas de casier. Mais ce fichage est censé inclure les responsables syndicaux, chefs d’entreprises ou personnalités politiques, qui n’ont aucun rapport avec la notion d’ordre public mise en avant [1]. Les informations concerneront à la fois le domaine public comme l’appartenance politique, l’engagement associatif, l’appartenance religieuse mais aussi des données beaucoup plus personnelles comme l’orientation sexuelle ou la situation familiale.

Ce mélange des genres est extrêmement choquant puisqu’on confond les suspects aux yeux d’un policier et les représentants de la société civile. La deuxième critique concerne le fichage de mineurs dès l’âge de 13 ans. Même si la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot Marie, a affirmé que la majorité pénale était effective à cet âge là, on sait qu’elle n’est prise en compte par les tribunaux que dans des cas exceptionnels. De toute façon la majorité pénale est hors sujet dans la mesure où EDVIGE n’ aucun rapport avec une décision de justice.

Edvige ignore la séparation des pouvoirs politiques, judiciaires et informatiques puisque il n’y a plus de distinction entre une décision de justice et un fichage politique. Il viole aussi la présomption d’innocence puisqu’il n’y a pas de jugement. La consultation directe au fichier n’est pas possible, sauf en passant par la CNIL, la contestation non plus. On sait pourtant que certains employeurs s’informent sur leurs salariés grâce aux Renseignements Généraux.

A l’heure actuelle, environ 20 millions de personnes sont fichées. La majorité des Français n’en a pas conscience et estime qu’elle n’a rien à cacher, mais les dérives existent. Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) était, par exemple, destiné à l’origine au fichage des délinquants sexuels mais il est aujourd’hui utilisé pour des délits comme les infractions routières. La situation est encore plus complexe en ce qui concerne le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées ) puisqu’il s’agit d’une base de donnée interconnectant les fichiers policiers et répertoriant toute personne ayant été concernée par une procédure judiciaire (crimes, délits et contraventions diverses et variées), qu’elle soit mise en cause ou bien... victime. Et quand bien même le mis en examen est blanchi. Nous ne sommes pas hostiles au recours à des outils informatiques si ceux-ci sont réservés à des cas précis et n’engendrent pas l’expansion permanente du fichage des individus.

On entre aujourd’hui de plus en plus dans un État informatique, avec le développement de techniques de surveillance (caméras, puces à radio fréquence présente dans les cartes de crédit, de transport ...). La vidéo surveillance n’est pas aussi visible que les contrôles d’identité. Cela n’en reste pas moins une privation de liberté et une remise en cause de la protection de la vie privée. Ces évolutions techniques entraînent un rapport de plus en plus déséquilibré entre le citoyen et le pouvoir.

Ce fichier ouvre la porte à une stigmatisation de la population et à toutes formes de discrimination. Cette logique de contrôle social exercé par l’État est aujourd’hui incontrôlée. Alors qu’en droit pénal, une infraction doit être précise, qu’entend-on aujourd’hui derrière le terme "d’atteinte à l’ordre public" ?

Avec d’autres organisations comme le syndicat de la Magistrature, Le collectif Droits Et Libertés face à l’Informatisation de la Société (DELIS), IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire), la ligue Des Droits de l’Homme a décidé de saisir le Conseil d’Etat. »

Jean-Pierre Dubois

Le décret : ce qu’Edvige fichera... à quelles fins ?

Les deux extraits suivants du décret le créant [2] précisent les finalités d’Edvige ainsi que les données personnelles qu’il est prévu d’y enregistrer.

L’article 2 du décret concerne les données personnelles :

Les catégories de données à caractère personnel enregistrées dans [Evige] et concernant des personnes physiques âgées de treize ans et plus sont les suivantes :

  • informations ayant trait à l’état civil et à la profession ;
  • adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ;
  • signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ;
  • titres d’identité ;
  • immatriculation des véhicules ;
  • informations fiscales et patrimoniales ;
  • déplacements et antécédents judiciaires ;
  • motif de l’enregistrement des données ;
  • données relatives à l’environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle.

L’article 1 précise les finalités du fichier :

Edvige a pour finalités [...] , en vue d’informer le Gouvernement et les représentants de l’Etat [...] :

  1. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif, sous condition que ces informations soient nécessaires au Gouvernement ou à ses représentants pour l’exercice de leurs responsabilités ;
  2. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ;
  3. De permettre aux services de police d’exécuter les enquêtes administratives qui leur sont confiées en vertu des lois et règlements, pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales intéressées est compatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées.

Notes

[1Il recensera, de manière systématique et généralisée, toute personne « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique, ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ».

[2Le décret N° 2008-632 du 27 juin 2008 créant Edvige a été publié au JO du 1er juillet 2008 : http://www.legifrance.gouv.fr/affic... .


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