anticonstitutionnellement


article de la rubrique démocratie
date de publication : mercredi 28 septembre 2005
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Par Dominique Vidal.


C’est le monde à l’envers ! Ministre de la justice et garde des Sceaux, M. Pascal Clément a profité ce mardi matin de l’accueil complaisant de France Inter pour appeler les parlementaires à voter une loi... dont il reconnaît lui-même « le risque d’inconstitutionnalité ».

C’est le moins qu’on puisse dire : la législation en question viole en effet le principe, fondamental, de la non rétroactivité du droit. Sensible à la pression de plusieurs victimes d’un violeur récidiviste, notre ministre entend imposer à tous les criminels sexuels récidivistes sortant de prison le port d’un « bracelet électronique relié au GPS » permettant de les suivre à la trace. Cela concerne, précise-t-il, « toute personne qui sera condamnée aujourd’hui ou hier » (sic). Bref, sa loi s’appliquera « au stock de détenus actuel » (re-sic) - autrement dit à des délinquants condamnés avant l’adoption de cette loi et qui, ayant purgé leur peine, retrouveront la liberté.

La dernière fois que la justice a entériné une loi punissant des Français pour des actes commis antérieurement, celle-ci instaurait, sous l’Occupation, des « sections spéciales » contre les « terroristes ». Plus de 250 condamnations à mort furent ainsi prononcées - en toute illégalité - contre des résistants dont le seul crime était, parfois, d’avoir distribué des tracts. Il est vrai qu’en 1940, seul un magistrat avait refusé de prêter serment au maréchal Pétain...

Faire passer une loi anticonstitutionnelle pose néanmoins un problème. Faute de le résoudre, le ministre espère le contourner : il suffira, a-t-il expliqué sur France Inter, que « les députés ou sénateurs ne saisissent pas le Conseil constitutionnel ». Et s’ils le font ? « Ils prendront leurs responsabilités politiques et humaines », menace M. Clément.

En bon français, une telle suggestion, venant du garde des Sceaux, fleure la forfaiture.

Dominique Vidal
 [1]

Pascal Clément à l’Assemplée nationale, le 28 juin 2005 © AFP

C’est écrit dans l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » Ce principe consacré par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme fait, à ce titre, partie de la Constitution. [2]

Hier, le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, a rappelé que « le respect de la Constitution n’était pas un risque, mais un devoir ».

COMMUNIQUÉ LDH
Paris, le 28 septembre 2005

Garde des Sceaux ou Garde des commodités ? État de droit ou État de police ?

Qu’est devenue la République pour qu’un ministre de la Justice s’autorise à enjoindre aux parlementaires de violer la Constitution ?

Monsieur Clément, que l’on croyait « ministre du droit », annonce un projet de loi comportant l’institution d’une peine - ou plus exactement d’une mesure de sûreté, mais le problème reste le même - ... rétroactive. Ainsi, à seule fin de se poser en protecteur des victimes d’infractions sexuelles, le gouvernement revendique-t-il la violation délibérée de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et invite à ne pas saisir le Conseil constitutionnel de cet excès de pouvoir sans précédent depuis le régime de Vichy.

Bien entendu, l’argument de la protection des victimes n’est que faux-semblant cynique : ce même gouvernement a drastiquement réduit les moyens financiers du suivi socio-judiciaire seul efficace en la matière.

Gadgets, populisme et arbitraire : telle semble être la devise des gouvernants actuels. La Ligue des droits de l’Homme veut croire qu’il se trouvera encore au moins soixante parlementaires pour avoir le courage de ne pas se rendre complices de cette forfaiture. Elle appelle les élus de la République à prendre leurs responsabilités.

Notes

[1Source de l’article : http://www.monde-diplomatique.fr/ca....

[2Dans un entretien au Parisien du 28 septembre, M. Clément a estimé que la polémique n’avait pas lieu d’être : " Le port du bracelet électronique n’est pas une peine, c’est une mesure de sûreté qui peut accompagner tout sortant de prison. Ce problème de loi rétroactive ou pas ne se pose donc pas à mon sens ".

" Il s’agit d’imposer à quelqu’un une contrainte. Le bracelet est une peine ", estime Dominique Rousseau, professeur de droit et membre du Conseil supérieur de la magistrature.[Le Monde du 29 septembre]


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