à Toulon, mieux vaut ne pas s’appeler Khalid


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : jeudi 13 novembre 2008
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Il y a quelques années, dans un établissement de restauration toulonnais, le patron avait demandé à un jeune stagiaire, français d’origine algérienne, prénommé Jamel, de bien vouloir se faire appeler Jean – « ça fait plus français ! ». Jamel avait refusé. Mais il est des situations où le fait de porter un nom à consonance arabe peut avoir des conséquences particulièrement graves.

Nous revenons ci-dessous sur le cas récent de O. C. qui, malgré l’« entière satisfaction donnée à son employeur », vient de se voir priver de son autorisation d’entrée dans les établissements pénitentiaires. D’après la préfecture du Var, son « dossier individuel relève de la sécurité pénitentiaire » [1].

Une situation analogue s’était présentée à l’arsenal de Toulon en juillet 2005 : Khalid Skikar avait été l’objet d’une mesure d’interdiction d’accès, décision justifiée par ses convictions religieuses qui en auraient fait « une cible privilégiée exposée aux pressions éventuelles d’individus potentiellement dangereux pour la défense nationale ». En complément au dossier que nous avons publié par ailleurs, nous reprenons ci-dessous la délibération que la Halde a consacrée à cette affaire le 14 mai 2007.

On sait que le gouvernement français a déclaré la guerre à “l’islamisme radical” dans les prisons. Mais cela ne peut justifier les violations des droits fondamentaux de Français dont les seuls “torts” sont d’être de confession musulmane et de porter un nom à consonance arabe.

[Première mise en ligne le 4 nov 2008, mise à jour le 13 nov 2008]

Quand l’égalité est en péril,
c’est la crédibilité de la République qui est en péril !

Azouz Begag [2]

Interrogations autour d’un licenciement

par Agnès Masseï, La Marseillaise du 10 novembre 2008

O.C. [3] n’a pas vu venir le coup. Employé depuis quatre ans en tant qu’éducateur sportif par une association qui intervient au sein de la prison Toulon-La Farlède, il entretenait de « bons rapports » à la fois avec son employeur et la direction de l’établissement : « Ils semblaient satisfaits de mon travail ». Du moins le pensait-il.

Titulaire d’un CDI (contrat à durée indéterminée) depuis un an, c’est donc une (mauvaise) surprise pour lui de recevoir un courrier, le 18 juillet dernier, qui lui signifie son licenciement. Le motif de cette décision y est qualifié de « personnel ». Quelques lignes plus bas, il apprend en outre que « l’administration pénitentiaire a été amenée à notifier [à son employeur] le retrait de [son] habilitation [lui] permettant d’exercer [ses] fonctions en milieu pénitentiaire, d’abord sur le site de Toulon-La Farlède où [il] est affecté, puis sur l’ensemble des établissements pénitentiaires ».

« Ils paraissaient si sûrs d’eux qu’ils m’ont affirmé qu’ils pouvaient ne pas respecter les deux mois de préavis », raconte le jeune homme. On lui fait en effet comprendre qu’il pourra y prétendre s’il ne fait pas de vagues et qu’il dispose de 24 heures pour donner sa réponse. Estimant être « dans [son] bon droit », O.C. décline l’invitation à « s’écraser » et a depuis saisi les Prud’Hommes.

Un « avis réservé » de la préfecture

O.C. n’est pas disposé à en rester là. En cherchant à en savoir plus, il prend connaissance d’un courrier émanant du ministère de la Justice adressé au directeur de la prison et finalement remis au directeur de l’association où il est salarié. On peut notamment y lire : « J’ai l’honneur de vous informer qu’un avis réservé nous a été adressé par les services de la préfecture du Var, s’agissant de l’enquête diligentée pour l’autorisation d’accès de […] au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède. En conséquence, l’intéressé devant accomplir des missions au contact de la population pénale, je me vois contraint de vous aviser qu’à compter de la réception de la présente, je ne pourrai désormais autoriser son entrée à l’établissement ».

Un « avis réservé » ? Une « enquête » ? Qu’a-t-on à reprocher à O.C. dont le casier judiciaire est, selon lui, absolument vierge ? C’est ce que tente de savoir l’intéressé et son avocat qui multiplient les démarches depuis plusieurs mois. Ceux-ci ont notamment interpellé la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) qui, le 29 septembre, leur répond : « En l’absence de réponse du préfet du Var à la demande qui lui a été adressée, la commission, qui regrette de n’avoir pu prendre connaissance des documents en cause, considère que ceux-ci, s’ils existent, sont communicables à l’intéressé sur le fondement du II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 […] ». Or l’avis de la structure n’est que consultatif et force est de constater que du côté de la préfecture on n’a pas franchement l’intention d’en tenir compte.

Climat particulier

Face à l’opacité qui entoure toute cette affaire, O.C. commence à se demander si « tout cela n’est pas lié à [ses] origines et à [sa] pratique religieuse ». Bien que Français – il est né en France en 1975 – le jeune homme est d’origine maghrébine – ça se voit – et de confession musulmane, ce dont il ne fait pas mystère. « Il y a eu des rumeurs à ce sujet… Après ma non-habilitation, les gens ont dû faire ce rapport-là », déclare-t-il.

La Ligue des droits de l’homme, qui soutient O.C., [...] estime qu’« en l’absence d’autre raison » l’on est en droit de s’interroger, d’autant qu’elle relève qu’« O.C. a été remplacé dans ses fonctions par une personne dont l’origine européenne ne paraît pas pouvoir être contestée ». Elle évoque également un climat particulier en la matière et auquel elle consacre de nombreuses pages sur son site (www.ldh-toulon.net) sur le thème « A propos du phénomène de radicalisation de l’Islam en milieu carcéral ». François Nadiras souligne à cet égard les propos de François Fillon au lendemain de la mort de dix soldats en Afghanistan, qui déclarait : « c’est l’opposition entre le monde musulman et une grande partie du reste de la planète », ou encore ceux de Michèle Alliot-Marie selon lesquels « la lutte contre le terrorisme » passe par les prisons françaises.

Agnès Masseï

Le cas Skikar

Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité

Délibération n°2007-123 du 14 mai 2007 [4]

Religion – Situation de famille – Emploi secteur public – Recommandations

Les réclamants travaillaient sur une zone militaire sensible. L’autorité militaire leur a retiré l’autorisation d’accès à cette zone à la suite d’un avis défavorable émis par la direction de la protection et de la sécurité de la défense. La haute autorité a pu accéder à ces avis protégés
dans un premier temps par le secret Défense. Il apparaît dans ces notes, notamment, des mentions relatives à la religion et à la situation de famille des réclamants. Sans substituer son appréciation à celle des autorités militaires pour garantir la sûreté des personnels et des
installations concourant à la défense nationale, la haute autorité doit s’assurer que l’analyse et l’utilisation des données susvisées ne donnent lieu à aucune pratique discriminatoire et que les décisions prises sont strictement justifiées et proportionnées au regard des impératifs de sécurité. Elle recommande au ministre chargé de la Défense de faire procéder à un nouvel examen de la situation des réclamants.

Le Collège

Vu la loi n° 98-567 du 8 juillet 1998 instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale,
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité,
Vu le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité,

Sur proposition du Président,

Décide :

  1. Deux frères ont saisi la haute autorité par courrier reçu le 19 septembre 2005. Ils estiment avoir été interdits d’accès à leur poste de travail sur une base navale en raison de leur origine et de leur religion.
  2. Les réclamants étaient salariés d’une entreprise qui assure une mission de gardiennage et de surveillance sur le site d’une base navale.
  3. Le lundi 25 juillet 2005, leur chef de site les a informés avoir reçu un appel de la gendarmerie maritime qui exigeait que les deux intéressés quittent immédiatement l’arsenal. Les autorités militaires (gendarmerie maritime, commandement de la base) déclarent avoir reçu un avis défavorable émis par la direction de la protection et de la sécurité de la défense concernant ces deux personnes.
  4. Le 17 août 2005, les deux frères ont reçu notification des décisions de refus d’accès. Les décisions ne comportent aucune motivation. Elles mentionnent : « Par décision de l’autorité militaire locale, votre accès au site de la base navale de Toulon reçoit un avis défavorable ».
  5. Les réclamants ont la nationalité française. Ils bénéficient de l’agrément délivré par la préfecture leur permettant d’exercer la profession d’agent de sécurité. Ils n’ont fait l’objet d’aucune condamnation pénale et n’ont reçu aucune remontrance ou sanction dans le cadre de leur activité professionnelle.
  6. Le 6 juin 2006, le tribunal administratif de Nice a ordonné à l’autorité militaire de communiquer les documents qui fondent ses décisions concernant les deux frères.
  7. Le 25 juillet 2006, la commission consultative du secret de la défense nationale a rendu un avis favorable (voir ci-dessous) à la déclassification des documents demandés, qui bénéficiaient de la protection du secret de la Défense nationale.
  8. Le 2 août 2006, deux notes ont été transmises aux parties. Ces notes datent des 29 août et 1er septembre 2005.
  9. Il y est mentionné que le premier est connu du service pour être en relation avec des personnes impliquées dans les milieux islamistes, en raison notamment de sa participation à un pèlerinage et à des conférences débats auxquels assistaient aussi des personnes connues
    des services de police. Il y est également précisé que les deux frères partagent le même appartement, dont ils n’ont pas déclaré l’adresse aux autorités militaires.
  10. La haute autorité relève que parmi les informations recueillies et conservées par les services de la direction de la protection et de la sécurité de la défense, qui semblent avoir motivé la décision litigieuse, apparaissent des éléments relatifs aux convictions religieuses, aux opinions politiques et à la situation familiale des réclamants.
  11. La haute autorité retient la légitimité du but poursuivi par les décisions litigieuses, à savoir garantir la sûreté des personnels et des installations concourant à la défense nationale.
  12. S’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités militaires, la haute autorité doit, toutefois, s’assurer que l’analyse et l’utilisation de ces données ne donnent lieu à aucune pratique discriminatoire et que les décisions prises sont strictement justifiées et proportionnées au regard des impératifs de sûreté des personnels et des installations concourant à la défense nationale.
  13. Aussi, le Collège de la haute autorité invite le président à interroger le ministre en charge de la Défense sur la prise en considération du seul lien de famille pour motiver la décision concernant le second.
  14. Concernant le premier, le Collège de la haute autorité retient qu’il existe un faisceau d’indices qui semble suffisant à fonder la décision de l’autorité militaire.
  15. Le Collège de la haute autorité demande au ministre en charge de la Défense de faire procéder à un nouvel examen de la situation des deux frères et de prendre toutes les mesures utiles afin de garantir que cette nouvelle analyse soit guidée par les seules exigences posées par la garantie de la sûreté des personnels et des installations concourant à la Défense Nationale et, le cas échéant, de rétablir les intéressés dans leurs droits.
  16. Le ministre en charge de la Défense dispose d’un délai de deux mois pour faire part à la haute autorité des mesures prises et des conclusions du nouvel examen.
Le Président
Louis Schweitzer

Commission consultative du secret de la défense nationale

Avis no 2006-16 du 21 juillet 2006
 [5]

NOR : CSDX0609496V

Vu le code de la défense, articles L. 2312-1 à 8 ;
Vu la lettre de saisine de Mme le ministre de la défense en date du 11 juillet 2006 suite à la requête formulée dans son jugement avant dire droit du 6 juin 2006 par le tribunal administratif de Nice, aux fins de déclassification et communication « pour versement au dossier de l’instruction écrite contradictoire, après avoir pris l’avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale dans les conditions prévues par le code de la défense susvisé et après avoir déclassifié lesdites informations, de toutes autres informations sur lesquelles il s’est fondé pour évincer M. Khalid Skikar et M. Rachid Skikar » ;

La Commission consultative du secret de la défense nationale, régulièrement convoquée et constituée, en ayant délibéré,
Emet un avis « défavorable à la déclassification » des documents de renseignements des 3 juillet 2002, 15 juin, 27 juillet et 19 août 2005 ;
Emet un avis « favorable à la déclassification » des deux notes en date des 29 août et 1er septembre 2005 de la direction de la protection et de la sécurité de la défense.

Ces propositions de déclassification faites au ministre s’entendent sans préjudice de l’occultation de toutes mentions à caractère interne propres au service, à son organisation, à ses procédures de traitement, de sécurité, de transmission, d’enregistrement ou de classement. Elles ne s’opposent pas à la suppression des mentions à caractère nominatif dont la divulgation serait de nature à porter atteinte aux capacités de défense de la France, au respect de ses engagements internationaux ou à la sécurité des personnes.

Fait à Paris, le 21 juillet 2006.

Pour la Commission consultative du secret de la défense nationale
Le président, J. Belle

Notes

[1Entendu au JT de jeudi 30 octobre 2008 sur France 3 (Toulon).

[2Voir la référence dans cette page.

[3La personne concernée souhaite conserver l’anonymat.

[5Avis publié au JORF n°178 du 3 août 2006 page 11587
texte n° 97
Référence : NOR CSDX0609496V – http://www.legifrance.gouv.fr/affic...


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