“principe de précaution” ou discrimination ?


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : vendredi 27 janvier 2006
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Il est de la responsabilité de la Marine nationale d’assurer la sécurité de l’enceinte militaire. Il est donc normal que certains personnels soient soumis à des contrôles et des enquêtes. Encore faut-il que soit respecté le principe fondamental de la République qui interdit les discriminations basées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ...

Sinon, devrons-nous, comme le suggère Khaled, appeler le 17 et exposer la situation à l’intention d’Azouz Begag, Ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances ?

[Première mise en ligne : août 2005, mise à jour le 27 janvier 2006]

Interdits d’arsenal pour fréquentations salafistes supposées

par P.-L. Pagès, Var-Matin, 28 décembre 2005

On en sait un peu plus sur les raisons qui ont conduit, le 25 juillet dernier (voir l’article ci-dessous), les autorités militaires à interdire à Khalid Skikar et à son frère Rachid l’accès à la base navale de Toulon.

Sommé, dans le cadre de l’action en référé engagée par l’avocat des frères Skikar, d’expliquer sa décision, le ministère de la Défense a en effet produit un mémoire en défense au Président du tribunal administratif de Nice.

Dans ce document de plusieurs pages, le ministère de la Défense rappelle que « le requérant [Khalid Skikar] s’est vu interdire l’accès à une base navale classée « installation prioritaire de défense » suite à la communication d’informations provenant des services de renseignement français. »

Sans fournir trop de détails, les éléments des services de renseignement étant pour la plupart « classifiés », le ministère de la Défense, via sa direction des affaires juridiques, affirme par ailleurs que « le requérant fréquentait de manière habituelle les membres d’un groupe de salafistes [1], ce qui faisait de lui une cible privilégiée exposée aux pressions éventuelles d’individus potentiellement dangereux pour la défense nationale. » Le ministère de la Défense reste cependant prudent. Et, s’il rappelle « qu’il n’est pas contesté que le mouvement salafiste entretient des liens avec les milieux extrémistes », il se garde bien de prêter de mauvaises intentions à Khalid Skikar. « Cette information ne permettait pas par elle-même d’affirmer que le requérant avait des intentions malveillantes à l’égard de l’institution militaire ou de l’État. ». Prudence toute relative puisque deux paragraphes plus loin, le ministère de la Défense semble affirmer au contraire « qu’il existait un doute sérieux sur les intentions ou les agissements du requérant et que ce dernier avait accès à des installations protégées. » En l’occurrence la base des sous-marins nucléaires d’attaque. De retour du tribunal administratif de Nice où sa requête en référé était examinée hier matin, Khalid Skikar, qui n’a jamais caché sa pratique de l’islam, nie toute fréquentation avec des salafistes. « Je suis un musulman modéré. Il se peut que la mosquée où je me rends, rue Courdouan à Toulon, accueille des salafistes, comme des Chiites, ou encore des Sunnites... Cela ne veut pas dire que je les fréquente » se défend-il. Quant à son frère Rachid, selon l’avocat Maître Dany Cohen, « la seule chose qu’on lui reproche est d’être le frère d’un musulman suspecté de fréquenter des salafistes. »

Le tribunal administratif de Nice devrait rendre son jugement la semaine prochaine... avant de se prononcer ultérieurement sur un recours en annulation au fond cette fois.

P.-L. PAGÈS.

Note de la LDH de Toulon.

[27-01-2006] La demande en référé a été rejetée : le tribunal administratif a décidé qu’il n’y a pas urgence. L’affaire est donc toujours à l’instruction, et on ne sait quand elle sera jugée sur le fond.

Deux frères d’origine marocaine indésirables à la base de Toulon

par Lilian Renard [ Le Monde daté du 11 août 2005.]

Khalid et Rachid Skikar sont persuadés d’avoir été victimes d’un "amalgame" . Employés sur la base navale de Toulon (Marine nationale) par la société Main Sécurité, ces deux frères d’origine marocaine ont été informés, fin juillet, qu’ils n’étaient plus autorisés à pénétrer dans l’enceinte militaire. Privés de leurs badges d’accès, ils ne peuvent donc plus y travailler et seront probablement affectés sur un autre site par leur employeur.

Les deux hommes travaillaient jusqu’à présent sur la base des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). L’un était affecté au poste de commandement anti-incendie depuis plusieurs années, l’autre contrôlait les accès depuis le mois de juin. "Notre chef de service nous a convoqués le 25 juillet, en fin de matinée, et nous a indiqué qu’il avait reçu un coup de fil des autorités, raconte Khalid Skikar, qui a également servi pendant trois ans dans la marine. Il nous a demandé de quitter immédiatement la base, sans explication."

Les autorités militaires n’en fourniront aucune. "Les motivations de cette décision n’ont pas à être communiquées", indique la préfecture maritime, qui se contente d’invoquer "un principe de précaution".

"Cette décision n’est pas liée au plan Vigipirate - qui a été élevé au niveau "rouge" après les attentats du 7 juillet à Londres - ni, bien évidemment, à la consonance de leur nom, affirme le commandement de la base navale, mais il s’agit de prévenir un risque auquel certains d’entre nous peuvent être exposés, y compris les militaires d’active."

Khalid et Rachid Skikar exigent des explications plus claires. "Nous n’avons aucun antécédent, affirme Khalid. Quand notre société a appris cela, elle a pris contact avec les renseignements généraux. Ceux-ci ont assuré que nous étions “clairs”. Si nous sommes suspectés de quelque chose, pourquoi ne pas le dire ?"

La société Main Sécurité, qui reconnaît que les deux frères sont de "très bons éléments" , ne peut rien faire, puisque les accès à la base navale sont du ressort exclusif des autorités militaires. Les personnes qui vont et viennent sur le site font l’objet d’enquêtes d’un service spécialisé et sont contrôlées par la gendarmerie maritime.

Lilian Renard

D’après le Canard enchaîné du mercredi 31 août 2005, la marine a précisé ...

"... avec un air entendu, que les « services compétents avaient constaté des négligences dans leur travail ». Une accusation qui fait bondir le délégué syndical CFDT de la boîte : «  Si c’est vrai, qu’ils soient précis et donnent des faits. C’est simplement de la discrimination raciale. On peut mettre à la porte deux pauvres bougres uniquement parce qu’ils portent un nom arabe et que l’un d’eux est pratiquant. »
Le porte-parole de la marine se dit horrifié qu’on puisse suspecter la Royale d’un délit de sale gueule."

Naji, Kalid et Rachid ne veulent pas laisser faire

par E.R. [l’Humanité du 12 septembre 2005]

Un point commun : la consonance de leurs noms. À Toulon, trois jeunes Français écartés de postes de travail liés à la défense nationale ont décidé de porter plainte. Réponse du tribunal, lundi. [2]

[Lundi] le tribunal correctionnel de Toulon examinera une nouvelle fois la discrimination dont Naji Tajouri a été victime à l’ANPE de la Seyne-sur-Mer en 1995. Cette année-là, alors qu’il sollicite un emploi avec son BTS d’électronique et d’automatisme industriel à la Direction de la construction navale, il reçoit de l’ANPE la réponse suivante : « Les conditions de recrutement sous référence défense nationale ne nous permettent pas de transmettre les curriculum vitae des personnes de nationalité française ayant un nom à consonance étrangère, et nous vous prions de bien vouloir nous en excuser. » En avril 2003, la plainte qu’a déposé Naji Tajouri contre la responsable de l’agence parvient enfin devant le tribunal correctionnel de Toulon. Entre-temps, le dossier
avait été égaré et il avait fallu une émission de Canal Plus pour le retrouver. Mais la signature au bas de l’acte n’est pas très lisible et les juges concluent que la signataire est impossible à identifier. Et
ils relaxent la responsable supposée. Aujourd’hui, l’affaire revient devant le tribunal correctionnel parce que Naji Tajouri est obstiné et sûr de son bon droit. Il lui a fallu déposer une caution de 1 000 euros,
mais il a porté plainte avec constitution de partie civile, cette fois contre l’ANPE elle-même en tant que personne morale. « La faute est claire, nette, elle est écrite, précise-t-il. Je ne veux pas laisser ce problème à mes enfants. Il faut qu’il se règle. »

En dix ans, l’attitude dans l’armée ne semble pas avoir beaucoup évolué.

Le lundi 25 juillet 2005, à 11 heures, après un coup de téléphone de la gendarmerie maritime, le supérieur de Kalid et Rachid Skikar vient les avertir qu’ils doivent quitter immédiatement la base navale de Toulon.
Le premier est en poste au PC incendie de l’atelier des sous-marins nucléaires d’attaque, le second au contrôle d’accès. Ils sont salariés de Main Sécurité. Ils sont Français, Kalid est un ancien militaire qui a
servi sur la frégate Dupleix, il est employé là depuis trois ans, et Rachid depuis le mois de juin. « Le site est ultrasensible, explique Kalid, et tous les quatre à six mois ont lieu des contrôles sur le personnel. Ce qui est normal. Mais nous n’acceptons pas l’absence d’explication. Les renseignements généraux, interrogés par notre société, ont précisé que nous étions "clairs". Alors ? » Un courrier du commandant de la base précise : « Par décision de l’autorité militaire locale, votre accès au site de la base navale de Toulon reçoit un avis
défavorable.
 » Or, la veille de l’affaire, le plan Vigipirate vient d’atteindre le niveau rouge à la suite des attentats à Londres. Il n’en faut pas plus pour que les deux frères pensent à une mesure discriminatoire liée à leur nom, à l’origine de leurs parents, voire à
leur religion : Kalid est musulman pratiquant.

L’information, chez Main Sécurité, qui les considère comme de très bons éléments, n’a pas été plus développée. Leur employeur continue de leur verser leur salaire mais, la base étant son seul client à Toulon, il doit maintenant leur trouver un poste à Marseille.

La préfecture maritime se défend de prendre ses décisions sur des fondements raciaux ou religieux. Les renseignements sont « classifiés et protégés », et il s’agirait « de prévenir un risque auquel certains
d’entre nous peuvent être exposés
 », risque de pression, risque de chantage. Pas convaincu, Kalid a décidé de porter plainte.

Notes

[1Mouvement islamique radical.

[2L’affaire ANPE/Tajouri devait être jugée lundi 12 septembre, mais elle a été reportée au 15 novembre.


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