Naji Tajouri s’est battu 11 ans, pour obtenir (une maigre) réparation : le 6 décembre 2006, le tribunal correctionnel de Toulon a condamné l’ANPE à lui verser 3 700 € de dommages et intérêts, et à une peine d’amende.
Présidé par M. Patrick Ardid, le tribunal correctionnel de Toulon a retenu, hier, la culpabilité de l’Agence nationale pour l’emploi, dans un dossier de discrimination à l’embauche. Visée en tant que personne morale, l’ANPE a été condamnée à une amende de 2000 € ainsi qu’à verser 3700 € de dommages et intérêts au plaignant.
Après une première audience, en 2003, qui s’était soldée par la relaxe d’une employée de l’ANPE de La Seyne, cette affaire était revenue devant le tribunal le 18 septembre dernier.
« A consonance étrangère »
Assisté de Me Marc Rivolet, M. Naji Tajouri avait une nouvelle fois expliqué comment, en 1995, il s’était porté candidat pour un poste de technicien à la DCN.
Pour toute réponse, il avait reçu un courrier lui précisant que « les conditions de recrutement définies par l’employeur ne nous permettent pas de recruter des personnes ayant un nom à consonance étrangère ».
En septembre, l’avocat de l’Agence avait plaidé qu’il n’y avait pas d’intention malveillante, tout en admettant « le caractère anticivique et moralement inadmissible » de ce courrier, au minimum maladroit... Onze ans plus tard, la justice a donc fini par reconnaître l’infraction dont avait été victime M. Tajouri.
Grande victoire
« Sur le plan pénal, nous pouvons être très satisfaits, indiquait hier Me Rivolet. C’est une grande victoire car cette condamnation est une première. C’est aussi la preuve que tout
ce qui est fait par la Halde porte ses fruits ».
L’analyse du jugement par son client était cependant plus modérée quant à l’indemnisation : à l’audience, le plaignant avait estimé son préjudice, relevant de la perte de chance de trouver un emploi, à 40 000 €.
Discrimination à rallonge
[Var-Matin, 22 septembre 2006]Sous la présidence de M. Patrick Ardid, le tribunal correctionnel de Toulon a vu revenir devant lui une plainte vieille de plus de dix ans. Un dossier témoignant autant de l’opiniâtreté du plaignant que des embûches dont peut être parsemé un parcours judiciaire ...
Patronyme étranger...
En 1995, M. Naji Tajouri s’était porté candidat, via l’ANPE de La Seyne, à une offre de recrutement de la DCN.
En retour, il avait reçu un courrier pour le moins choquant dans lequel « on » (la signature n’a jamais été identifiée) lui signifie que « les conditions de recrutement définies par l’employeur - la Défense nationale - ne nous permettent pas de retenir les candidatures des personnes ayant un nom à consonance étrangère ».
Né Français, M. Tajouri avait évidemment réagi, autant auprès de l’inspection du Travail qu’en justice. En 2003, après des péripéties absurdes (dont un dossier d’enquête « égaré » entre le parquet et le commissariat de La Seyne), une employée de l’agence de l’ANPE avait comparu devant ce même tribunal correctionnel. La prévenue avait finalement été relaxée, l’instruction n’ayant pas permis d’établir formellement qu’elle était à l’origine de la lettre incriminée.
Peu soucieux d’en rester là, le plaignant avait donc diligenté une nouvelle procédure, par l’intermédiaire de son avocat toulonnais, Me Marc Rivolet.
« L’ANPE n’a pas fait son boulot »
Par la voix de Me Xavier Flecheux (barreau de Paris), l’ANPE soutenait qu’il n’y avait aucun délit, faute d’intention morale et matérielle, et même si l’Agence a vite reconnu le caractère « anticivique » de cette lettre « moralement inadmissible ». En foi de quoi, le défenseur plaidait la relaxe pour son client.
Me Rivolet, lui, retenait qu’il « y avait bien eu une discrimination par rapport à une prestation de service, affaire qui n’aurait pas eu lieu si l ANPE avait simplement fait son boulot ! » Dans ces conditions, l’avocat soulignait que son client, non seulement avait été victime d’une infraction caractérisée - « Etait-il un Français d’une catégorie différente ? » - mais encore qu’il avait perdu une chance d’obtenir un emploi stable. Il estimait alors à 40000E le préjudice moral de M. Tajouri et 20000€ le préjudice pour « perte de chance ». Le tribunal s’est donné jusqu’au 6 décembre pour vider son délibéré.
J.-M. C.
Un long combat pour la justice
[L’Humanité, 19 septembre 2006]Naji Tajouri devait enfin pouvoir faire examiner, hier [18 septembre 2006], par le tribunal correctionnel de Toulon, sa plainte contre l’Agence nationale pour l’emploi de La Seyne-sur-Mer (Var). Les faits remontent au 25 janvier 1995 quand il reçoit, en réponse à sa lettre de motivation et à son CV pour un emploi de technicien supérieur en électronique, une réponse négative ainsi justifiée : « Les conditions de recrutement sous référence « Défense nationale » ne nous permettent pas de transmettre les curriculum vitae des personnes de nationalité française ayant un nom à consonance étrangère ». S’estimant victime de discrimination à l’embauche, Naji Tajouri porte alors plainte contre l’employée de l’ANPE.
Après deux ans de disparition dans les méandres du tribunal, la plainte est retrouvée, l’employée mise en examen, le procès a lieu en mars 2003 et la conseillère est relaxée. Décidé à ne pas en rester là, Naji Tajouri formule une nouvelle plainte, directement contre l’ANPE cette fois, en tant que personne morale et qui est mise en citation en janvier 2005. Les tribulations de l’affaire ne sont pas terminées. En novembre dernier, alors qu’on est en plein conflit des banlieues, le juge se déclare incompétent. En avril, un autre argue que les documents ont été remis en retard tout en menaçant d’outrage à magistrats l’avocat qui peut prouver le contraire. « Cela fait douze ans que cela dure, explique Naji Tajouri. Je vais finir au livre des records ! C’est d’autant plus difficile que je ne suis soutenu par aucune association. Mais je n’ai aucune raison de céder. Un organisme d’État a commis une injustice. Elle doit être réparée. »
E. R.
Discrimination sans jugement
[Var-Matin, le 15 novembre 2005]Victime d’une discrimination à l’embauche, affirmée noir sur blanc il y a dix ans à La Seyne, un Toulonnais n’a toujours pas réussi à obtenir réparation. Hier, le tribunal correctionnel de Toulon, présidé par Patrick Ardid [1], a, en effet, considéré comme irrecevable la citation adressée à l’ANPE en tant que personne morale au motif que la consignation « avait été versée hors délai ».
« C’est du jamais vu ! s’est emporté Me Marc Rivolet, avocat de Naji Tajouri. Le retard était dû au délai pour obtenir copie d’un jugement, mais la consignation décidée par la justice a été versée, bien avant l’audience. Tout cela laisse à penser que le tribunal ne veut pas juger ce dossier, pour des motifs qui lui sont propres ... et témoigne aussi des dysfonctionnements du TGI de Toulon dans la délivrance des copies de Jugements ! » Me Rivolet et son client ont annoncé leur intention de délivrer une nouvelle citation.
En janvier 1995, Naji Tajouri, né à Toulon et technicien supérieur en électronique, avait reçu un étrange courrier de l’ANPE de La Seyne ... « Les conditions de recrutement de la Défense nationale ne permettent pas de transmettre les CV de personnes françaises ayant un nom à consonance étrangère », écrivait une responsable.
En novembre 2003, et alors que le ministère du Travail avait rappelé que ce principe ne concernait « que les personnes n’étant pas de nationalité française », l’agent de l’ANPE avait été relaxée, le tribunal considérant qu’il n’y avait pas eu de réelle intention de nuire. Décision ensuite confirmée par la cour d’appel.
Reste que Naji Tajouri entend bien obtenir réparation, ne serait-ce que moralement, du préjudice subi.
J.-M. C.
Discriminations - Bon CV, mauvais nom
par Émilie Rive,L’Humanité du 23 février 2004En 1995, l’ANPE reproche à Naji Tajouri la " consonance étrangère " de son nom. Neuf ans plus tard, il attend encore réparation.
Naji Tajouri a trente-huit ans. Français, il a fait son service militaire sous la bannière tricolore et habite Toulon. En 1995, un BTS d’électronique et automatisme industriels en poche, il se rend à l’ANPE de La Seyne-sur-Mer. Quelques jours après, il reçoit un courrier : " Les conditions de recrutement sous référence DEFENSE NATIONALE ne nous permettent pas de transmettre les curriculum vitae des personnes de nationalité française ayant un nom à consonance étrangère, et nous vous prions de bien vouloir nous en excuser. " Pour une fois, tout est ici noir sur blanc. Ses parents ne sont pas danois, états-uniens ou britanniques. Ils sont tunisiens. La notion d’étranger a son odeur et sa couleur. Qu’il connaît : à l’école, son directeur proposait de lui laver le visage " parce qu’il était gris ". Son frère, scientifique, s’est expatrié en Australie. La France conserve ainsi ses cerveaux.
L’inspection du travail a écrit qu’elle ne pouvait pas l’aider : l’ANPE est un organisme d’État. Naji Tajouri porte plainte. Son dossier se perd. À la suite d’un témoignage sur Canal Plus, où il donne son numéro de dossier, celui-ci réapparaît. En avril, l’an dernier, neuf ans après les faits, l’affaire passe devant le tribunal correctionnel avec la mise en examen de la responsable de l’ANPE. La signature, au bas de l’acte, n’est pas particulièrement lisible. Elle est même, décident les juges, impossible à identifier. La signataire supposée est relaxée.
Il ne reste plus au jeune homme qu’à porter plainte contre l’ANPE, qui n’a fait aucune enquête, présenté aucune excuse. " On espérait que cela se calmerait, m’a avoué un de ses représentants ", assure Naji Tajouri. Le parquet ne bouge pas. " Il attend que je le fasse. Mais porter plainte contre l’ANPE avec constitution de partie civile coûte cher, constate Me Rivolet, avocat de la LICRA et de Naji. L’accès à la justice est toujours un problème d’argent. Je ne pourrai saisir la Cour européenne des droits de l’homme qu’une fois toutes les procédures françaises épuisées. " À ce rythme, ce sera tête chenue que Naji célébrera la victoire du droit à une " égalité de traitement " ...
À l’époque des faits, sa femme est enceinte. Au chômage, il se lance dans une formation de CAP, à Vienne (Isère). Avec cinq kilomètres à pied, à cinq heures du matin, pour rejoindre la gare de Toulon. Il accepte un contrat emploi-solidarité d’agent administratif. " Pour ne pas perdre pied. Je déprimais. Chaque fois qu’au téléphone, après un entretien correct, je donnais mon nom, la voix devenait glaciale et me demandait d’envoyer un dossier. Sans réponse. Je commençais à avoir des problèmes dans mon couple... Mais, excusez-moi, cela ne fait pas partie du sujet ... " Et pourtant, nous y sommes. En plein. Il finit par trouver un emploi. À l’enfant des années de galère, deux sont venus rajouter du soleil. " Je ne veux surtout pas leur laisser ce problème en héritage. Il faut que cette question se règle. " Peut-on parier que la haute autorité saisira le ministère de la Défense ? Ce n’est pas la première fois que ces discriminations d’État franchissent, sans résultat, le cap du silence.
[1] Nous avions eu l’occasion de remarquer la grande prudence de ce magistrat à l’occasion d’une autre affaire récente. Mais Patrick Ardid sait faire preuve de fermeté quand il le faut : il a infligé hier trois peines de prison ferme (huit, huit et dix mois) à de jeunes caillasseurs (âgés de 18 à 20 ans) du quartier de La Beaucaire . (Ndlr)