un traitement pour géolocaliser le “retard scolaire”


article de la rubrique Big Brother > le ministère de l’EN et les fichiers
date de publication : mercredi 17 juin 2009
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Un arrêté publié au Journal officiel du 18 février 2009 crée à l’INSEE un « traitement visant à produire et diffuser des indicateurs statistiques locaux sur le retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la Ville ».

Cet arrêté s’appuie sur une déclaration de l’INSEE à la CNIL, le 12 décembre 2008, d’une exploitation statistique de fichiers d’élèves de sixième scolarisés dans ces mêmes quartiers : l’INSEE procédera à la géolocalisation dans des « carreaux de 100m de côté » des élèves de sixième figurant dans des fichiers que le ministère de l’Education nationale lui aura transmis – les informations pour chaque élève de sixième se limitant à l’adresse, un numéro d’ordre, ainsi que quelques autres données à caractère personnel
 [1].

Le fichier d’adresse sera conservé par l’INSEE pendant 5 ans pour permettre une « capitalisation des opérations de géolocalisation » ; il s’agit donc de tracer les collégiens des quartiers en difficulté dès le premier retard scolaire. Mais, curieusement, alors que la déclaration à la CNIL ne concerne que des élèves de sixième, aucune référence à la classe des élèves n’apparaît dans le texte de l’arrêté, qui élargit donc considérablement le champ de ce traitement à toute la scolarité, primaire compris.

Vous trouverez ci-dessous d’abord l’arrêté, puis la déclaration de ce traitement qui semble appelé à jouer un rôle important dans la politique arrêtée par le gouvernement pour “gérer” le problème des décrocheurs.

[Mis en ligne le 19 février 2009, revu et complété le 17 juin 2009]



Arrêté du 28 janvier 2009 portant mise en œuvre d’un traitement automatisé d’informations nominatives visant à produire et diffuser des indicateurs statistiques locaux sur le retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la ville et dans les quartiers Iris 2000 [2]

La ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi,
Vu la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 modifiée sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, notamment l’article 7 bis ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et notamment son article 23 ;
Vu la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 modifiée sur les archives ;
Vu l’arrêté du 19 juillet 2000 modifié portant création d’un traitement automatisé d’informations individuelles relatif à la constitution et à la mise à jour par l’INSEE du répertoire d’immeubles localisés (RIL) ;
Vu le récépissé n° 1337256 de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en date du 22 décembre 2008,

Arrête :

Article 1
Il est créé à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) un traitement visant à produire et diffuser des indicateurs statistiques locaux sur le retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la ville et dans les quartiers Iris 2000 [3], à partir des fichiers individuels que lui transmet chaque année la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale et les rectorats.
Pour la production de ces indicateurs, l’INSEE procède à la géolocalisation des données individuelles transmises.

Article 2
Les données traitées concernant les élèves sont :

  • le sexe ;
  • l’année de naissance ;
  • la nationalité (« français » ou « étranger ») ;
  • la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage ;
  • l’adresse du domicile de l’élève ;
  • la localisation du domicile de l’élève, codée à l’échelle des quartiers de la politique de la ville, de l’Iris, de l’îlot et de carreaux de 100 mètres de côté.

Pour la production des indicateurs statistiques locaux et la réalisation des études utiles au suivi et à l’évaluation de la politique de la ville, l’INSEE produit un fichier d’études comportant les données individuelles à l’exception de l’adresse du domicile de l’élève.

Article 3
L’INSEE conserve les adresses pendant cinq années suivant leur géolocalisation.

Article 4
Les Archives de France sont destinataires des données traitées, ainsi que les personnes chargées de la production des statistiques publiques, sous réserve que cette transmission soit conforme aux dispositions de l’article 6 de la loi du 7 juin 1951 susvisée.
La DEPP et les rectorats sont destinataires du fichier d’études mentionné à l’article 2.

Article 5
Le droit d’accès et de rectification prévu par les articles 39 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée s’exercent auprès de la direction générale de l’INSEE.

Article 6
Le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ne s’applique pas à ce traitement.

Article 7
Le directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques est chargé de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 28 janvier 2009.

Pour la ministre et par délégation :
Le directeur général de l’INSEE

L’arrêté précédent vise le récépissé n° 1337256 de la Cnil, en date du 22 décembre 2008, correspondant à la déclaration suivante, déposée le 12 décembre 2008 par Yves B., chef du Service des systèmes d’information au ministère du Budget, pour le compte de l’INSEE [4] :

Déclaration de conformité à une norme simplifiée

Le 12 décembre 2008

Première déclaration

Traitement déclaré :
N° de la norme simplifiée de référence : 26
Année de mise en oeuvre : 2009
Population concernée : ///
Nom du logiciel : Indicateurs locaux DEPP [5]

_______________

Annexe à la NS 26

Version du 08/12/2008

Dénomination du traitement :

Indicateurs locaux DEPP
Géolocalisation et exploitation statistique de données relatives aux retards scolaires


Le présent traitement consiste en l’exploitation statistique des fichiers anonymisés des élèves de 6ème scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat du ministère de l’Education Nationale (fichiers des rectorats) pour le calcul d’un indicateur de retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la Politique de la Ville et dans les quartiers iris 2000.

Ce traitement ressortit de l’article 22 et fait l’objet d’une déclaration simplifiée en conformité avec la normé 26 « concernant les traitements automatisés à caractère statistique effectués, à partir de documents ou de fichiers de gestion contenant des informations nominatives sur des personnes physiques, par les services producteurs d’informations statistiques au sens du décret n°84-628 du 17 juillet 1984 ».

La mobilisation d’indicateurs construits à partir des données administratives fait partie des recommandations émises par le Conseil National de l’Information Statistique dans son assemblée générale du 11 février 2005 [6]. La diffusion des indicateurs sur les territoires de la ville est prévue dans la loi sur la politique de la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003.

1) Finalités

La mesure des caractéristiques des élèves résidant dans les quartiers de la Politique de la Ville constitue une aide précieuse à l’évaluation de la situation de difficulté scolaire et de son évolution dans ces quartiers. De tels travaux d’évaluation quartier par quartier sont prévus en 2009.

Par ailleurs la localisation des caractéristiques des élèves au niveau infracommunal doit permettre au Ministère de l’Education nationale d’améliorer sa politique éducative.

2) Traitements

A partir des fichiers détenus par les services statistiques des rectorats, la DEPP (Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance du Ministère de l’Education Nationale) met à la disposition de l’INSEE un fichier d’élèves de 6ème, hors sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), de tous les établissements publics et privés sous contrat sous tutelle du Ministère de l’Education Nationale en France ne comportant que l’adresse et un numéro d’ordre anonyme.

L’INSEE procède à la géolocalisation des fichiers d’adresses sur l’ensemble des communes où il dispose des outils nécessaires, avec une phase de reprises manuelles effectuées par les Directions régionales de l’INSEE. Le fichier d’adresses sera conservé par l’INSEE pendant cinq ans pour permettre une capitalisation des opérations de géolocalisation.

Après les traitements de géolocalisation, l’INSEE retourne à la DEPP son fichier initial enrichi des codes géographiques infra-communaux qui auront pu être attribués (ZUS, ZFU, quartier CUCS, iris 2000, îlot, code voie) et, dans le cadre du traitement « Ril », l’appartenance à un carreau de 100 mètres de côté.

La DEPP procède alors, avec l’aide des rectorats, grâce à un numéro d’ordre de l’élève, à l’enrichissement du fichier reçu par des variables statistiques d’intérêt. Elle transmet à l’INSEE un fichier individuel comportant les variables d’intérêt (voir point 4) et les variables géographiques reçues de l’INSEE. Ce fichier ne comporte plus ni l’adresse ni le numéro d’ordre de l’élève.

L’INSEE procède sur ce fichier à tous les traitements statistiques, comptages, représentations géographiques et études utiles au suivi et à l’évaluation de la politique de la ville ou à d’autres études sur le milieu urbain. La DEPP et les rectorats sont destinataires des résultats produits par l’INSEE et pourront également réaliser leurs propres analyses.

3) Diffusion

Les fichiers individuels transmis à l’INSEE ne feront l’objet d’aucune rediffusion.

Toute diffusion de données agrégées par l’INSEE respectera les règles en vigueur à la fois pour garantir l’anonymat des élèves et prévenir le profilage de populations. En particulier aucune diffusion de données chiffrées n’est prévue à destination du grand public autre que sur des quartiers de la Politique de la Ville ou des quartiers définis par des IRIS.

4) Les variables statistiques transmises à l’INSEE

Le second fichier informatique transmis par la DEPP (§4 du 2) comprendra pour chaque élève :

  • le sexe
  • l’année de naissance
  • la nationalité en deux modalités (français ou étranger)
  • la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage en 4 postes (définition DEPP),

5) Les indicateurs calculés par l’INSEE

L’INSEE calculera les indicateurs suivants au niveau de chaque ZUS, de chaque ZFU, de chaque quartier CUCS et de chaque quartier IRIS le permettant :

  • part de élèves sans retard scolaire, pour l’ensemble et pour chaque sexe
  • part des élèves avec un an de retard, pour l’ensemble et pour chaque sexe
  • part des élèves avec deux ans ou plus de retard scolaire, pour l’ensemble et pour chaque sexe
  • part des étrangers
  • part de chacune des 4 catégories socio-professionnelles du chef de ménage

Pour les ZUS notamment, les indicateurs de retards scolaires constituent une version plus précise - car au lieu de résidence - des indicateurs déjà produits par l’Education nationale au lieu d’établissement dans le cadre de la loi du 1er août 2003. De plus pour les ZUS et les nouveaux quartiers CUCS ne comportant aucun collège, ils constituent une information entièrement nouvelle.

L’accès aux fichiers transmis et aux fichiers de travail est réservé aux informaticiens ainsi qu’à une liste nominative, établie en fonction des besoins, de chargés d’études de l’INSEE, par ailleurs astreints au secret professionnel en application de l’article 6 de la loi 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière statistique.

La déclaration précédente était accompagnée de la lettre suivante, datée du 12 décembre 2008, adressée à Alex Türk, président de la CNIL :

Le 12 Décembre 2008

Réf : 1973-SSI/2008/12/6011

Monsieur le Président,

L’Insee a pour projet, d’exploiter statistiquement les fichiers anonymisés des élèves de 6ème scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat du ministère de l’Education Nationale (fichiers des rectorats) pour le calcul d’un indicateur de retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la ville et dans les quartiers Iris 2000.

La mobilisation d’indicateurs construits à partir des données administratives fait partie des recommandations émises pat le Conseil National de l’Information Statistique dans son assemblée générale du 11 février 2005. La diffusion des indicateurs sur les territoires de la ville est prévue dans la loi sur la politique de la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003.

La mesure des caractéristiques des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la ville constitue une aide précieuse à l’évaluation de la situation de difficulté scolaire et de son évolution dans ces quartiers.

Afin de satisfaire aux obligations de la loi de 1978 modifiée et compte tenu de l’absence d’éléments qui pourraient rattacher ce traitement aux autorisations des articles 27, 26 et 25, je vous transmets, sur la base de l’article 22 de la loi, une déclaration simplifiée en conformité avec la norme 26. Celle-ci concerne « les traitements automatisés à caractère statistique effectués, à partir de documents ou de fichiers de gestion contenant des informations nominatives- sur des personnes physiques, par les services producteurs d’informations statistiques au sens du décret n°84-628 du 17 juillet 1984 ». Le dossier qui vous est joint ne comporte donc pas de projet d’arrêté.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, ...

_______________________

Un commentaire

La « géolocalisation » du retard scolaire, par Geneviève Koubi

On pourrait dire que le fichage des élèves continue. Cette fois-ci, c’est le « retard scolaire » qui est dans le collimateur. L’enjeu de la veine informatique est la production et la diffusion d’indicateurs statistiques locaux conçus à partir d’un traitement automatisé d’informations personnelles ! A défaut d’être des cobayes, les élèves ne sont plus que des instruments de mesure ! La mise en place de ce fichier dont l’orientation reste incertaine, mêlant données personnelles et informations statistiques, indique-t-elle le passage à d’autres modes d’action pour une lutte non contre l’échec scolaire mais contre l’absentéisme scolaire ? (pour lire la suite)

Notes

[1Une question : d’où proviennent les données à caractère personnel (adresses des élèves) détenues par la DEPP du ministère ? Certes, à l’entrée en sixième les données de Base élèves alimentent les traitements des collèges (cf l’arrêté du 20 octobre 2008), mais les données personnelles de Base élèves ne dépassent pas le niveau académique.
Serait-il donc possible pour la DEPP de faire remonter les fichiers nominatifs par Sconet ?

[2Référence NOR : ECES0901847A : http://www.legifrance.gouv.fr/affic....

[3Pour les communes de plus de 5000 habitants, l’IRIS 2000 est la zone géographique minimale, d’un seul tenant d’environ 2000 habitants, définie par l’INSEE, pour la diffusion à tous publics des comptages, listes et tableaux du RP 99 et du fichier logements.
(Source : http://www.insee.fr/fr/publications...).

[4Le dossier de déclaration et son récépissé ont été obtenus après saisine de la CADA.

[5Remarquer l’absence d’indication sur l’effectif de la "population concernée", ainsi que le flou de la dénomination du traitement : « Indicateurs locaux DEPP ».

[6Référence aux recommandations de l’assemblée générale du CNIS, le 11 février 2005 : http://www.cnis.fr/doc/Stockage%20R....


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