Rennes, septembre 2004 : un avis de recherche d’enfant « dans l’intérêt des personnes » permet de localiser une maman sans-papiers


article de la rubrique Big Brother > le ministère de l’EN et les fichiers
date de publication : mercredi 25 mars 2009
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A Rennes, en septembre 2004, une maman congolaise en situation irrégulière avait été arrêtée devant l’école de son fils âgé de six ans : la police aux frontières l’attendait. La mère avait été localisée grâce à un avis de recherche d’enfant « dans l’intérêt des personnes concernées », lancé par le parquet de Rennes dans les écoles via l’inspection académique.

« La police a utilisé l’enfant pour retrouver la mère. Les enseignants ne veulent pas devenir des délateurs auprès de la police », s’était indignée la secrétaire adjoint de la FSU d’Ille-et-Vilaine. « L’école doit rester un sanctuaire où les enfants sont protégés. Sinon, les enfants de gens en situation irrégulière risquent de ne plus aller à l’école de peur de faire arrêter leurs parents. » A l’époque, cette affaire avait également été dénoncée par la Défenseure des enfants.

Comme nous le montrons dans cette autre page, le recours croissant de l’Education nationale à des fichiers informatiques – Base élèves 1er degré, Base nationale des identifiants élèves, Sconet... – donne aujourd’hui des possibilités nouvelles pour localiser des étrangers en situation irrégulière par l’intermédiaire de leurs enfants scolarisés – sans éveiller la vigilance des individus et des associations.


Un écolier en rétention avec sa maman

par Michel Tanneau, Ouest-France le 25 septembre 2004


Des parents s’indignent, les syndicats et les associations crient au scandale.
Réunis hier dans les locaux de la FSU, les parents d’élèves et les militants des droits de l’homme demandent à la préfète « de revenir sur cette décision inhumaine ».

Un enfant de l’école Clemenceau, Randy, 6 ans, est parti pour le centre de rétention de Rouen avec sa maman, une Congolaise en situation irrégulière. Indirectement, c’est grâce à l’inspection académique que la police aurait repéré cette femme. Des parents d’élèves s’indignent, les syndicats d’enseignants et les militants des droits de l’homme expriment leur révolte.

« M’sieur, m’sieur, il va revenir à l’école, Randy ? » À peine descendu de voiture hier midi, le journaliste est assailli par les gamins de Georges-Clemenceau, une école du quartier des Champs-Manceaux. « Qu’est-ce qu’ils vont lui faire ? », questionne sa camarade de CP Salomé, petite blonde aux yeux embués de larmes. « Il est trop gentil, trop chou », ajoute une autre enfant. « Et en plus, conclut Abdoul-Raouf, un grand de CM 2, il est super fort au foot ». Né à Kinshasa (ex-Zaïre) début 1998, Randy habitait avec sa mère, L. B., 28 ans, dans un appartement du quartier. Après une année en maternelle, il venait de faire sa rentrée en CP.

Mais Mme B. a été rattrapée par sa situation irrégulière en France. Sa demande d’asile politique a été repoussée, comme 90 % des demandes. Du coup, la préfète a pris un arrêté de reconduite à la frontière. Mme B. a contesté cet arrêté, le 7 juin dernier devant le tribunal administratif. Mais celui-ci a donné raison à la préfète. L’appel formulé devant le Conseil d’État n’étant pas suspensif, la jeune Congolaise est expulsable. Pas son enfant, puisque la France n’expulse pas les mineurs.

Une première ?

Chargée de cette reconduite, la PAF (police de l’air et des frontières) a demandé à l’inspection académique de lui dire dans quelle école était scolarisé Randy. « C’était une recherche dans l’intérêt des familles et sur requête du procureur, comme nous en recevons une centaine par an, explique l’adjoint de l’inspecteur d’académie. Mais la police n’a pas précisé pour quel motif elle recherchait l’enfant. En tant que fonctionnaire, j’ai fait ni plus ni moins que mon travail. En tant qu’homme et grand-père, je suis très ému par cette affaire. À ma connaissance, c’est une première en Ille-et-Vilaine. »

Mme B. a donc été interpellée par la PAF. À l’aéroport de Saint-Jacques, on allait la mettre dans un avion pour Rouen, où se trouve le centre de rétention administrative avant l’expulsion. Ce sont les services sociaux qui sont venus, à l’école, chercher le petit Randy. La mère a refusé de se séparer de son enfant et de le confier aux services sociaux. Randy est lui aussi monté dans l’avion.

À l’école Clemenceau, c’est l’indignation. « La police a instrumentalisé l’enfant pour attraper la maman », accuse un des 40 parents mobilisés hier midi. Si le directeur refuse de s’exprimer, G. R., animatrice et elle-même mère d’un écolier, n’a pas peur de parler. « Randy est arrivé en France à l’âge de deux ans, c’est un enfant très sociable. Je l’ai eu au téléphone hier soir à Rouen. Il ne demande qu’une chose : retrouver ses copains d’école. »

Du côté du Collectif des sans-papiers, du MRAP, de la Ligue des Droits de l’homme et des syndicats FSU et SGEN-CFDT, c’est la levée de boucliers. « On demande à l’école publique de se transformer en entreprise de délation, c’est scandaleux. L’inspection académique a été piégée par la police. Il est hors de question de transformer les instits en indics. »

Manif aujourd’hui

Randy restera-t-il en France, séparé de sa mère ? « Si Mme B. choisit de l’emmener avec elle ? Le Congo est un pays instable où sévissent la peste, le choléra et la guerre », rappellent les militants des droits de l’homme. Avec la FSU, ils ont demandé une entrevue à la préfète. Et appellent à manifester aujourd’hui à 16 h salle de la Criée.

Hier soir, la préfecture n’a pas souhaité commenter ce dossier.

Michel Tanneau


La Défenseure des enfants s’est émue de cette situation :

Des décisions judiciaires et policières exécutées à l’école sans ménagement pour les enfants

Avis de la Défenseure des enfants [1]

<br

Plusieurs affaires sont venues récemment soulever le problème de l’exécution de décisions de police ou de justice et l’utilisation qui a été faite de l’institution scolaire. [...]

Dans une autre affaire, les services de police sont passés par l’institution scolaire pour retrouver l’adresse d’une mère de famille en situation irrégulière afin de la reconduire à la frontière. [...]

Dans [cette] affaire, les professionnels ont été instrumentalisés : leur habitude de travailler en confiance avec les services de police les a incités à fournir les renseignements demandés sans s’enquérir de la raison pour laquelle l’enfant était recherché : il aurait pu avoir été enlevé, être en danger, avoir besoin d’une protection urgente...

L’institution scolaire a été utilisée pour parvenir à un résultat, la reconduite à la frontière de la mère, qui certes est conforme à la loi mais n’est certainement pas favorable à cet enfant, scolarisé depuis plus d’un an. De telles interventions compromettent lourdement les efforts faits depuis des années par les institutions pour mieux travailler ensemble, dans le respect des enfants, des parents et des missions de l’école.

Il serait particulièrement dangereux que la prise en compte de l’intérêt de l’enfant disparaisse derrière les nécessités d’exécuter des décisions, quelque incontestables qu’elles soient. Plus généralement, l’intervention des forces de l’ordre au sein d’un établissement scolaire, lorsqu’elle est absolument indispensable, ne peut-elle pas se réaliser d’une manière plus humaine, afin d’épargner l’intimité de la vie privée de l’enfant concerné et la sensibilité de ses camarades ? C’est essentiel pour que nos enfants se sentent protégés par la loi et par les institutions de la République, qu’il s’agisse de la justice, de la police ou de l’école elle-même, théâtre involontaire de ces opérations.

le 27 septembre 2004

Claire Brisset
Défenseure des enfants


Quelques jours plus tard, on pouvait lire dans l’édition du 29 septembre de Ouest France, un article intitulé « La méthode est conforme aux textes » dont voici quelques extraits :

La préfecture assume l’interpellation de Randy et de sa mère

Ouest-France le 29 septembre 2004


L’interpellation de la Congolaise L. B. et de son fils Randy, 6 ans, sur le chemin de l’école Georges-Clemenceau a soulevé une vague d’indignation. T. S., le directeur de cabinet de la préfète, assume pleinement la méthode [...]

« Qu’un enseignant, agent de l’État, réponde à la demande d’autres agents de l’État, en l’occurrence les policiers, n’a rien de choquant. » T. S. l’assure : la démarche des policiers de la PAF (police aux frontières) est conforme aux textes. « Le directeur de l’école a sans doute répondu à leur demande sans même connaître son objet. » [...]

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Après plus de deux semaines au centre de rétention de Rouen, Randy a retrouvé ses camarades d’école à Rennes [2]

La cour d’appel de Rouen a annulé un arrêté de renouvellement de la rétention.
Dans son arrêt, s’appuyant sur la Convention européenne des droits de l’homme, la cour a jugé que le maintien de l’enfant en zone de rétention représentait « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et familial ». Tout en ne remettant pas en cause la procédure d’expulsion, les autorités françaises ayant assigné à résidence L. B., la cour d’appel s’est donc prononcée contre une éventuelle séparation de la mère et de l’enfant.

Notes

[2D’après Libération du 12 octobre 2004.


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