fichage des élèves : ne confondons pas les statisticiens et les gestionnaires


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date de publication : jeudi 16 février 2012
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Le Conseil national de l’information statistique – CNIS – vient de publier le compte-rendu de la réunion le 23 novembre 2011 de sa Commission Services publics et services aux publics consacrée aux grands axes du programme de travail 2012.

Après avoir rappelé les trois grands axes – parcours, formation tout au long de la vie, comparaisons internationales – qui domineront les travaux de la statistique publique dans le domaine de l’éducation, la commission a déclaré attendre des avancées déterminantes en matière de parcours, grâce à l’extension de l’identifiant national élève (INE) à l’ensemble du système éducatif (second degré, apprentissage, enseignement supérieur) [1].

La commission a insisté sur la distinction entre deux volets. Le premier est l’immatriculation proprement dite, c’est-à-dire l’attribution d’un numéro unique à chaque élève ; cette fonction d’immatriculation est sous la responsabilité du Service Statistique Ministériel de l’éducation nationale. À propos du second volet – l’utilisation de l’INE par les services gestionnaires – il a été rappelé que tout traitement utilisant l’INE doit préalablement faire l’objet d’une déclaration à la CNIL.

Les propos tenus le 13 novembre précédent par le ministre Luc Chatel, qui s’était vanté publiquement – voir ci-dessous – de pouvoir communiquer la liste exacte des “décrocheurs” au préfet de région (avec nom, adresse et date de naissance), illustrent la confusion qui risque de s’instaurer dans les esprits entre les gestionnaires qui travaillent sur des données nominatives et les statisticiens qui peuvent travailler sur des données anonymées. Le Cnis a d’ailleurs rappelé que les informations sur les décrocheurs dont dispose le ministère de l’Éducation nationale ne relèvent pas de la statistique publique.


Conseil national de l’information statistique et l’éducation

Compte-rendu de la réunion du 23 novembre 2011 de la Commission Services publics et services aux publics [2]

Cédric AFSA, Direction de l’Évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), ministère de l’éducation nationale

Je vais présenter les programmes statistiques de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) et du SIES (sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques, ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche). D’un commun accord avec le SIES, nous avons fait le choix d’évoquer ici les opérations qui s’inscrivent dans le cadre global du service statistique public, c’est-à-dire qui impliquent différentes institutions en dehors de la DEPP et du SIES et qui nécessitent dans certains cas une coordination statistique renforcée autour de trois thèmes. Le premier thème est celui des parcours qui avait été retenu comme un axe transversal du programme 2009-2013 du Cnis pour l’analyse de trajectoires. Le
deuxième thème est celui de la formation tout au long de la vie. Il est identifié comme un grand chantier du plan « INSEE Ambition 2015 ». Enfin, je mentionnerai les comparaisons internationales, qui sont d’une nature assez spécifique.

En ce qui concerne les parcours, une première opération d’envergure porte sur l’INE (identifiant national élève). L’objectif est d’étendre l’immatriculation nationale (aujourd’hui réservée aux élèves du premier degré) à l’ensemble du systhème éducatif (second degré, apprentissage et enseignement supérieur notamment). Ce projet implique les ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, du travail, de l’agriculture. Dans cette opération, il faut distinguer deux volets. Le premier est l’immatriculation
proprement dite, c’est-à-dire l’attribution d’un numéro unique à chaque élève. Cette fonction d’immatriculation est sous la responsabilité du Service Statistique Ministériel de l’éducation nationale.
Deuxième volet : l’usage de l’INE, c’est-à-dire son utilisation par les services gestionnaires, à la condition expresse d’avoir, à chaque fois, l’accord de la CNIL. Ainsi, tout traitement utilisant l’INE devra faire préalablement l’objet d’une déclaration à la CNIL. Un dossier a été déposé à la CNIL pour le répertoire national des identifiants élève (RNIE), qui hébergé à la DEPP, a vocation à recueillir les INE.
La délivrance et l’usage de ces identifiants seront entourés d’un maximum de garanties de confidentialité. Cela passe par la traçabilité des accès tant au RNIE qu’aux bases utilisant l’INE, par une politique stricte d’habilitations et par
des procédures de cryptage des informations.

Par ailleurs, le système d’information de suivi des étudiants (SISE) de l’enseignement supérieur fera l’objet d’une extension de champ et d’effort de rénovation afin de rendre le dispositif plus efficace, notamment grâce à la collecte via Internet. L’opération Admission post-Bac, gérée par le SIES, sera également rénovée dans une logique d’orientation. Il s’agit de recueillir les voeux des bacheliers pour la poursuite de leurs études dans l’enseignement supérieur et le voeu retenu in fine, ce qui permettra d’analyser les écarts éventuels (et leurs déterminants) entre les souhaits des élèves et les orientations effectivement prises.

A côté de l’exploitation de ces sources administratives, sont menées des enquêtes. Ainsi, la DEPP suit le panel des élèves entrés en 6ème en 2007. Un questionnaire sur l’orientation à l’issue de la classe de 3ème (pour les élèves redoublants) et à l’issue de la 2nde sera de nouveau renseigné cette année. A plus long terme, ce panel 2007 sera prolongé avec le SIES et l’INSEE dans le cadre d’une enquête d’entrée dans la vie adulte (EVA 2007). Nous aurons ainsi un dispositif d’observation très riche compte tenu de l’importance de la cohorte (37 000 personnes). Le taux d’attrition de ce panel est très faible et il représente une source irremplaçable d’étude des trajectoires. Un autre panel est celui des élèves entrants en cours préparatoire en 2011. L’enquête auprès des familles en 2012 permettra d’apporter tous les descripteurs relatifs à
l’environnement familial de l’élève, indispensables à la compréhension des trajectoires scolaires.

Enfin, il existe deux dispositifs d’enquête portant sur l’insertion. Le premier concerne l’insertion à court terme, à travers l’enquête IVA (insertion dans la vie active) des lycéens, sept mois après la sortie. Il s’agit là d’une refonte du dispositif, qui sera rendu plus modulaire afin de pallier – ou tenter de le faire – les problèmes de concurrence avec d’autres dispositifs existant sur le même thème. Les enquêtes d’insertion 30 mois après la sortie du système éducatif, menées par le SIES, constituent un autre dispositif.

Le thème de la formation tout au long de la vie implique le SIES et la DEPP mais aussi l’INSEE, la DARES et le CEREQ. Il s’agit de consolider le recueil d’informations, notamment sur la formation continue et les acquis de l’expérience. Ce chantier pose notamment des difficultés du point de vue de la cohérence des systèmes d’information locaux et de la remontée d’informations individuelles cohérentes.

Enfin, je voudrais dire un mot des comparaisons internationales en soulignant les contraintes que cet exercice fait peser sur notre activité. A compter du 1er janvier 2012, en ce qui concerne les statistiques d’éducation et de formation entreront dans le champ d’un règlement européen qui nous oblige à fournir
annuellement des tableaux. Pour un certain nombre de tables que nous ne savons pas fournir, nous avons demandé des dérogations qui ont une validité de deux ans. Nous devrons, pendant ce délai, aménager nos systèmes d’information afin de ne pas avoir à redemander une dérogation.

Par ailleurs, nous sommes gênés, au même titre que l’INSEE, par le changement de stratégie d’Eurostat. Ce changement est substantiel et imprévu, puisqu’Eurostat avait fixé, en accord avec les pays membres, une
perspective de moyen terme dans l’articulation des dispositifs d’observation – notamment par voie d’enquêtes – visant à mesurer le niveau de formation de la population. Cette orientation est complètement remise en cause avant même que ces dispositifs aient été mis en oeuvre intégralement. Nous serons obligés d’intégrer toutes ces contraintes au cours des années à venir.

Pierre-Yves GEOFFARD, CNRS et École d’économie de Paris, président de la commission

A ma connaissance, l’enquête SHARE sera uniquement conduite par l’IRDES. Son financement n’est pas encore assuré. Il dépendra de la réponse apportée à une demande de financement présentée dans le cadre du Grand Emprunt au titre de la vague 2, après un échec au cours de la première vague de financements.

Daniel BLONDET, CGT

Vos remarques concernant Eurostat et les contraintes européennes ne figurent pas dans le texte. Il serait intéressant de les signaler.

Par ailleurs, je voudrais souligner une fois de plus, à la lumière du programme de travail projeté, la dégradation du nombre de publications de la DEPP, ce que l’on peut juger très inquiétant. Si l’on inclut les notes d’information du SIES et de la DEPP, on se rend compte que le nombre de publications a diminué de
près de 50 % depuis le début des années 2000. Un communiqué a été diffusé par les organisations syndicales et largement repris par la presse à ce sujet.

La base « décrocheurs » ne relève pas de la statistique publique. Il me semble néanmoins que la commission devrait avoir des informations sur cette base, pour deux raisons. En premier lieu, il s’agit d’un point très sensible, qui a suscité des protestations et qui en soulèvera d’autres.

La semaine dernière, le ministre Luc Chatel s’est vanté de pouvoir communiquer la liste exacte des décrocheurs au préfet de région (avec nom, adresse et date de naissance), ce qui est de nature à jeter un discrédit sur la statistique publique. Je parle du discrédit croissant dont pâtit la statistique publique dans l’opinion publique. En second lieu, votre travail semble largement impacté par cette affaire. Quels sont les liens entre les différentes bases et cette base nominative, qui sera placée dans une plateforme commune
avec d’autres administrations ? Dans votre programme d’activité, au chapitre « apprentissage », nous voyons que la DEPP a consacré des ressources importantes à l’alimentation de cette base. On sent même, dans l’expression de votre programme, un reproche sur cette question.

Cédric AFSA

J’ai précisé que le changement de stratégie d’Eurostat représentait une contrainte qui pèserait sur nos activités, cet impact pouvant n’intervenir qu’après 2012.

Concernant la baisse du nombre de publications, je voudrais apporter deux rectificatifs à ce qui a été dit. Tout d’abord, le nombre de notes d’information n’aura pas connu une chute en 2011, au contraire. La comparaison 2011/2010 a été faite sur la base des notes sorties en août 2011. Beaucoup de notes
d’information ont connu ou connaissent des retards dans leur production ou leur publication pour différentes raisons, tenant notamment à des problèmes d’organisation interne. Si toutes les notes en cours de réalisation ou de finalisation paraissent au titre de 2011, il y en aura une trentaine, soit peu ou prou cinq de plus que l’année dernière. Il n’en demeure pas moins que la situation est préoccupante. Le problème est complexe. Nous essayons de le résoudre en partie par la relance de notre politique éditoriale.

Deuxième élément, il y a une avancée significative dans la diffusion de l’information : sur le site ministériel figure désormais un onglet « statistiques » qui va nous permettre de mettre à la disposition des utilisateurs des informations dématérialisées. Ce sera notamment l’occasion de rendre accessibles des séries longues.

La maîtrise d’ouvrage de l’opération que vous avez citée concernant les « décrocheurs » est la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Dès le début, nous n’avons pas souhaité participer à la maîtrise d’ouvrage de l’opération. Nous avons offert nos services d’assistance à la maîtrise d’oeuvre en mettant à disposition notre savoir faire dans la remontée d’informations et dans les appariements de données. Nous n’avons accès à aucune information nominative, tout comme les services du Ministère partenaires du dispositif. Ces informations sont réservées aux correspondants locaux, qui y ont accès par le
biais de procédures strictes d’habilitations, dans le cadre de leur mission qui est d’offrir aux jeunes sortis prématurément du système scolaire des solutions d’insertion ou d’accompagnement. Ce dispositif sur les décrocheurs n’est pas une opération à finalité statistique. Elle ne sera jamais présentée au Cnis.

Pierre-Yves GEOFFARD

Il est bien sûr difficile, pour la commission, de se prononcer sur une enquête dont le Conseil n’a pas été saisi. Nous pouvons rappeler les règles déontologiques, comme nous l’avons fait par le passé. Mais le problème posé ici est d’une autre nature et sans doute d’autres instances sont-elles appelées à intervenir.

Daniel BLONDET

Je vous remercie, Monsieur Afsa, pour ces informations très claires. Un échange doit avoir lieu et il est impossible de l’avoir avec la DGESCO, qui fonctionne dans l’opacité la plus totale.

Cédric AFSA

Je précise que cette remontée d’informations concernant en particulier les apprentis est amenée à se répéter plusieurs fois dans l’année, à des dates parfois imprévues. Une nouvelle campagne va très probablement être lancée fin février, ce qui risque de perturber nos propres remontées d’informations
statistiques sur les apprentis.

Philippe CUNEO, CNIS

Le Conseil pourrait souligner que les informations relatives aux décrocheurs ne relèvent pas de la statistique publique.

Pierre-Yves GEOFFARD

Cela me semblerait utile.

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Rappel

Suivi personnalisé pour 160.000 lycéens décrocheurs

Luc Chatel annonce des solu­tions "sur-mesure" pour les lycéens
décro­cheurs, qui seront sui­vis grâce à une base de données.

[Vousnousils, le 14 novembre 2011]


Entre juin et octobre, 223.000 lycéens (envi­ron 5% des effec­tifs totaux) sont sor­tis du sys­tème sco­laire sans diplôme. Un quart d’entre eux a été pris en charge par des mis­sions locales, mais plus de 160.000 ont été « per­dus de vue » par l’administration, selon Luc Chatel, invité dimanche du Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro.

« Nous avons décidé de leur appor­ter une réponse per­son­na­li­sée, indi­vi­dua­li­sée », a annoncé le ministre de l’Education. « Dans tous les dépar­te­ments (...), j’ai trans­mis aux pré­fets et aux ins­pec­teurs d’académie la liste exacte de ces décro­cheurs, et donc nous allons faire du sur-mesure », a-t-il pro­mis. Le ministre avait décidé en mai der­nier de « décla­rer la guerre au décro­chage sco­laire ».

Les décro­cheurs se ver­ront pro­po­ser un contrat en alter­nance, un suivi par une mis­sion locale ou un tra­vail indi­vi­dua­lisé. Ces décro­cheurs seront sui­vis grâce à un fichier croi­sant les don­nées du « sys­tème de l’Education natio­nale, de l’enseignement agri­cole, des CFA, des mis­sions locales », avec l’autorisation de la Commission natio­nale de l’informatique et des
liber­tés
(Cnil). Ce logi­ciel de recen­se­ment avait été annoncé en avril 2010 [3]. [...]

Notes

[1Voir la synthèse : http://www.cnis.fr/files/content/si....

[2Extrait – pages 32 à 34 – du compte-rendu de cette réunion.


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