Le tribunal administratif de Nice vient de condamner l’Etat à réintégrer, à la direction départementale de l’équipement des Alpes-Maritimes (DDE), un ancien stagiaire qui n’avait pas été titularisé et à lui verser 2000 euros [1].
L’Etat condamné à réintégrer un stagiaire à la DDE
Var Matin, 18 juillet 2007L’Etat dispose d’un mois à compter de la notification du jugement pour l’exécuter. [2]
Soulagé par le jugement
Abdelaziz Nana est un Antibois d’origine maghrébine. Selon lui, c’est sa couleur de peau qui l’a empêché d’être titularisé à l’issue de son stage en 2004 et 2005.
S’il a saisi, dans un premier temps, le tribunal administratif, c’est que d’autres faits lui permettaient de demander sa réintégration. « C’était ma priorité, précise Abdelaziz Nana, donc je suis soulagé de ce jugement. »
Souhaite-t-il vraiment retourner à la DDE ? « Bien sûr, même si effectivement le tribunal aurait pu demander ma titularisation. » C’est en effet à l’issue d’une période obligatoire d’un an de stage qu’Abdelaziz a été licencié « pour insuffisance professionnelle ». Lui rétorque : « discrimination raciale ».Dans ses attendus, le tribunal administratif évoque les observations de la Haute autorité contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) qui confirment « un harcèlement moral à caractère discriminatoire. »
Cette partie du dossier fait l’objet d’une autre procédure devant la justice pénale.
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Accusée de discrimination raciale, la DDE pourrait devoir réintégrer un de ses ex-stagiaires… au motif de l’irrégularité de la formation.
L’ex-agent « gris » de la DDE, Abdelaziz Nana, perdra « ses droits » en juillet. Néanmoins d’ici là le tribunal administratif pourrait lui reconnaître celui de réintégrer son poste et d’opérer un saut dans le temps deux ans en arrière, en mai 2005. Mais le « blanchissement » du stagiaire, Toulonnais de naissance et d’origine algérienne, risque d’emprunter des chemins inattendus. Car, vendredi, le commissaire du gouvernement, Jean-Pierre Louvet, a jugé que « M. Nana n’aurait pas su réagir au défaut de discrimination de l’administration », s’indigne Me Catherine Cohen-Seat, avocate de l’ancien agent.
Au nom du préfet des Alpes-Maritimes, Pierre Allégret balaie carrément l’argument discriminatoire au motif qu’il œuvre au sein de la DDE tout près d’un homme prénommé « Jamel », secrétaire administratif et susceptible, bientôt, de diriger un service. Le commissaire rebondit en revanche sur l’irrégularité du stage, « dénué d’un encadrement véritable, sans objectif fixé ». Selon lui, Abdelaziz Nana doit donc aujourd’hui être placé dans une situation où faire valoir ses capacités professionnelles et sans propos discriminatoires. En clair, selon Jean-Pierre Louvet, le harcèlement moral à caractère discriminatoire a été mis en évidence mais aurait été sans influence sur la décision de licencier. Pour Me Cohen-Seat, la véritable raison du procès est éludée, « comme on a préféré écarter mon client de la DDE que de gérer un problème reconnu », dénonce-t-elle. Allusion à la décision, en mars 2005, du chef des affaires générales, Jean-Jacques Cadiou, de prolonger le stage d’Abdelaziz Nana de six mois, « sur le terrain ». En conséquence, le stagiaire se fait arrêter en maladie pour dépression. Dès lors, selon Jean-Pierre Louvet, l’ancien agent « n’a pas pu ou n’a pas su saisir sa dernière chance en vue d’une titularisation ». M. Nana aurait ainsi « confondu l’entrée dans une carrière administrative, au siège de la DDE », où il opérait comme « homme à tout faire technique » et « titularisation d’un emploi d’agent d’exploitation spécialisé dans les routes et les bases aériennes ». Accusé dès lors de s’être « vexé » à mauvais escient, l’agent en formation aurait adopté un comportement « incompatible avec l’esprit d’équipe de la DDE », comme mentionné sur l’évaluation du candidat à la titularisation. Pourtant, ce dernier n’apprend sa « prolongation » qu’à la suite dudit rapport. De fait, le rapport de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et les inégalités) mentionne un chantage à la titularisation. Si le président du tribunal administratif, d’ici à une semaine, prend une décision favorable à Abdelaziz Nana, cela constituera pour le plaignant une victoire d’abord morale. « Je ne suis pas naïf, même si je suis ici aujourd’hui et si je veux croire en la justice de mon pays, je continue de chercher du travail car je sais que le gain du procès ne m’assurera pas de retrouver ma place. » Alors, il reprend ses vieilles habitudes, coche une croix en face des concours de la fonction publique (anonymes), candidat « tout en bas » avec l’espoir de gravir peu à peu les échelons, s’il parvient à passer les oraux.
Un agent français de la DDE porte plainte pour xénophobie. « Abdel » Nana témoigne après 16 mois de harcèlement.
Il est né à Toulon, est titulaire d’un diplôme supérieur en économie de la construction. Il ne « passe » pas la porte, il poursuit sa course. Il parle fort, marche vite. Le pas assuré, il a le profil d’un avocat mais il vient de se faire licencier de son poste de « simple agent » de la DDE. Abdelaziz Nana pensait pourtant avoir trouvé un boulot pour « Abdel », son prête-nom dans la vie professionnelle.
Licencié en 2001 d’une banque Sofinco-Cetelem où il œuvre dans le « crédit consommation », le jeune papa se met en quête d’un emploi aux horaires plus souples. Toutefois après 24 mois de recherche d’emploi intensive mais infructueuse, Abdelaziz, perplexe, tente des « expériences ». Il « francise » son prénom et… passe enfin la barrière de l’entretien téléphonique. Sa voix claire ne porte pas la marque de l’Afrique, « au moment de raccrocher le combiné les places m’étaient quasiment offertes », se souvient-il, un sourire en coin. Puis arrive le face à face avec le DRH et les certitudes deviennent illusions. « J’étais chef de famille, je devais gagner de l’argent, alors je me suis orienté vers les concours de la fonction publique… ils sont anonymes », explique-t-il. En décembre 2003 il arrive 8ème au concours d’agent de la DDE. Ses excellents résultats manquent cependant de lui coûter une place. « Lors de l’entretien avec le jury, déjà, le secrétaire général me prévient qu’avec mon nom je finirai sur le terrain comme ouvrier », raconte-t-il. Plus tard un membre du jury lui confie que ses résultats à l’épreuve de français (19/20) ont inspiré des remarques du même acabit. « Il parle mieux que nous, il ne sera pas malléable ». Mais la DDE souhaite rompre avec le stéréotype de l’agent de faible niveau et Abdelaziz Nana prend ses nouvelles fonctions. Il opte pour une affectation au siège dans la perspective d’évoluer au sein de la structure… et y retrouve le secrétaire général. Dès lors les ennuis commencent.
Très vite, comme une mise en garde, le chef des affaires générales, Michel Dondeyne, l’aurait informé que son fils avait été agressé par des « Larbis ». Dans les couloirs, Abdelaziz aurait été pris à parti au sujet du conflit israélo-palestinien. « Puis on a commencé à m’appeler le gris », explique-t-il, amer. Auraient suivi des formules choc : « le travail d’Abdel c’est comme le souk à Babel Oued », « t’es pas dans ton pays, t’es pas en Algérie ». Mais le fin du fin du mot d’esprit reviendrait au chef des affaires générales, qui, au cours d’une réunion de planification aurait rejoué un sketch des Inconnus et aurait lâché : « L’émigration c’est les oiseaux qui volent, l’immigration c’est les arabes qui volent ». Ne reste plus qu’à verser dans les préjugés sur le travail des arabes. Ni une ni deux Abdelaziz Nana aurait été catalogué « agent de ménage, sans grade, fainéant ». « Les six premiers mois le chef des affaires générales m’a interdit de saluer les cadres de type A et B sous peine de me refuser une titularisation
[3]. Je n’avais pas le droit d’accéder au sixième étage, où le personnel peut se tenir au courant des possibilités de formation ! », se souvient l’ex-agent de la DDE. Pourtant le personnel de la DDE ne manque jamais de notifier les interventions menées en duo avec Rémy Bertrand. Jusque dans les bureaux de la direction les compliments affluent. « Très rapide, courtois, agréable, doué, efficace », les « clients » semblent ne jamais trouver qualificatif assez méritoire pour celui qui alterne les casquettes de plombier, électricien, déménageur ou poseur d’étagères.
Mais selon les dires d’Abdelaziz, son supérieur s’acharne. « Il me faisait faire et défaire du travail, il me demandait de déboucher les WC sans appareil adéquat, me faisait arrêter des interventions intéressantes pour aller vaporiser de l’anti-fourmi, il me pistait avec un talkie-walkie et m’envoyait sur des pseudo interventions », raconte-t-il, dépité. De la médecine de prévention au Comité Local d’Action Sociale, tous lui auraient conseillé d’attendre la titularisation pour agir, cependant après six mois de pressions il craque. Il couche tout sur le papier et l’envoie aux parties concernées (secrétaire général, syndicats, médecine de prévention…). Jacques Lecorre, le secrétaire général de la DDE, l’aurait convoqué et l’aurait prié de s’adresser au tribunal administratif « s’il n’était pas satisfait ». Lui n’aurait pas voulu entendre parler de discrimination. Néanmoins, le directeur départemental de la DDE, Lucien Bolotte aurait promis de déplacer et de sanctionner Michel Dondeyne à condition de ne pas ébruiter l’affaire… Dès le 6 juillet, Abdelaziz dépose toutefois des mains courantes au commissariat pour prévenir ses arrières. Le chef des affaires générales restera encore deux mois avant de changer de service, sans autre sanction. Puis Jean-Jacques Cadiou prend le relais.
Pour « Abdel » non plus, rien ne change, ou presque. Il aurait payé le prix fort pour s’être attaqué à un « chef ». « J’ai été accusé d’avoir de graves problèmes d’intégration, mon nouveau supérieur a commencé à me menacer de m’envoyer sur le terrain et de ne pas me titulariser », explique-t-il. Thierry Tripodi, le représentant CGT des agents d’exploitation, lui aurait assuré que sans un avis négatif d’une CAP ceci est impossible. Pourtant en février 2005 Jean-Jacques Cadiou « évalue » l’année de stage d’Abdelaziz Nana et de Rémy Bertrand et met en avant de « sacrés problèmes d’intégration ». « Il nous a virés sur le terrain pour que nous nous immergions, nous n’étions pas assez dans l’esprit DDE selon lui », se remémore l’ancien employé. Les deux stagiaires obtiennent des comptes-rendus quasi-identiques, au mot et à la virgule près. Le 1er avril Abdelaziz Nana apprend que son stage est « prolongé » sans motivations relatives à ses compétences. La signature de Jacques Lecorre figure, seule, au bas de la page. En mai l’agent est arrêté par son médecin et licencié dans la foulée. Son binôme aurait subi le même sort pour « ne pas s’être désolidarisé de son collègue ». Abdelaziz Nana a saisi le tribunal administratif pour obtenir sa réintégration avec le soutien de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité), de la LDH, du MRAP, de SOS Racisme et de la LICRA. Pour la HALDE, ce cas d’école serait le premier dossier de discrimination à passer devant un TA. Selon le jugement rendu, Abdelaziz Nana envisage également de saisir le pénal pour préjudice moral.
[1] 1000 euros à titre d’indemnité et 1000 euros en application de l’article 1761-1 du code de justice administrative.
[2] Contactée, la préfecture indique qu’elle ne fera pas appel.
[3] Les agents débutent leur carrière par une année de stage au terme de laquelle ils sont soit titularisés soit contraints de prolonger la période d’essai sur avis d’une commission paritaire (CAP).