bagagistes de Roissy : l’enquête pour discrimination classée sans suite


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : jeudi 31 juillet 2008
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Le procureur de la République de Bobigny a classé sans suite les plaintes pour discrimination, déposées fin 2006, au nom des “débadgés de Roissy”, au motif que « le retrait des badges n’a pas été fondé sur la confession musulmane des bagagistes, mais au vu de leurs comportements ». Les salariés musulmans avaient été privés de leurs badges d’accès à l’aéroport entre mai 2005 et novembre 2006 par la préfecture de Seine-Saint-Denis, qui les soupçonnait d’appartenir à la mouvance islamiste.

Soixante-douze salariés travaillant dans la zone sécurisée de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle étaient touchés par cette mesure. Jugées insuffisamment motivées, plusieurs décisions préfectorales avaient été annulées par la justice administrative.

[Première publication le 2 mai 2007, mise à jour le 31 juillet 2008]

Voir en ligne : Roissy : retraits et refus de badges

“Débadgés de Roissy” : classement de l’enquête pour discrimination

[AP - 28 juillet 2008 17:42]

Le procureur de la République de Bobigny a classé sans suite les plaintes pour discrimination déposées fin 2006 au nom des “débadgés de Roissy”, ces salariés musulmans privés de leurs badges d’accès à l’aéroport par la préfecture de Seine-Saint-Denis qui les soupçonnait d’appartenir à la mouvance islamiste, a-t-on appris lundi de source judiciaire.

Soixante-douze salariés travaillant depuis des années dans la zone sécurisée de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle étaient touchés par cette mesure qui a fait perdre leur emploi à la plupart d’entre eux.

Insuffisamment motivées, plusieurs décisions préfectorales ont été annulées depuis par la justice administrative et même le Conseil d’Etat, mais les travailleurs concernés n’ont pas retrouvé leur emploi pour autant.
Les “débadgés” avaient à l’époque reçu le soutien de la CFDT et l’Association de défense des droits de l’Homme (ADDH) qui avaient porté plainte pour discrimination au nom de sept hommes. Une enquête préliminaire, confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre les personnes, avait été immédiatement ouverte par le procureur. [1]

« Pour qu’il y ait discrimination, l’appartenance religieuse doit être le fondement de retrait du badge, ce qui n’est établi », a-t-on indiqué de source judiciaire. « Le procureur a considéré que ce sont les comportements des personnes qui sont en cause », a-t-on précisé de même source.

François Molins a également estimé que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, le retrait des badges s’était fait dans un « but légitime », à savoir « la sécurité et la sûreté aéroportuaire », selon la même source.

Les “débadgés” avaient affirmé que lors de l’entretien préalable à ce retrait, ils avaient été questionnés sur leurs pratiques religieuses : le respect du ramadan, le mois de jeûne sacré pour les musulmans, la fréquentation ou non d’une mosquée, le port du voile par leur femme, un éventuel pèlerinage à La Mecque...
Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait alors justifié le retrait des habilitations affirmant qu’« il y avait des éléments précis qui nous appelaient à leur interdire l’entrée » à la zone sécurisée de Roissy. AP

La préfecture ne retire plus les badges des sept employés

[CGT Roissy - samedi 12 mai 2007]

Entre mai 2005 et novembre 2006, la préfecture avait retiré leurs badges à 72 employés pour des raisons de sûreté liées à des risques terroristes. Sept d’entre eux avaient introduit un référé devant le tribunal administratif de Cergy. Le tribunal avait décidé le 15 novembre de suspendre dans deux cas et de maintenir dans cinq autres la décision de la préfecture de leur retirer leurs badges. Désormais, « le tribunal administratif ne pourra pas statuer sur le fond puisque la décision attaquée a été retirée », explique Hélène Masse-Dessen, avocat de Karim BENMABROUK et Karim KHERFOUCHE deux des sept salariés débadgés soutenus par la CGT. « Cette décision pose aussi la question de la pertinence des notes de l’Unité de coordination de lutte antiterroriste (Uclat) sur lesquelles s’était notamment basé le préfet », souligne un autre avocat, Daniel Saadat. Parmi les sept employés privés de badge, plusieurs ont fait l’objet d’une procédure de licenciement. C’est le cas d’Hervé Bataille et de Karim KHERFOUCHE. D’autres ont vu leurs contrats de travail suspendus et sont sans salaire depuis six ou sept mois. Pour Karim BENMABROUK, délégué CGT chez FedEx, l’inspecteur du travail n’a toujours pas statué sur sa demande de licenciement présentée par la direction. Cette procédure est maintenant sans objet puisque le motif de licenciement n’existe plus. Quant à Mohamed Lorgat, il n’avait toujours pas récupéré son badge alors que le tribunal administratif puis le Conseil d’Etat avaient demandé à la préfecture de le lui rendre.

De son côté, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) a révélé hier que le parquet de Bobigny lui avait refusé l’autorisation d’enquêter sur le dossier des 72 employés privés de badges. « Pourquoi ce refus ? » s’étonne un représentant de la Halde, soupçonnant le parquet de « verrouiller les investigations ». Au parquet de Bobigny, le procureur se défend de vouloir faire barrage à la Halde, bien au contraire, comme en témoigne le récent partenariat passé avec la Haute Autorité dans la poursuite des discriminations, et la nomination prochaine d’un substitut spécialisé à Bobigny.

Syndicats et associations s’étaient mobilisés contre l’arbitraire et la stigmatisation dont étaient victimes des salariés de confession musulmane sur les aéroports de Roissy et Orly. Elles avaient appelé les salariés à participer à une manifestation le 14 décembre 2006 sur la plate-forme de Roissy. Ce recul de la préfecture et du ministère de l’Intérieur est un point marqué dans le camps des défenseurs des libertés et des droits de l’Homme. C’est aussi un encouragement à maintenir notre vigilance et à poursuivre notre mobilisation contre les atteintes de toutes sortes à nos droits et à nos libertés.

« Il risque d’être licencié a tout moment »

samedi 28 avril 2007
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Mohamed-Ali Lorgat

Réhabilité le 2 février dernier par un arrêt du Conseil d’Etat, Mohamed-Ali Lorgat n’a toujours pas pu récupérer son badge d’accès à la zone réservée de l’aéroport de Roissy. Ce salarié de chez CBS faisait partie des 72 bagagistes musulmans de Roissy auxquels la préfecture du 93 avait décidé de retirer leurs laissez-passer en octobre 2006, au motif qu’ils représentaient « un danger significatif pour la sûreté aéroportuaire »

Comme une dizaine d’autres, le bagagiste avait exercé un recours devant le tribunal administratif de Cergy (Val-d’Oise). Lors de l’audience, la préfecture avait notamment produit des notes de l’Unité de coordination de lutte antiterroriste (Uclat). Selon Mohamed-Ali Lorgat, les faits qui lui sont reprochés — avoir hébergé avec son père un ressortissant indien lié à la mouvance islamiste au Royaume-Uni — sont inexacts.

Or, le 15 novembre, le tribunal a suspendu la décision du préfet concernant ce salarié, l’homme s’est vu alors remettre un badge provisoire. Le 2 février, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi que le ministère de l’Intérieur avait engagé contre cette décision et, malgré cet arrêt, Mohamed-Ali Lorgat ne peut plus travailler. Son badge temporaire est arrivé à échéance le 31mars dernier et, depuis, faute de sésame, l’employé s’est résolu à poser des congés jusqu’au 10 mai.

« Il risque d’être licencié à tout moment, heureusement que son employeur se montre compréhensif », commente Me Blandine Sibenaler, son avocate, qui précise que M. Lorgat « se rend tous les jours à la police de l’air aux frontières (PAF) ». Elle-même assure avoir sollicité à plusieurs reprises préfecture et sous-préfecture, en vain. « Je considère ce silence comme une décision implicite de refus du préfet. Cela va m’obliger à ressaisir le tribunal administratif la semaine prochaine », envisage la juriste. Contactée hier, la préfecture de Seine-Saint-Denis n’a pas tenu à faire de déclaration sur cette affaire.

Union Locale CGT Roissy-CDG

Ordre moral à l’aéroport

En août 2006, 72 employés de Roissy ont été privés de leur badge d’accès à la zone sécurisée. Enquête sur un excès de zèle antiterroriste.

par Christophe Boltanski, Libération du 10 novembre 2006

Ce n’était qu’une simple échauffourée, une « histoire toute bête », selon Hakim. Un soir d’avril 2005, quelqu’un lui a tenu des « propos mal placés ». « Je me suis expliqué calmement. L’autre m’a foncé dessus. Je me suis défendu. On va pas tendre la joue droite et la joue gauche. » L’homme a porté plainte. Il n’y a pas eu de suite judiciaire. Mais Hakim a été interdit de travail pendant deux mois.

Agent de piste pour l’une des multiples sociétés de sous-traitance de l’aéroport de Roissy, il charge et vide les soutes à bagages des avions. En juin dernier, il devait renouveler son badge qui lui donne accès à la « zone réservée », cet immense périmètre sous douane. Un territoire où travaillent près de 60 000 des 80 000 employés de Roissy. L’officier de la police aux frontières (PAF) lui a annoncé que sa carte avait été suspendue. « Il y a eu une enquête et ils me l’ont rendue. » Aujourd’hui, neuf autres employés de la plateforme faisant l’objet de la même procédure portent l’affaire devant les tribunaux.

Contrôle biométrique. Terminal E, niveau - 1, Morad, un bagagiste vêtu du gilet jaune réglementaire doit traverser une petite frontière avant de travailler. « Je ne porte pas de ceinture ni de sac. Sinon, on attend une heure aux rayons X. » Avant de franchir le portique détecteur, il pose son badge rouge sur le lecteur magnétique, appuie son index sur une touche de contrôle biométrique. Son visage et son nom apparaissent sur l’écran. Pas de croix rédhibitoire. Il peut entrer.

« Avant le 11 Septembre, il n’y avait qu’un tourniquet. Depuis, on a créé un Patriot Act sur l’aéroport », s’écrie un délégué syndical Sud en référence à la loi antiterroriste américaine. Pour travailler sur la plateforme, il suffisait de fournir un extrait du casier judiciaire, le B2. « Même si on figurait dans le B2, on n’essuyait pas forcément un refus : il y avait la volonté d’insérer les jeunes de banlieue », explique Thierry Bigeon, de la CGT Air France.

« Fait du prince ». Les habilitations sont délivrées maintenant par un sous-préfet, Jacques Lebrot [2], affecté spécialement à l’aéroport, après un épluchage des fichiers de la police (Stic), de la gendarmerie (Judex), de la DST, des RG, ainsi que du FPR (fichier des personnes recherchées) [3]. Une simple mention dans l’une de ces bases de données entraîne une suspension automatique du badge. Pas d’accès, pas de boulot. « Si le patron est bien disposé, il vous met en congé sans solde ou en vacances. Dans les petites boîtes, c’est souvent le licenciement », explique Danièle, agente de sûreté et responsable CGT. L’entreprise invoque alors une rupture du contrat de travail pour « fait du prince », une volonté supérieure qui ne dépend ni d’elle ni de son employé.

Les autorités reconnaissent avoir refusé 2 600 badges depuis 2004 pour des raisons non liées à des risques terroristes. Un divorce qui tourne mal, une querelle de voisinage, un excès de vitesse, peuvent ainsi déboucher sur un renvoi. « Il suffit que tu n’aies pas payé tes impôts pour avoir un retrait de badge. On a dévié de la sûreté à la moralité », s’insurge Thierry Bigeon. Pour récupérer sa carte, un stewart surpris au bois de Boulogne avec une prostituée doit expliquer aux autorités qu’il a accepté de voir un psychiatre et de faire un « travail sur soi ». Un mari qui avait frappé sa femme et s’était retrouvé en garde à vue a été mis à pied quelques mois plus tard. Entretemps, le couple s’est réconcilié. Une agente d’escale Air France se retrouve « sans boulot », privée de badge depuis la mi-août, parce que son ex-petit ami a été arrêté en possession de stupéfiants. La police l’a placée en garde à vue. « On ne se voyait plus depuis six mois. Les policiers croyaient que j’étais mêlée à un trafic. Ils m’ont relâchée et se sont excusés. » Reste la main courante, un nom sur un registre qui resurgit au premier renouvellement (effectué entre six mois et deux ans) du badge. A chaque fois, il faut plaider auprès des autorités, constituer des dossiers, faire intervenir les syndicats ou recourir à un avocat. Cela dure trois, quatre mois. Un stewart, accusé à tort d’outrage et de coups à agent, va recouvrer son badge après quatre ans et demi.

« Larmes ». Le représentant de l’Etat à Roissy dispose d’un « droit de vie ou de mort sur les salariés », dénonce un syndicaliste. « Notre seul recours, c’est d’aller pleurer devant lui », confie un autre. « Si je me brouille avec Lebrot, la prochaine fois que je le vois pour un gars, il ne me rendra pas son badge », déplore un troisième. Son pouvoir s’exerce bien au-delà des seules questions de sécurité. L’an dernier, le sous-préfet a réquisitionné les grévistes d’une société de bagagistes, CBS. « Les gendarmes nous ont obligés un par un à signer un PV reconnaissant que notre action était illicite », raconte Mourad. Ils ont obtempéré aussi par peur de perdre leur précieux sésame. « Il faut que je sois réglo sur tout. Cette menace du badge, elle est permanente, raconte Danièle. Pendant une alerte à la bombe, une hôtesse est allée rechercher son sac. Quand un gendarme l’a vue revenir en arrière, ça l’a énervé, il lui a pris son badge. Elle était en larmes. Elle croyait avoir perdu son boulot. » Au cours des dernières années, les contrôles se sont multipliés. Les interdits aussi. Notamment à l’encontre des musulmans pratiquants. Après le livre de Villiers dénonçant les « mosquées de Roissy », la direction de CBS a fait retirer les deux tapis de prière des vestiaires. « Un gendarme est passé sur les tapis et a vu un mec avec une barbe, se souvient Danièle. Il lui a dit : "Demain tu l’as plus !" »

Christophe Boltanski

Notes

[1Dans cette affaire, la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) avait dû renoncer à enquêter, en raison de l’enquête menée à Bobigny. L’avocat de la CFDT avait alors accusé le parquet de Bobigny de « verrouiller » les investigations dans le but de « préparer un enterrement de première classe » de sa plainte. [Source : AFP]

[2Jacques Lebrot, sous-préfet à la sécurité de Seine-St-Denis, est l’un des lauréats des Big Brother Awards 2006 :
« Ce haut fonctionnaire a usé et abusé de son droit d’accès aux fichiers de police pour priver d’emploi plusieurs milliers de salariés, violant leur présomption d’innocence sur la base de pratiques clairement discriminatoires. » Source : http://bigbrotherawards.eu.org/Jacq....


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