à propos de l’extension du domaine du fichage


article de la rubrique Big Brother > Edvige et Cristina
date de publication : vendredi 4 juillet 2008
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Une page de ce site intitulée Edvige, fichez-moi tous ces mineurs... reprend les communiqués par lesquels la LDH, le Syndicat de la Magistrature et le Snpes-PJJ/FSU (Syndicat d’éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse) réagissent à la création d’Edvige, dernier en date de la grande famille des fichiers sécuritaires. Vous y trouverez également des liens vers le décret le créant et vers la délibération correspondant de la Cnil.

Ci-dessous, quelques compléments concernant Edvige, et notamment une interview du porte-parole du ministère de l’Intérieur ainsi qu’un communiqué qui exprime les “réserves” de la Cnil.


Signer l’appel demandant l’abandon du fichier Edvige

Fichage dès 13 ans : “le gouvernement assume”

propos recueillis par Alexandra Guillet, tf1.lci.fr, le 2 juillet 2008

Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur, justifie la création du fichier Edvige par la montée en puissance de la délinquance juvénile.

  • Pourquoi ficher des jeunes dès l’âge de 13 ans ?

Vous savez que nous sommes confrontés à une montée en puissance de la délinquance des mineurs. Ils représentent aujourd’hui 20% des personnes mises en cause dans des faits de délinquance. Il fallait que la police nationale se dote d’un outil de surveillance et de prévention qui prenne en compte ce phénomène. Quant à l’âge, 13 ans, c’est l’âge à partir duquel on est pénalement responsable et que l’on peut répondre de ses actes devant la justice.

  • Seront fichés toutes les personnes "susceptibles de troubler l’ordre public", c’est très flou comme concept...

C’est le même critère que l’on applique déjà pour les majeurs dans les fichiers des Renseignements généraux. Prenons un exemple pour le rendre plus concret : un jeune appartient à une bande qui se livre à des insultes ou des agressions dans un endroit donné. Même si ce jeune n’a, lui-même, pas encore commis d’acte ou été pris en flagrant délit, il risque, en faisant partie de cette bande, d’être amené à en commettre. Imaginons que la bande fasse un acte grave, on sera en mesure d’interpeller ce jeune homme et de savoir très vite s’il est partie prenante dans l’action délictuelle ou s’il est à mettre hors de cause rapidement. L’enquête avancera plus rapidement.

  • Quels types d’informations figureront dans ce fichier ?

Elles sont très précisément répertoriées par le décret. Elles concernent l’identité de l’individu (ndlr : état civil, adresse, téléphone, mail, photo, signes particuliers...). Je rappelle que malgré les réserves de la Cnil, le Conseil d’Etat, qui est un garant rigoureux des libertés publiques a validé ce décret et que la Cnil aura accès à tout moment à ce fichier et pourra le contrôler. Et les personnes qui seront dans ce fichier y auront également accès.

  • La Cnil a émis des réserves notamment sur l’encadrement et la durée de conservation des données, quelles réponses leur avez-vous apporté ?

Nous avons pris acte de ces réserves, mais l’avis de la Cnil, que nous devons recueillir ne nous lie pas obligatoirement.

  • On a l’impression que c’est encore un fichier, est-ce bien nécessaire ?

Non, ce n’est pas "encore" un fichier. C’est l’ancien fichier des renseignements généraux qui, dans le cadre de la réorganisation du renseignement en France, est transféré à la sous-direction des informations générales (Sdig), rattachée à la sécurité publique. Simplement, il est élargi aux mineurs à partir de 13 ans.

  • La semaine dernière, Rachida Dati a évoqué la mise en place d’un fichier pour recenser les bandes de jeunes. Il ressemble à Edvige...

Je ne sais pas à quel fichier pense la ministre de la Justice, mais il certain que celui dont je vous parle existait déjà. Son élargissement était prévu de longue date et n’a donc rien à voir avec les déclarations éventuelles de Madame Dati.

  • Le premier syndicat d’éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (Snpes-PJJ/FSU) dénonce mercredi "la conception sécuritaire du gouvernement" et "l’instrumentalisation des faits divers pour créer un fichier de plus".

Nous assumons complètement la conception sécuritaire du gouvernement et nous la revendiquons dans la mesure où il s’agit de répondre à des phénomènes d’insécurité grave. Nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la délinquance des mineurs. Et nous souhaiterions que les syndicats d’éducateurs en tiennent compte également.

Polémique sur les nouveaux pouvoirs de fichage

par Jean-Marc Leclerc, le Figaro, jeudi 3 juillet 2008

Des informations sur les mineurs de 13 ans, susceptibles de troubler l’ordre public, mais aussi sur les opinions politiques, la santé ou l’orientation sexuelle des personnes, pourront être collectées.

La réforme du Renseignement policier avait un volet caché. Depuis le 1er juillet, parallèlement à cette réorganisation, un nouveau décret autorise le fichage des mineurs « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public » dans une base de données répondant au doux nom d’Edvige. Des associations, comme la Ligue de défense des droits de l’homme, protestent contre ce système qui va permettre de « tracer comme futurs délinquants présumés les enfants ».

La motivation du gouvernement a été exprimée par la ministre de l’Intérieur, lors d’une audition à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) : « La mutation affectant la délinquance juvénile. »« Quoi de plus normal !, renchérit un directeur de la Sécurité publique : aujourd’hui, les adolescents que l’on retrouve dans les dossiers de violence urbaine sont de plus en plus jeunes. »

Selon un homme du Renseignement, « les RG fichaient déjà certains ados violents de 16 ans », même si les textes les limitaient en principe aux majeurs.

Le président de la Cnil, Alex Türk, le dit : « Le gouvernement a passé outre à plusieurs de nos recommandations. » Selon lui, on doit d’ailleurs à sa ténacité le fait que Michèle Alliot-Marie n’ait pas couvert par le secret le décret organisant les fichiers de ses nouvelles « grandes oreilles ». Ce qui aurait empêché un débat public et le contrôle de la Cnil. L’Intérieur y aurait renoncé à la « mi-mai », dit le président Türk.

« De manière exceptionnelle »

Dans l’article 2 du décret du 1er juillet, il est expressément fait référence à la possibilité de ficher des personnes pour leurs « opinions politiques, philosophiques ou religieuses » et non plus seulement en raison de leurs « activités » politiques, philosophiques ou religieuses . « Ce n’est pas la même chose ! », commente Alex Türk. Dans son avis du 16 juin dernier sur le projet de MAM, la Cnil avait, en effet, estimé que « les conditions d’enregistrement de ce type de données étaient plus strictement définies » dans l’ancien décret de 1991 relatif au fichier des RG.

Et ce, disait la Cnil, « dans un souci de préservation des libertés individuelles et de protection de la vie privée, se limitant en particulier aux activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales des personnes majeures ».

Alex Türk veut croire cependant que l’inscription des « opinions » concernera seulement les personnalités. « On ne va pas mettre les opinions des Français en fiche », assure-t-il.

Plus inquiétant, selon lui, est le maintien par l’Intérieur de la possibilité d’inscrire dans Edvige des informations sur la santé des personnes ou leur orientation sexuelle. La Cnil a obtenu que ces informations ne figurent pas pour les personnalités susceptibles d’être inscrites au fichier du fait de leurs engagements politique, confessionnel ou de leur statut (patron, élu, prélat, journaliste, syndicaliste…). Pour les autres personnes, moins connues, la Cnil a obtenu de l’Intérieur que la mention au fichier soit faite « de manière exceptionnelle ».

Le gouvernement a donc finalement fait quelques concessions. Comme l’interdiction préconisée par le gendarme des fichiers de toute mention relative aux déplacements et au comportement des individus. MAM y a ajouté l’interdiction de croiser Edvige avec d’autres fichiers.

La nouvelle règle du jeu du fichage politique et social est désormais « irréversible, explique la Cnil, sauf recours au contentieux ». Le décret pourrait en effet être attaqué devant le Conseil d’État. Alex Türk l’affirme, en tout cas : « Les juristes trouvent ce décret illisible. » Mais pas les anciens RG…

Jean-Marc Leclerc

Communiqué de la Cnil

L’avis de la CNIL sur le nouveau fichier de renseignement Edvige

La CNIL s’est prononcée le 16 juin sur la création du fichier Edvige, mis en oeuvre par le ministère de l’intérieur dans le cadre de la réforme des services français du renseignement et confié à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP).

Les points sur lesquels l’avis de la CNIL a été suivi par le Ministère de l’Intérieur :

Le ministère de l’intérieur avait souhaité que le décret de création du fichier « Edvige » ne soit pas publié au Journal officiel. Dans un souci de transparence démocratique et d’information des citoyens, la CNIL a demandé à ce que ce texte soit publié afin que le débat public puisse exister. Elle a obtenu satisfaction puisque tant l’acte créant ce fichier que son avis ont été publiés.

La publication de la création de ce fichier a également pour conséquence juridique de permettre le contrôle sur place et sur pièces de ce fichier par la CNIL, ce qui constitue une garantie supplémentaire.

La CNIL a obtenu que le traitement ne fasse l’objet d’aucune interconnexion, aucun rapprochement ni aucune forme de mise en relation avec d’autres fichiers, notamment ceux de police judiciaire.

La CNIL a obtenu que l’enregistrement de données concernant les personnalités publiques, syndicales , religieuses ou politiques (élus locaux et nationaux) soit nettement plus limité que dans le projet de décret initial. Ainsi, le décret ne prévoit plus, notamment, l’enregistrement de données relatives au « comportement » ou aux « déplacements » de ces personnalités, ce qui garantit pleinement l’exercice de leurs fonctions. De même, la CNIL a obtenu que les données concernant l’orientation sexuelle ou la santé de ces personnalités ne soient enregistrées que de « manière exceptionnelle ».

Le projet de décret ne prévoyait aucune limite dans la durée de conservation des données enregistrées. La CNIL a obtenu qu’une durée limitée à 5 ans soit définie s’agissant des informations collectées sur une personne faisant l’objet d’une enquête administrative pour l’accès à certains emplois (de sécurité etc..).

La CNIL maintient ses réserves sur certains points :

Concernant la collecte d’informations relatives aux mineurs, la CNIL a rappelé son attachement à ce que le principe d’une telle collecte reste exceptionnel et soit entouré de garanties particulièrement renforcées. Elle a notamment exprimé le souhait que l’âge minimum lié à la collecte d’informations sur des mineurs soit de 16 ans, et non de 13 ans. La CNIL regrette la confusion de la rédaction retenue par le décret et le maintien du seuil de 13 ans pour les personnes dont l’activité est « susceptible de porter atteinte à l’ordre public ».

La question de l’âge des personnes susceptibles d’être enregistrées dans le fichier doit être mise en relation avec l’absence de limite dans la durée de conservation des données. En effet, si des mineurs peuvent être à l’origine de « troubles à l’ordre public », en revanche de tels faits ne doivent pas leur être opposés 30 ans après, voire plus. Le droit de changer, le droit à l’oubli, doivent être assurés pour tous, y compris pour les citoyens de demain.

La CNIL regrette que la possibilité de collecter désormais des informations relatives aux origines ethniques, à la santé et à la vie sexuelle des personnes ne soit pas assortie de garanties suffisantes. Elle sera particulièrement vigilante sur ce point et utilisera son pouvoir de contrôle pour s’assurer du caractère « exceptionnel » de l’enregistrement de ces données dans le fichier.

De même, la CNIL n’a pas obtenu d’informations précises sur les niveaux de sécurité technique entourant le fonctionnement du fichier "Edvige" ni sur l’existence éventuelle d’un dispositif de traçabilité qui permettrait de vérifier les conditions d’accès, par les autorités publiques, aux données figurant dans le fichier.

Enfin, la CNIL regrette l’absence dans le décret d’une procédure formalisée de mise à jour et d’apurement des fichiers. Elle prend acte cependant de l’obligation annuelle pesant sur le directeur général de la police nationale de rendre compte à la CNIL de ses activités de vérification, de mise à jour et d’effacement des informations enregistrées dans Edvige.

Paris le 2 juillet 2008


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