Puisque le Prince qui nous gouverne nous invite à réfléchir sur le thème de « l’identité nationale », il peut être intéressant de s’interroger sur ce que l’on entend habituellement en France par « République », et de lui retourner la seule question qui vaille : sommes nous encore en République ?
Qu’est-ce que la République ?
Au moment où nos dirigeants nous invitent à réfléchir sur le thème de « l’identité nationale » il peut être intéressant de s’interroger sur ce que l’on entend habituellement en France par « République »,surtout compte tenu de l’évolution récente de la cinquième du nom.
En survolant ces cinq variantes de la République française on voit bien ce qui les rassemble et ce qui les distingue des régimes autoritaires ou traditionnels que la France a connu (Monarchie, Restaurations, Empires, Vichy).
Comme les Romains qui proclamèrent la Respublica après avoir chassé les rois, nous considérons que la République c’est d’abord l’absence de Roi. Cette longue tradition d’une définition purement négative est encore reprise par Nicolas Sarkozy lorsque, répondant à Laurent Joffrin il déclare que nous sommes bien en République puisqu’il n’est pas le fils de son prédécesseur (en mettant les rieurs complaisants de son coté).
Pourtant cette définition purement formelle a peu d’intérêt dans la mesure où les monarchies contemporaines sont le plus souvent démocratiques (chez nos voisins européens notamment :Royaume-Uni, Suède, Belgique, Espagne...) cependant que les régimes autoritaires ou totalitaires depuis le XX° Siècle ne sont généralement pas héréditaires. Hitler, Staline, Franco, Saddam Hussein, Pinochet ont exercé un pouvoir sans partage dans des régimes habituellement qualifiés de Républiques.
En fait il faut se souvenir que l’assassinat de Jules César n’empêcha pas la montée du Principat avec Octave, son petit neveu, devenu Auguste : l’Empire ne devait conserver que les apparences de la République. De même, à la suite de Maurice Duverger, beaucoup d’observateurs qualifient le régime établi par Charles de Gaulle de « Monarchie républicaine ».
Cela vient de ce que, tout au long de leur histoire, les Français confondent république et démocratie car, pour eux, la fin des rois signifie la fin du pouvoir personnel, la conquète du suffrage universel et des libertés. Ils ont donc une conception plus réaliste et plus positive de la République que celle de leur Président : pour eux la République c’est le régime qui consacre les droits de l’homme, qui évite l’accaparement des fonctions publiques et la concentration des pouvoirs.
La République c’est le régime qui consacre les droits de l’homme
Alors que les régimes autoritaires refusaient le suffrage universel ou truquaient les élections, s’opposaient aux revendications de liberté, les Républiques commençaient par établir ces bases démocratiques essentielles, même si les promesses n’étaient pas toujours tenues. La cinquième n’échappe pas à la règle ; si en 1958 elle se contente de se référer à 1789 et 1946, elle affirme que la République est « laïque » ; en 1974 le droit de vote est abaissé à 18 ans, en 1981 la peine de mort est abolie, comme les tribunaux d’exception et le monopole de la radio-télévision. Le développement du contrôle de constitutionnalité des lois et la ratification des traités du droit international des droits de l’homme ont beaucoup fait progresser la réalité des droits et libertés.
Pour autant des menaces nouvelles sont apparues : on se dirige vers un fichage généralisé de la population par la multiplication des fichiers par voie réglementaire (dés 13 ans, pour la dangerosité supposée, qui semble inclure même les maladies ou l’orientation sexuelle).
Les dérapages policiers ne diminuent pas, selon les ONG, mais on va supprimer la Commission de déontologie de la sûreté ; les gardes à vue explosent depuis deux ans et sont l’occasion d’humiliations qui en font une sanction à la disposition des forces de police.
Les objectifs chiffrés en matière de reconduite à la frontière aboutissent à multiplier les contrôles au faciès, à traquer les étrangers les mieux intégrés ;en particulier ceux qui travaillent et les familles à partir des enfants scolarisés ;on renvoie ainsi des personnes vers des pays en guerre . En prétendant lutter contre les passeurs on démantèle des hébergements et on poursuit des bénévoles qui font acte d’humanité. Au moment où les critères de régularisation varient d’une préfecture à l’autre le pays s’est doté de nouveaux camps, qui ne sont pas des prisons, mais où l’on enferme même des femmes enceintes et de jeunes enfants, parfois pour un mois.
Le chef de l’Etat nomme désormais les dirigeants de l’audiovisuel public et ce retour aux sources va de pair avec un nouveau statut d’inviolabilité et la réapparition du délit d’offense au chef de l’Etat, oublié depuis quarante an, à quand le crime de lèse-majesté ?
Les droits-créances sont menacés par les suppressions d’impôts et les restrictions budgétaires, au moment ou les privatisations renchérissent les tarifs de nombreux services publics la dégradation s’accélère dans l’éducation et la santé, ce qui pèse lourdement sur les familles les plus modestes. Le droit au logement, même « opposable »reste théorique, faute de volonté politique...décidément les droits des pauvres restent de pauvres droits.
La justice est sommée ,face à la multiplication des recours de faire beaucoup plus (vite) avec des moyens toujours aussi limités, l’émancipation qu’elle a connu à la fin du XX° Siècle a fait place à une reprise en main sous l’égide du parquet.
La laïcité même n’est admise que si elle est « positive » car, pour la transmission des valeurs, « le prêtre ou le pasteur l’emporte sur l’instituteur » on attend le rétablissement du catéchisme à l’école publique cependant que dans la majorité certains députés préconisent le rétablissement du délit de blasphème pour interdire la critique des religions (comme sous la Restauration).
La République c’est le régime qui évite l’accaparement des fonctions publiques
L’ancien régime reposait sur la vénalité des offices et des charges et la transmission héréditaire ;les régimes autoritaires confèrent les fonctions aux plus fidèles, au sein du parti unique. En France les Empires et Vichy connurent le libre choix du chef et le serment de fidélité à sa personne.
Dés 1789 il fut posé que les citoyens étaient « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autres distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (DDH art.6).
Sous la III° République on vit progressivement se répandre le principe du concours (au début dans l’enseignement et dans les corps techniques) et le népotisme recula d’autant. Le recrutement discrétionnaire perdura dans les fonctions locales(en dépit des listes d’aptitude) et, surtout, au niveau des plus hautes fonctions de l’Etat (« postes à la discrétion » « recrutement au tour extérieur » ) .
La présidentialisation de la V° République n’a fait qu’accroître ce phénomène du libre choix du chef de l’Etat sur des centaines (des milliers ?) de postes tant dans le secteur administratif qu’industriel ou financier et même dans les désignations aux postes électifs (il demeure le chef incontestable du parti majoritaire).
Ce phénomène de choix discrétionnaire au plus haut niveau (et sans garde-fous, en dépit des apparences de la révision de 2008 ) génère une multitude de personnalités (depuis les collaborateurs du château jusqu’aux postes ministériels et membres de cabinets, des préfets aux dirigeants d’entreprises publiques ou au sein des grands médias ) qui doivent toute leur carrière au choix du Prince et sa défaveur signifie pour eux retomber dans l’enfer de l’anonymat. Il s’en suit la mise en place d’un phénomène de cour, comme au temps du Roi soleil, où la servilité l’emporte sur tout.
L’affaire Jean Sarkozy illustre à quel point le népotisme au plus haut niveau a pu se développer sans qu’aucun courtisan n’ose dire à son maître que c’était trop et que l’opinion publique ne l’accepterait pas : en dépit de la multitude des sondages de l’Elysée le pouvoir est autiste, isolé et entouré par ses courtisans flagorneurs.
La République c’est le régime qui évite la concentration des pouvoirs
Après avoir proclamé que, désormais, la souveraineté n’était plus le fait d’un seul, mais appartenait à la Nation la Déclaration des droits de l’homme faisait de la « séparation des pouvoirs » le corollaire de la garantie des droits dans le régime constitutionnel (art.16).
La première République refusa d’instituer un Président (en dépit du modèle américain) par hantise d’un Roi républicain, mais dix ans après la Révolution le coup d’Etat du 18 brumaire ramenait la centralisation du pouvoir et le « Consulat » était synonyme de « Césarisme » (décidément les Romains !) .
La deuxième République franchit le pas en 1848, mais son Prince-président, élu par les Français, la supprima en moins de quatre ans.
Après l’élimination de l’Empereur la malédiction continua avec un Président royaliste, mais les Républicains finirent par l’emporter et optèrent pour un Président-arbitre effacé qui laissa fonctionner les régimes parlementaires des III°et IV°Républiques. La guerre d’Algérie eut raison du régime et le régime que le Général de Gaulle inaugura fit du Président la « clef de voûte » de la V°République.
Ce système, conforté en 1962, fut conservé par tous ses successeurs, même si la primauté présidentielle perdit son contrepoids de responsabilité que lui avait conféré son premier titulaire . Le quinquennat de 2000 et la priorité conférée à l’élection présidentielle ont encore aggravé la présidentialisation et personne ne croit que ce système ait été rééquilibré en 2008. Ainsi la France qui, de 2007 à 2012 fonctionna selon sa Constitution, en régime parlementaire, connaît désormais le régime le plus personnalisé au sein des démocraties occidentales.
Le Parlement y joue un rôle mineur : l’Assemblée, dont la majorité a vu ses pouvoirs renforcés n’ose pas déplaire au chef par tradition de soumission et par crainte de la dissolution, l’opposition ,engluée dans son problème de leadership est incapable de se faire entendre sur des projets alternatifs ;quant au Sénat, chambre non élue par les Français et où l’alternance est impossible, sa sécurité ne lui permet pourtant pas de jouer un rôle de contre-pouvoir .
Les Tribunaux n’ont jamais constitué en France un « pouvoir » judiciaire et la suppression annoncée du juge d’instruction n’est que le symbole le plus visible de la reprise en main par des parquetiers aux ordres du Président.
Les Autorités Administratives Indépendantes sont , elles aussi, nommées par le Président seul(le futur Défenseur des droits ) ou avec les deux fidèles qui président les Chambres. Quant elles déplaisent la loi peut les supprimer (la Défenseure des enfants..).
La réforme des collectivités territoriales, avec un nouveau mode de scrutin permettra d’en finir avec les bastions régionaux d’opposition ; la suppression de la taxe d’habitation promet un retour à la centralisation.
Ainsi en France toute la vie politique se focalise sur l’élection présidentielle, tous les cinq ans : l’élu du peuple est automatiquement celui qui concentre le plus de moyens financiers et médiatiques, qui dispose de l’autorité sur un large rassemblement partisan en agrégeant toutes les promesses faites aux différents lobbies.
En conclusion :
Déclin et menaces sur les libertés,
Libre disposition des fonctions publiques et phénomènes de cour,
Faiblesse des contre-pouvoirs, centralisation et personnalisation accrue du pouvoir.
Puisque le Prince qui nous gouverne nous demande de nous interroger sur notre identité nationale nous devons lui retourner la seule question qui vaille : sommes nous encore en République ?
Si c’est déjà le Consulat alors la question du prochain plébiscite devrait porter sur le rétablissement de l’hérédité dans la dignité impériale.
Michel Reydellet
Maître de conférences, à l’Université du Sud Toulon-Var