la LDH sur le rapport Jospin : “l’urgence démocratique commande plus et mieux”


article communiqué de la LDH  de la rubrique démocratie
date de publication : samedi 10 novembre 2012
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Lionel Jospin a remis, le 9 novembre 2012, le rapport de la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique qu’il présidait. Elle préconise 35 propositions qui modifieront les règles du jeu de la vie publique.

Ci-dessous le commentaire de la LDH sur ce rapport, puis une liste des propositions qui semblent les plus importantes. On retrouve en première ligne le problème du cumul des mandats dont l’exemple du stakhanoviste [1] Hubert Falco rend superflu tout commentaire :

  • sénateur depuis 1995, avec deux intermèdes au gouvernement de juin 2002 à octobre 2004, puis de mars 2008 à novembre 2010,
  • et maire de Toulon depuis 2001,
  • et président de la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée depuis sa création en 2002.


Communiqué de la LDH

« Commission Jospin » : l’urgence démocratique commande plus et mieux

La Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique vient de rendre son rapport, qui doit alimenter la préparation d’un projet de révision de la Constitution pour le début de l’année 2013.

On y retrouve une part importante des engagements pris en la matière par le candidat François Hollande : responsabilité pénale du président de la République pour les actes détachables de ses fonctions, interdiction des cumuls entre mandat parlementaire et fonctions exécutives locales, renforcement des sanctions financières en cas de non respect de la parité, instillation d’une dose de représentation proportionnelle dans le mode d’élection des députés. A quoi s’ajoutent des propositions concernant le « parrainage citoyen » des candidats à la présidentielle, la suppression de la Cour de justice de la République, la prévention des conflits d’intérêts, etc.

La plupart de ces propositions constituent des avancées non négligeables ; celle qui concerne le cumul des mandats touche même à un des vices essentiels du système politique français. Mais l’ensemble reste bien limité au regard de la mission de « rénovation de la vie publique », et surtout les silences et les lacunes pèsent fort lourd dans la balance.

Que vont devenir les engagements du candidat sur l’indépendance de la justice, sur l’indépendance des médias, sur l’inéligibilité des élus condamnés pour corruption, et surtout sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, promesse non tenue depuis plus de trente ans ? Comment traiter de la rénovation de la vie publique en faisant l’impasse sur la séparation des pouvoirs et sur l’élargissement de la citoyenneté ?

La crise de confiance dans l’efficacité du politique et dans l’effectivité démocratique, manifestement sous-estimée par la Commission, doit être traitée à la mesure de sa gravité. Cela suppose au moins que les promesses faites devant les électeurs soient tenues lorsqu’aucune contrainte extérieure ne l’empêche.

Cela exige une démocratisation significative des institutions de la Ve République, qu’il s’agisse du droit de vote, de la démocratie participative ou des contre-pouvoirs.

Cela doit conduire enfin à soumettre le projet de révision de la Constitution, après son examen par les deux assemblées parlementaires, à l’approbation du peuple souverain : aucune avancée démocratique sérieuse ne peut passer par un nouvel escamotage du référendum comme procédure de décision sur ces sujets essentiels.

La Ligue des droits de l’Homme appelle les acteurs politiques de la révision de la Constitution, et singulièrement le président de la République, à faire plus sur le fond, et mieux sur la méthode démocratique, pour ne pas creuser davantage encore le fossé entre les pouvoirs et les citoyens.

Paris le 10 novembre 2012

Les propositions principales de la commission Jospin

par Baptiste Legrand, Nouvel Obs


1. Cumul des mandats

La commission recommande l’interdiction du cumul d’un mandat de parlementaire avec un mandat "d’exécutif local" (maires et adjoints, présidents et vice-présidents de groupement de communes, de conseil général et de conseil régional).

Ce régime s’appliquerait aux députés comme aux sénateurs, qui pourraient toutefois tous détenir un mandat de conseiller municipal, communautaire, général ou régional, sans fonction exécutive.

Pour l’instant, les parlementaires pourront continuer de cumuler avec une fonction de simple conseiller municipal, général ou régional. "La commission inscrit sa proposition dans la perspective d’une évolution vers un mandat unique, mais elle n’a pas jugé souhaitable de proposer d’en brusquer l’échéance." Mais la commission préconise que le parlementaire ne perçoive aucune rémunération pour son mandat local.

Pour ce qui concerne les ministres, la commission propose d’interdire le cumul d’une fonction ministérielle avec l’exercice de tout mandat local. La démission du mandat exécutif local serait entière ; la commission écarte tout système de remplacement temporaire.

La commission propose que le non-cumul s’applique dès les élections de 2014, sans attendre 2017.

Elle prône aussi un statut de l’élu afin de faciliter le retour à l’emploi à la fin du mandat.

2. 10% de proportionnelle

La commission propose que 58 députés sur 577 soient élus à la proportionnelle, soit "10%, au plus", dans une circonscription nationale. Aucun seuil minimal ne serait requis pour prétendre à la répartition des sièges. De plus, "les candidats sur les listes nationales seraient distincts de ceux qui briguent un siège au scrutin nominal". La proportionnelle ne sera donc pas recours pour les battus.

Concrètement, l’électeur disposerait de deux voix : l’une pour le scrutin uninominal, l’autre pour le scrutin proportionnel, "les deux votes étant indépendants".

Conséquence : il faudra redécouper les circonscriptions législatives. La commission propose un nouveau mode de répartition fondé sur des critères démographiques plus équitables.

Elle propose également d’empêcher les situations dans lesquelles un seul candidat pourrait se maintenir au second tour des législatives. Si le candidat arrivé second se désiste, le troisième pourrait se maintenir.

La commission propose aussi de passer au scrutin proportionnel de liste pour élire les députés des Français de l’étranger (dans deux grandes circonscriptions).

3. Election des sénateurs

La désignation des grands électeurs "favorise à l’excès la représentation de communes rurales faiblement peuplée", constate la commission, qui propose de changer le collège électoral : chaque vote des élus des communes, des conseillers généraux et des conseillers régionaux serait pondéré en fonction de la démographie, par un coefficient allant de 1 à 15. Les députés ne feraient plus partie du collège élisant les sénateurs.

La commission propose aussi d’étendre le scrutin proportionnel aux départements élisant 3 sénateurs au moins. La proportionnelle concernerait ainsi 255 sénateurs sur 348, soit 73%. La commission propose aussi d’étudier un changement d’échelle, en élisant les sénateurs dans des circonscriptions régionales.

Les Français pourraient être candidats au Sénat dès l’âge de 18 ans, comme pour les autres scrutins.

4. Election présidentielle

Adieu les 500 parrainages de maires et de grands élus. La commission préconise à la place "un parrainage citoyen" avec 150.000 signatures, "au moins". Elles devraient émaner d’au moins 50 départements avec un maximum de 5% des parrainages par département. Le contrôle serait confié aux préfectures. Le nom des parrains ne serait pas rendu public.

La commission propose d’avancer de deux mois la tenue de la présidentielle et des législatives, actuellement en avril-mai et en juin. Le but : donner au nouveau gouvernement "la faculté d’engager et de conduire ses premières réformes dans les meilleures conditions", avant l’été. La commission propose aussi de réduire le délai entre la présidentielle et les législatives (5 semaines actuellement).

Elle propose aussi la fermeture de tous les bureaux de vote à 20h en métropole, quelque soit la taille de la commune, et ceci dans le but d’éviter que soient publiés avant 20h des estimations calculées à partir des bureaux de vote dépouillés à 18h.

Pour ce qui concerne les règles d’accès des candidats aux médias, la commission prône le maintien de l’encadrement du temps d’antenne et de l’interdiction de la publicité politique.

5. Statut pénal du président de la République

La commission propose de "mettre fin à l’inviolabilité pénale du président de la République" qui pourrait "être poursuivi et jugé au cours de son mandat pour tous les actes qu’il n’a pas accomplis en qualité de chef de l’Etat".

Il y aurait cependant des "règles de compétences et de procédures particulières", notamment une phase d’examen des requêtes par une commission chargée d’écarter les actions touchant à la fonction présidentielle ou celles "abusives ou manifestement infondées".

La commission propose aussi de mettre fin à l’inviolabilité du chef de l’Etat dans les affaires de justice civile.

Pour ce qui concerne la procédure de destitution du président de la République (article 68 de la Constitution), la commission propose de supprimer toute référence à la "Haute cour". La destitution serait prononcée par le Parlement réuni en Congrès.

6. Statut pénal des ministres

Elle propose de supprimer la Cour de justice de la République, qui juge actuellement les ministres pour des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions.

7. Prévention des conflits d’intérêt

La commission consacre un tiers de son rapport à la moralisation de la vie publique (propositions 20 à 31), "enjeu essentiel pour conforter la confiance des citoyens dans les institutions". Elle formule un grand nombre de propositions ambitieuses, qui mettent l’accent sur la prévention plutôt que sur la répression.

Un ministre ne pourrait plus diriger un parti politique, une association ni une entreprise. Les fonctions de ministre seraient "incompatibles avec toute fonction de direction ou d’administration au sein d’un parti politique et de toute autre personne morale (sociétés commerciales ou associations, notamment".

Les ministres et leurs collaborateurs, ainsi que ceux du chef de l’Etat, certains hauts fonctionnaires et les parlementaires devraient remplir "une déclaration d’intérêts et d’activité", qui serait publique pour les ministres et parlementaires.

Une "Autorité de déontologie de la vie publique" contrôlerait ces déclarations d’intérêt et conseillerait les institutions en matière de déontologie.

8. Parité femmes-hommes

La commission propose de renforcer les pénalités financières pour les partis politiques qui ne présentent pas autant de candidates que de candidats lors des élections législatives. Elle propose aussi un bonus financier pour les partis qui respectent la parité.

9. Conseil constitutionnel

La commission propose que les ex-présidents de la République ne soient plus membres de droit du Conseil constitutionnel. Actuellement, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy sont membres de droit.

10. Financement des campagnes politiques

Les plafonds et les contrôles sont jugés globalement satisfaisants - ou bien impossibles à améliorer. La commission appelle seulement à changer les modalités de calcul du remboursement public des formations politiques lors de l’élection présidentielle, afin d’éviter "l’effet de seuil" pour les candidats qui dépassent 5% au premier tour.

Un projet de loi début 2013

L’Elysée annonce que plusieurs projets, "dont un projet de loi constitutionnelle", seront "déposés au Parlement au début de l’année 2013", après consultation par François Hollande des présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat ainsi que des chefs des partis représentés au Parlement.

Installée le 25 juillet, la commission présidée par Lionel Jospin comprend 14 membres, sept hommes et sept femmes. Ses membres sont des universitaires, juristes et hauts fonctionnaires, à l’exception de l’ancien Premier ministre et de l’ex-ministre UMP Roselyne Bachelot.

Notes

[1Alexeï Grigorievitch Stakhanov (1905-1977) : lors d’un concours, ce mineur soviétique réussit à extraire 102 tonnes de charbon en une seule journée de travail, le 31 août 1935.
Voir également Hubert Falco : bribes pour une biographie politique.


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