de base élèves au livret scolaire numérique, l’Éducation nationale fiche les enfants, par Stéphanie Pouget


article de la rubrique Big Brother > le ministère de l’EN et les fichiers
date de publication : samedi 9 mai 2009
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Dans son intervention du 25 avril dernier, lors de la seconde journée nationale de rencontre organisée à Valence par le CNRBE, Stéphanie Pouget, militante de la LDH contre Base élèves, avait passé en revue les dispositifs informatiques du système éducatif qui lui paraissent les plus importants en ce qui concerne le fichage des élèves – qu’ils soient en place ou en cours de développement.

Ci-dessous une version retravaillée de son intervention.


Les fichiers de l’Education Nationale

L’arrêté concernant Base Elèves (BE) a supprimé plusieurs champs d’information. A cette occasion, on a pu entendre crier victoire, considérant que le problème était résolu. Or BE n’est que l’un des éléments d’un système de fichage et profilage des élèves et étudiants. L’arrêté n’a rien changé aux finalités de ce système. Aussi peut-on légitimement estimer qu’il n’était qu’un leurre destiné à désarmer la contestation, et l’on peut également s’attendre à voir réapparaître, sous la forme d’autres fichiers, les informations supprimées (ainsi a-t-on récemment vu apparaître un fichier sur le retard scolaire ; dans certains départements, il a été demandé aux directeurs d’écoles de faire remonter des listes nominatives d’enfants nécessitant des suivis spécifiques comme le RASED).

Différents dispositifs informatiques permettent de tracer le parcours scolaire des élèves.

En tout premier lieu, on se doit d’évoquer la base de données Sconet, équivalent de BE en collèges et lycées. Créée en 1995 par un arrêté, elle s’appelait alors Scolarité. Modifiée à plusieurs reprises, elle est aujourd’hui, dans sa version minimale, très proche de ce qu’était BE avant l’arrêté et avant la suppression du champ nationalité. Les données nominatives sont transférées hors de l’établissement, dans une base de données académique. Tous les établissements secondaires sont aujourd’hui dotés du « noyau administratif » de Sconet. Mais il existe des modules complémentaires comme « Sconet absences » ou « Sconet notes » dont l’utilisation n’est pas encore généralisée.
Une proportion infime de parents connaît l’existence de Sconet ; aucune information n’est fournie par les établissements scolaires concernant le fait que des données nominatives relatives aux élèves sortent de l’établissement. On peut espérer que les parents d’enfants scolarisés en primaire et sensibilisés au problème que représente BE s’intéresseront à Sconet à l’occasion du passage de leurs enfants dans le secondaire.

L’Identifiant National Elève (INE) suscite de nombreuses interrogations.
Un identifiant élève existait à l’origine dans Scolarité. Le nom d’INE lui a été attribué à l’occasion d’une modification de Sconet, effectuée en 2002. Mais l’INE d’alors n’était pas celui que l’on connaît aujourd’hui. En effet, son attribution n’était pas centralisée au niveau national et de nombreux doublons existaient. Le Ministère de l’Education Nationale (MEN) a saisi l’occasion de la mise en place de Base Elèves pour passer à une attribution centralisée par l’intermédiaire d’une base de données des identifiants élèves, la BNIE (Base Nationale des Identifiants Elèves). Comment celà se passe-t-il aujourd’hui ?
Lorsqu’un enfant s’inscrit dans une école, le directeur entre ses données dans BE. Une connexion automatique à la BNIE attribue un INE à l’enfant, s’il n’en avait pas encore. La BNIE renferme des informations d’état civil ainsi que l’historique des écoles fréquentées. Elle est mise à jour régulièrement par connexion aux bases élèves académiques.

Comment le MEN justifie-t-il l’utilisation de l’INE ?
Il invoque d’une part la nécessité d’avoir un meilleur contrôle des effectifs, et d’autre part celle de pouvoir suivre les parcours scolaires complets de tous les enfants dans le but de réaliser des études statistiques.

On ne peut que souligner la légèreté avec laquelle a été mis en place, sans information et surtout sans débat parlementaire, un identifiant national qui concerne une grande partie de la population, les données étant conservées pendant 35 ans…
Par ailleurs, il y a une disproportion manifeste entre objectifs et moyens, un meilleur contrôle des effectifs ne pouvant justifier l’attribution généralisée d’un identifiant national.
Enfin, l’argument invoquant la nécessité d’un suivi des parcours pourrait paraître légitime ; mais pourquoi un tel besoin de données exhaustives pour des études statistiques ? Ne pourraient-elles être réalisées à partir d’ échantillons de population ?

L’INE pose un réel problème pour l’accueil à l’école des enfants de familles sans papier. En effet, un enfant qui, par exemple, arrivera en école élémentaire sera inscrit dans BE par le directeur ; lors de la connexion à la BNIE il sera alors automatiquement repéré comme n’ayant pas encore d’INE…

Dans le contexte actuel de multiplication des fichiers administratifs qui accompagne une volonté de profilages des individus, on peut également craindre de futures interconnexions rendues possibles par l’existence de cet identifiant.

Un élément important du développement des TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education) à l’école : l’Environnement Numérique de Travail (ENT).
L’ENT est un portail sur Internet qui donne accès à de nombreuses informations relatives à la scolarité de l’élève (cantine, absences, mais également notes, appréciations …). Les données, protégées par un mot de passe, sont accessibles à des degrés divers aux différents acteurs de l’éducation de l’enfant, administration, enseignants, parents. Un arrêté relatif aux ENT est paru en 2006, et la CNIL a rendu un avis dans lequel elle souligne l’importance de la sécurisation des données.

Quel est le lien avec les bases de données élèves ?
Sconet, que nous avons déjà présenté, permet une centralisation de toutes les données intéressant la scolarité entière de l’élève, depuis des données familiales jusqu’à l’enregistrement de ses résultats et de sa conduite. Cette base de données est d’ores et déjà interfacée avec les ENT, de sorte que toute information fournie par les professeurs et les administrations vient alimenter le dossier individuel de l’élève.

Les ENT s’inscrivent dans le cadre du développement des TICE dans l’Education Nationale. Ils sont présentés comme un outil moderne et essentiel favorisant l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant. Plusieurs études récentes se sont intéressées aux conséquences importantes et pour certaines problématiques de l’introduction d’un tel outil. Pour ne reprendre ici qu’un des nombreux points développés dans ces études, il apparaît que l’implication accrue des parents se limite bien souvent à l’utilisation de l’ENT comme moyen de contrôle des enfants, et ne favorise pas le développement d’une nécessaire relation de confiance et de dialogue.

Un élément des ENT est le livret de l’élève qui rassemble les notes et compétences validées par l’élève. Il était prévu (jusqu’à l’arrêté BE) qu’il soit alimenté par les bases de données BE et Sconet (rappelons que la version initiale de BE comprenait la validation des compétences du socle commun). Ce livret doit suivre l’élève tout au long de sa scolarité et même au-delà. En effet ce livret de compétences, également appelé portfolio numérique, est conçu pour suivre la personne tout au long de sa vie professionnelle, enregistrant les compétences validées dans le système éducatif mais également après, dans le cadre de formations spécifiques.
Le portfolio est présenté comme un outil essentiel dans une société moderne reposant sur le savoir. Plus prosaïquement, sur les sites des entreprises qui commercialisent les logiciels de gestion de portfolio on peut lire des termes comme employabilité, adaptabilité… Fortement soutenu au niveau européen mais également adopté dans des pays comme l’Australie, il met en évidence le rôle que nos sociétés veulent attribuer à l’éducation, celui d’un outil de production d’une main d’œuvre mobile, adaptée au marché du travail.

Pour conclure, on peut souligner le fait que le développement de l’utilisation des fichiers dans l’Education Nationale se trouve à la convergence de deux tendances actuelles, la première consistant à ficher à tout va, dans le but de détecter le plus tôt possible les personnes susceptibles de poser des problèmes à la société, les comportements déviants, et la seconde visant à considérer l’Education principalement selon des critères de rentabilité économique.

Le 9 mai 2009

Stéphanie Pouget


Quelques références


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