Roissy : retraits et refus de badges


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : samedi 11 novembre 2006
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Depuis mai 2005, 72 employés de l’aéroport de Roissy se sont vus retirer leur badge, et, depuis 2004, 2 600 demandes de badge ont été refusées – pour des raisons de sécurité ...

Nous ajoutons au dossier les témoignages de trois débadgés parus dans Libération. Lors du procès en référé de huit bagagistes qui réclamaient du ministère des pièces justifiant le retrait de leurs badges, le juge s’est déclaré incompétent.

Article mis en ligne le 6 novembre 2006
mis à jour le 11 novembre 2006

Le Monde avec AFP, le 10 novembre 2006

Le juge des référés du tribunal de Bobigny s’est déclaré "incompétent" vendredi 10 novembre pour enjoindre Nicolas Sarkozy et le préfet de Seine-Saint-Denis de produire les éléments justifiant les retraits de badges d’accès en zone sous douane, comme le demandaient huit employés de Roissy, avec le soutien de la CFDT. Le juge a par ailleurs jugé "irrecevable" la demande de reconnaissance d’atteinte à la présomption d’innocence formée par les requérants.

Mercredi lors de l’examen des référés, Me Georges Holleaux, l’avocat du ministre et du préfet, avait annoncé que la préfecture allait redonner des badges à deux des huit requérants. Il avait également indiqué que les six autres employés allaient recevoir les notes des services de renseignement sur lesquelles la préfecture s’est appuyée pour les sanctionner. Ces notes rédigées par l’unité centrale de lutte contre le terrorisme (Uclat) ont été communiquées aux employés dans la journée de mercredi.

Certaines d’entre-elles évoquent des "relations" avec des islamistes radicaux. Une note souligne qu’un"employé de la société de bagagistes Connecting Bag Services" est "connu de notre documentation pour être en relation" avec "un militant intégriste lié à des individus évoluant dans la mouvance salafiste", dont la note fournit le nom. Le document, très court, conclut que le comportement de l’employé "présente une vulnérabilité incompatible avec une habilitation d’accès en zone réservée de l’aéroport", termes que l’on retrouve mot à mot dans les courriers de la préfecture envoyés à des employés pour leur annoncer le retrait de leur badge.

Selon une autre note, plus longue, un autre employé "inconnu sur le plan judiciaire (...) retient l’attention des services en charge de la lutte antiterroriste pour être en relation avec des islamistes radicaux". Selon cette note, "l’individu a fait l’objet en 2004 d’une mise en garde de son employeur (...) alors qu’il revendait des flacons d’essences de parfums de grandes marques sur son lieu de travail". Après avoir évoqué le profil du frère de l’individu, également "titulaire d’un badge aéroportuaire", la note conclut sur la "vulnérabilité" de l’individu.

"Quand l’Uclat conclut qu’une personne présente une vulnérabilité pour la sûreté de l’aéroport, je n’ai aucune raison de ne pas lever son habilitation à travailler en zone réservée", a indiqué le sous-préfet de Roissy, Jacques Lebrot.

Portraits de « Débadgés »

Libération, 10 novembre 2006

Sans explication, sans preuve, par lettre recommandée, ils ont subitement été privés de leur badge d’accès à Roissy, et donc de leur emploi de bagagiste ou d’agent de sécurité à Roissy. Portraits de trois employés de l’aéroport.

Mohammed, 44 ans, bagagiste depuis 2000

Le 6 octobre, Mohammed, 44 ans, reçoit une lettre de la sous-préfecture de Roissy l’informant qu’il « présente un danger significatif pour la sûreté aéroportuaire ». Le badge indispensable à son métier de bagagiste lui est retiré illico. On lui reproche de ne pas avoir répondu à une première lettre recommandée de la même sous-préfecture lui demandant en substance de justifier qu’il est irréprochable en termes de sécurité. Problème : Mohammed n’a jamais eu connaissance de ce courrier. « A ce moment-là, j’étais en vacances en Algérie, raconte-t-il. Quand je suis rentré, le 6 septembre, j’ai trouvé dans ma boîte un avis de lettre recommandée. Je me suis présenté à la poste. Mais la lettre avait déjà été renvoyée à l’expéditeur sans que je sache qui m’avait écrit. » Quand le badge lui a été retiré, Mohammed a tenté de prouver sa bonne foi. « J’ai fait des photocopies de mon passeport, du billet de mon voyage en bateau et de mon attestation de congés payés pour prouver que j’étais en vacances. J’ai tout donné à un représentant syndical. » Ce dernier a rencontré le sous-préfet pour expliquer le cas particulier de Mohammed. Trop tard, « car la décision de retrait était déjà prise ». Aujourd’hui, Mohammed cherche à comprendre pourquoi il a été visé par la sous-préfecture. « Je n’ai pas voyagé dans des pays sensibles. Je ne fréquente pas d’école coranique. Je me dis qu’on me reproche peut-être d’être croyant et pratiquant. » A Roissy, il existe en effet une salle de prière, mise à la disposition des employés. Mohammed allait y prier souvent : « C’est sans doute ça qui me vaut mes ennuis aujourd’hui. »

Hervé, 30 ans, agent de sécurité depuis avril 2003

Contrairement à la plupart des 72 employés sanctionnés de Roissy, Hervé n’est pas bagagiste mais agent de sûreté au poste d’inspection filtrage (PIF), le point de passage par lequel les voyageurs accèdent à la zone réservée de l’aéroport. Portiques de détection, machines à rayons X pour vérifier les bagages : « L’an dernier, dans le cadre de mon activité professionnelle, j’ai été à l’origine de l’interception d’une arme à feu ­ un pistolet avec des balles ­ dans le bagage d’un voyageur. J’ai reçu une lettre de félicitations de mon employeur. » Nouvelles félicitations au printemps. Cette fois, son employeur ­ la société International Consultants on Targeted Security-France ­ le complimente pour son rôle dans le « bon fonctionnement du service de l’ordre » lors d’une visite à Roissy de Nicolas Sarkozy et Dominique Perben, le 20 avril 2006. Mais, le 17 août 2006, il reçoit une lettre recommandée lui signifiant en substance qu’il avait un comportement et une attitude incompatibles avec la sûreté aéroportuaire. « Sans aucune précision sur les faits qui m’étaient éventuellement reprochés », explique-t-il. Il est ensuite convoqué par la police aux frontières, chargée d’une enquête sur le risque terroriste. « On m’a demandé : "Savez-vous pour quelle raison êtes-vous là ?" J’ai répondu :"non". » Le 7 octobre, son badge lui a été retiré. Hervé a son idée sur l’origine de ses déboires : « Je suis un Français de souche converti à l’islam, et je pratique ma religion. Je constate que tous les employés visés dans cette affaire sont de confession musulmane. » Lui refuse « tout amalgame entre pratique de l’islam, fondamentalisme et, pour finir, terrorisme ».

Ahmed, 30 ans, bagagiste depuis janvier 2000

Comme tous les autres bagagistes concernés, Ahmed s’est vu retirer son badge du jour au lendemain. C’était le 6 octobre : « Tout ça m’inspire un sentiment d’injustice envers moi et mes collègues. Nous sommes victimes d’un délit de sale gueule ! » Quand la décision est tombée, il était en poste à Roissy depuis presque sept ans. « Si on était dangereux, ça se saurait. Depuis début octobre, je n’ai plus de revenus. J’ai une famille avec deux enfants. En ce moment, j’emprunte à gauche et à droite pour vivre, en espérant récupérer bientôt mon boulot pour rembourser. » Lui aussi a reçu la fameuse lettre du sous-préfet, en date du 17 août, lui annonçant qu’il était considéré comme un « danger », sans pour autant que la missive n’étaye les soupçons. « J’ai répondu par écrit que je souhaitais avoir des précisions sur ce qu’on me reprochait. J’ai demandé un entretien. » Il n’a jamais été convoqué. Ahmed dit qu’il n’a « jamais effectué de voyages » dans des pays « sensibles » (Pakistan, Yémen...) pouvant éveiller des soupçons . Il ne « fréquente aucune mosquée considérée comme extrémiste ». Avant d’être embauché à Roissy, Ahmed a travaillé pendant deux ans comme agent pour le compte d’une société de sécurité, prestataire de service de la SNCF. « J’étais chargé de vérifier les bagages dans les gares et les trains. Je devais veiller sur les valises ou les colis et être spécialement attentif à d’éventuels bagages abandonnés. » Au bout de huit années d’activités dans des zones sensibles, le voilà jugé dangereux.
Aujourd’hui, il espère que le tribunal administratif ­ qu’il a saisi avec d’autres collègues bagagistes ­ lui rendra le badge indispensable pour continuer à travailler.

Par Tonino SERAFINI

72 retraits de badges "liés à des mouvances fondamentalistes"

[AFP 02/11/2006 ] [1] - Le sous-préfet de Roissy, Jacques Lebrot, a déclaré
jeudi que 72 employés de l’aéroport ont fait l’objet d’un retrait de badge
depuis mai 2005 parce qu’ils sont "liés à des mouvances fondamentalistes à
visée potentiellement terroriste".

"72 employés ont fait l’objet d’un retrait de badge" parce qu’"ils sont liés à
des mouvances fondamentalistes à visée potentiellement terroriste", a déclaré
Jacques Lebrot. Une "grande majorité" de ces 72 employés sont liés à une
"mouvance islamiste", a-t-il ajouté.

Une "petite dizaine" d’employés se sont vu retirer leur badge d’accès à la
zone sous-douane de Roissy parce que proches d’organisations terroristes liées
aux tigres tamouls, a ajouté M. Lebrot. Un employé sikh a aussi été l’objet
d’un retrait de badge. "Plusieurs syndicalistes" font partie des 72 employés
visés, a ajouté M. Lebrot.

L’un des 72 employés a été en "contact suivi" avec une personne qui était "en
contact directe avec Richard Reid" : membre d’Al-Qaïda, le Britannique Richard
Reid avait tenté en vain le 22 décembre 2001 d’actionner en vol entre Paris et
Miami des explosifs dissimulés dans ces chaussures.

Le sous-préfet avait indiqué le 20 octobre que des badges avaient été retirés
à des employés de Roissy parce qu’ils avaient fréquenté pendant plusieurs mois
des écoles coraniques jugées dangereuses en Afghanistan ou au Pakistan.

Depuis mai 2005, cinq employés à qui la préfecture avait retiré leur badge
pour des raisons de sûreté liées à des risques terroristes ont été l’objet
d’un recours gracieux du préfet de Seine-Saint-Denis et ont récupéré leur
badge parce qu’ils avaient "apporté de nouveaux éléments" à la connaissance de
la préfecture, a précisé M. Lebrot.

Par ailleurs, quelque 68 employés ont été l’objet d’un signalement depuis mai
2005 de la part des services de la préfecture de Seine-saint-Denis et n’ont
pas été sanctionnés après enquête, a précisé le sous-préfet.

Une quarantaine de dossiers sont en cours d’instruction, a-t-il ajouté. "Les
enquêtes et les retraits de badge vont continuer jusqu’à ce qu’on ait éradiqué
tous les gens qui posent problème au niveau de la sûreté aéroportuaire à
Roissy", a-t-il dit.

Au total, depuis mai 2005, près de 180 employés de Roissy ont été l’objet
d’une enquête de la préfecture de Seine-Saint-Denis et des services de
renseignement français pour des raisons de sûreté liées à des risques
terroristes.

Une dizaine de salariés ont introduit un recours devant le tribunal
administratif de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) pour suspendre la décision prise
par la préfecture de Seine-Saint-denis de leur retirer leur badge. Ce recours
doit être examiné le 10 novembre.

Par ailleurs, une plainte pour discrimination a été déposée, le 19 octobre,
par le syndicat CFDT auprès du procureur de la République de Bobigny qui a
ouvert une enquête le jour même. De son côté, la Haute autorité de lutte
contre les discriminations (Halde) s’est autosaisie pour vérifier s’il y a eu
discrimination dans le cadre de ces retraits de badge.

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Depuis 2004, 2 600 refus de badge pour raisons de sûreté

[AFP 03/11/2006] [2] - Depuis 2004, quelque 2 600 personnes se sont vues refuser l’obtention d’un
badge d’accès à la zone réservé de Roissy pour des raisons de sûreté non liées
à des risques terroristes, a-t-on appris auprès de la sous-préfecture de
Roissy. Ces personnes n’ont pas obtenu de badge ou de renouvellement de badge
pour des raisons de sûreté qui ne sont pas liées à des risques terroristes
mais, dans la plupart des cas, à leur présence sur les fichiers de police et
de gendarmerie pour des affaires délictuelles ou criminelles.

A Roissy, une
vingtaine d’agents de la Police aux frontières (PAF) épluchent les fichiers
STIC (police), JUDEX (gendarmerie), de la Direction de la surveillance du
territoire (DST, contre-espionnage) et des Renseignements généraux (RG) pour
vérifier si les candidats aux badges ont déjà eu affaire à la justice où si
leur nom était déjà apparu dans une enquête, préalablement au renouvellement
de badge, a-t-on appris de source aéroportuaire.

  • En 2004, hors personnels
    navigants, il y a eu 1 049 demandes d’habilitation refusées sur 79 738
    demandes, soit 1,3% des demandes.
  • En 2005, il y a eu 860 refus pour 65 678
    demandes soit 1,3% également.
  • Pour les neuf premiers mois de 2006, il y a eu
    697 refus pour 57 532 demandes soit 1,2%.

Au 20 octobre 2006, 87 570 employés
avaient un badge qui donne accès à la zone réservée de Roissy, sensible du
point de vue de la sécurité, qui se trouve aux abords des pistes.
Une centaine
d’employés de pistes de Roissy se sont mis en grève le 20 octobre à l’appel de
la CFTC Air France et une soixantaine d’entre eux ont manifesté devant le
terminal 2F afin de dénoncer le "durcissement" dans l’attribution des badges
aéroportuaires.

A deux reprises, en 2005 et 2006, la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (Cnil) avait dénoncé les "risques graves
d’exclusion sociale et d’atteinte aux libertés individuelles" que comportait
le fichier STIC recensant les mis en cause dès qu’une procédure pour
infraction est ouverte par la police.


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