Michel Reydellet : “pour un authentique big bang démocratique”


article de la rubrique démocratie
date de publication : mardi 20 novembre 2012
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Dans le rapport qu’elle a remis à François Hollande le 9 novembre 2012, la commission présidée par Lionel Jospin a proposé de renouveler le cadre institutionnel [1].

Il se trouve quelques constitutionnalistes pour estimer, avec la Ligue des droits de l’Homme, que ces propositions sont trop timides. L’un d’entre eux, Michel Reydellet, maître de conférences à l’Université du Sud Toulon-Var, développe ce point de vue.


POUR UN AUTHENTIQUE « BIG BANG DEMOCRATIQUE »

Si le rapport Jospin s’intitule « Pour un renouveau démocratique », Le Monde du 10 novembre n’hésite pas à titrer « Le rapport Jospin prône un big bang politique ». Effectivement, ça n’est pas rien de vouloir moderniser l’élection présidentielle, de rendre le parlement plus représentatif, de rompre enfin avec le sacro-saint cumul des mandats, de faire des membres de l’exécutif des justiciables presque comme les autres et de tenter de prévenir les conflits d’intérêts.

Il n’y a pas si longtemps un ministre pouvait à la fois gérer le budget de l’Etat et celui du parti du président, cependant que le procureur qui avait ses entrées à l’Elysée faisait obstacle à l’ouverture d’une instruction dans l’affaire familiale d’une généreuse donatrice. Aurions nous changé de latitude ? une République sans les bananes ?

Et pourtant, ce rapport de la « Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique » laisse un goût d’inachevé… constatons, une fois de plus, l’absence de tout référendum d’initiative populaire : à ne pas oser aller assez loin on risque de rater l’objectif qu’on s’était fixé.

En un demi siècle la gauche n’a jamais pu réviser la Constitution que Charles de Gaulle avait conçue dans l’ambiguïté de la guerre d’Algérie, pour une raison simple : le Sénat et sa sempiternelle majorité à droite y aurait fait obstacle. Pour la première fois elle peut espérer refonder la démocratie française pour le XXI° siècle ; quelle ne laisse pas passer cette chance historique, l’Histoire ne repasse pas les plats !

Le statut pénal du chef de l’Etat

Pour les actes commis en dehors de l’exercice de ses fonctions le président cesserait d’être le seul citoyen ne pouvant avoir à répondre devant un tribunal (même pour une demande en divorce) alors qu’il peut lui-même se constituer partie civile. Les ministres relèveraient désormais des tribunaux, après filtrage des requêtes par une commission de hauts magistrats. La commission n’hésite pas à sortir du cadre strict de sa mission pour préconiser d’en finir avec les membres de droit (à vie) du Conseil constitutionnel. Il s’agit effectivement d’une disposition qui est devenue aberrante avec la QPC : imagine-t-on un ancien président qui avait fait voter une loi liberticide avoir à statuer sur son propre texte ou encore l’autorité d’un ancien président, sur le point d’être condamné pénalement statuant sur la question de constitutionnalité soulevée par son propre avocat ? Mais il faut aller plus loin, on ne peut continuer de considérer le président comme un arbitre suprême qui « veille au respect de la Constitution », est « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » et nomme le président du Conseil constitutionnel . Tout cela doit revenir désormais à une véritable Cour suprême composée de vrais juges constitutionnels coiffant l’ensemble de nos juridictions, y compris les magistrats du parquet, et dont l’indépendance corresponde à l’ampleur de ses fonctions juridictionnelles et au rôle que joue désormais le Conseil pour la défense de nos libertés. La France serait ainsi enfin dotée d’un véritable pouvoir judiciaire.

Un parlement plus représentatif

On peut regretter que le rapport ne propose pas de revenir sur l’inversion du calendrier (qui fut effectuée par Lionel Jospin avec la loi du 15 mai 2001) qui redonnerait son sens aux élections législatives et limiterait un peu la personnalisation du régime.

Pour l’élection des députés le rapport ne remet pas en cause le scrutin majoritaire mais reprend l’idée souvent évoquée d’une « dose » de proportionnelle pour élire 10% d’entre eux sur une liste nationale.

Pour le Sénat il y aurait un rééquilibrage entre les collectivités au sein du corps électoral, les votes des grands électeurs seraient pondérés selon l’importance démographique et on reviendrait à la proportionnelle à partir de trois sénateurs. On ne peut douter de l’intérêt de ces propositions. Pour autant elles donnent l’impression d’un « replâtrage » laborieux de l’existant, alors qu’une autre solution, préconisée depuis longtemps, a été écartée avec regret : « La commission est consciente qu’une réflexion plus fondamentale sur la place du Sénat dans nos institutions devra sans doute être engagée, qu’il s’agisse de satisfaire pleinement aux exigences de représentativité du parlement ou de tirer toutes les conséquences de l’approfondissement de la décentralisation »… on ne saurait mieux dire !

La véritable réforme consiste à conserver une Assemblée élue au scrutin majoritaire pour dégager une majorité pour gouverner et à instituer un nouveau Sénat, véritable chambre des collectivités, élue par les Français directement, à la proportionnelle sur une base régionale.

Cette assemblée enfin élue démocratiquement représentera l’opinion dans ses diverses composantes et viendra couronner l’achèvement de la décentralisation. A ce stade il faut supprimer le département dont les compétences seraient réparties entre les intercommunalités (et les métropoles) et des régions renforcées.

Cette piste semble avoir été envisagée lors des travaux mais abandonnée après que le président du Sénat Jean-Pierre Bel ait fait savoir qu’un changement radical du mode de scrutin sénatorial « risquait de se heurter à un mur infranchissable » d’où le regret exprimé par la commission ! demander au Sénat de se transformer en une assemblée démocratique c’est comme de lui demander de voter sa propre disparition : cela pourrait prendre des siècles…

Les difficultés de la réforme

L’interdiction du cumul du mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale relève de la loi ordinaire mais se heurtera à l’opposition de certains sénateurs arguant de ce qu’ils représentent les collectivités territoriales, comme si l’implication locale ne pouvait se contenter d’un simple mandat dans une assemblée locale et de la permanence qu’ils devraient assurer auprès de leurs électeurs.

Par contre l’institution, au sein de l’Assemblée de deux catégories bien distinctes de députés peut poser problème du point de vue du principe d’égalité : 519 seront des députés de terrain et 58 seront des personnalités placées en tête de la liste nationale de leur parti, sans avoir eu à « battre la campagne » (même si le projet prévoit astucieusement de transposer le double vote allemand pour poser que tous seraient élus par les Français).

L’élection d’un nouveau Sénat par les Français eux-mêmes tout comme l’institution d’une véritable Cour suprême incarnant le nouveau pouvoir judiciaire supposent évidemment une révision de la Constitution ce qui est a-priori possible pour la première fois sous la V° République.

La gauche a remporté toutes les élections et les propositions du « rapport Jospin » ont reçu un bon accueil des formations centristes (sans parler des députés du Front de gauche et de ceux du Front national aussi séduits par la proportionnelle). Cela devrait permettre l’adoption de la réforme par les deux chambres, même si des voix viennent à manquer, notamment chez certains sénateurs, même socialistes, attachés à leur cumul et à leur élection de notables (qui dira le charme de ces déjeuners républicains à la préfecture assurant le report des voix pour le deuxième tour, entre la poire et le fromage). Cela pourrait illustrer le constat que tous les conservateurs ne sont pas de droite.

Si les trois cinquièmes des parlementaires ne donnaient pas leur aval à cette refondation de la démocratie le président de la République pourrait soumettre aux Français ce grand dessein qui vise vraiment à réduire la fracture entre les citoyens et leur classe politique.

Il s’agit de redonner la parole aux citoyens et une chambre élue au suffrage indirect et inégalitaire ne saurait y faire obstacle sans mériter le qualificatif de « survivance des chambres aristocratiques » selon la formule de Lionel Jospin.
En 1962 Charles de Gaulle supprima les grands électeurs pour l’élection présidentielle par référendum direct ; il appartient à François Hollande de supprimer les derniers grands électeurs pour l’élection sénatoriale ce qui semble possible par la voie de l’article 89 ; mais si le Sénat devait, par défense corporatiste, bloquer la réforme de nos institutions voulue par une majorité de citoyens rendus conscients des enjeux, le précédent de 1962 pourrait s’appliquer, cinquante ans après.

Michel Reydellet


Notes

[1Le rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique (CRDVP) : http://www.lemonde.fr/mmpub/edt/doc....


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