l’utilisation de la thématique du FN par Claude Guéant


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : samedi 11 juin 2011
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La Cour de justice de la République (CJR) a rejeté vendredi 10 juin une demande d’enquête sur le ministre de l’Intérieur Claude Guéant pour « incitation à la discrimination raciale ». Me Patrick Klugman, avocat de SOS Racisme qui avait saisi la CJR, s’est déclaré « atterré » par une décision qui ne peut pas faire l’objet d’un appel et qui risque d’être vécue « comme un déni de justice par les millions de personnes qui se sentaient visées » par les propos du ministre. « Il est difficilement compréhensible que des personnages politiques dans l’exercice de leurs fonctions ne puissent pas répondre de leurs propres actes », a-t-il souligné.

SOS Racisme avait saisi la CJR sur des propos tenus par le ministre, notamment le 4 avril : « En 1905, il y avait très peu de musulmans en France, aujourd’hui il y en a entre 5 et 6 millions. L’accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème ».
Pour l’association, les propos du ministre ne sont pas « un simple dérapage » mais s’inscrivent dans un discours récurrent « fondé pour l’essentiel sur la xénophobie et la discrimination. » Les associations antiracistes et l’opposition de gauche accusent en effet Claude Guéant de reprendre systématiquement les thématiques du Front national – point de vue partagé par le Quotidien d’Oran dans l’article que vous lirez ci-dessous.

Cette stratégie de communication est clairement à visée électoraliste. Il s’agit d’une politique à courte vue qui risque de causer des dégâts considérables dans la société française. Comme Jean Weill le laisse entendre, nos ministres feraient mieux de s’inspirer de l’exemple du président de la République fédérale d’Allemagne, Christian Wulff, qui dit vouloir être « le président de tous ceux qui vivent en Allemagne » et pas seulement des Allemands, et qui a déclaré dans son discours d’investiture qu’il est important à ses yeux « de créer des liens entre jeunes et vieux, entre gens de l’Est et de l’Ouest, entre autochtones et immigrés ...  ».


Stigmatisation permanente des immigrés et de leurs enfants en France

par Salem Ferdi, Le Quotidien d’Oran, le 11 juin 2011


Le show feuilleton de Claude Guéant avec le Front national.

« De Dallas à 24 heures Chrono », le principe du feuilleton qui marche est d’offrir un rebondissement dramatique toutes les 3 minutes. Le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant semble l’appliquer à la lettre dans le feuilleton qui pourrait s’intituler « comment je m’oppose mieux que le Front national aux étrangers » et aux « pas vraiment français ».

Il s’agit, alors que la campagne des présidentielles a déjà commencée, d’offrir l’image d’un hyper-activisme sur le terrain privilégié de l’extrême droite. La forte médiatisation d’un refus d’accorder la nationalité à un Algérien pour des motifs de « défaut d’assimilation » fait partie de cette mise en scène permanente. Selon l’enquête réglementaire sur laquelle s’appuie le ministre de l’Intérieur pour refuser la naturalisation, l’Algérien en question qui répond aux initiales D.BA a un « comportement familial et social fondé sur une conception inégalitaire des sexes ». Sa femme qui porte le voile « ne prenait la parole qu’après accord de son mari » et a « déclaré qu’elle n’avait jamais travaillé parce que son mari ne le souhaitait pas, considérant que le rôle de sa femme était de s’occuper de ses enfants et de préparer le repas ». Bref, D.BA est peut-être un conservateur, un macho, voire un fondamentaliste … mais il n’est assurément pas du tout malin pour un demandeur de naturalisation.

La tendance est de choisir des cas caricaturaux pour faire un discours caricatural. Sur le fond, l’affaire est uniquement un prétexte à l’étalage médiatique d’une compétition musclée avec le Front national sur le thème de l’anti-étranger. Les rejets de naturalisation – et les obstacles mis à l’acquisition de la nationalité française ne manquent pas – sont monnaie courante et ne font pas l’objet d’une médiatisation.

Communication politique

Il y a donc une stratégie de communication politique qui fait feu de tout bois et où M.Claude Guéant en tenant un discours de stigmatisation des immigrés veut montrer qu’il fait mieux que le Front national. M.Guéant pourra trouver un encouragement dans cette voie dans la décision prise hier par la Cour de justice de la République de classer sans suite la plainte déposée contre lui par SOS Racisme pour discrimination raciale. SOS Racisme réagissait aux propos de Guéant tenus le 4 avril dernier à la veille du débat controversé de l’UMP sur la laïcité et l’Islam. M.Guéant affirmait que « l’accroissement du nombre des fidèles de cette religion [Islam] et un certain nombre de comportements posent problème ». La commission des requêtes de la Cour de Justice de la République a classé sans suite la plainte déposée à la suite de propos tenus par le ministre de l’Intérieur sur l’islam et cette décision n’est pas susceptible d’appel.

Binationalité et remise en cause du droit du sol

Claude Guéant est donc désormais à l’abri de toute poursuite concernant ces déclarations. SOS Racisme s’est dit, par la voix de son avocat, atterré « par ce filtre que rien ne vient justifier et qui empêche la tenue d’un procès pour des propos qui auraient valu à toute autre personne la comparution devant un tribunal et probablement une condamnation ». On peut s’attendre, dès lors que Marine Le Pen l’a mis sur le marché, à ce que M.Guéant et l’UMP de Sarkozy décident d’en rajouter sur le thème du rejet des binationaux. Le thème est en tout cas dans l’air comme en témoigne le récent scandale de l’affaire des « quotas » sur la base des origines et de la fédération française de football. La stigmatisation ne touche plus des « étrangers » mais des jeunes nés en France et qui ont la nationalité en vertu du droit du sol. Marine Le Pen avait évoqué comme argument le « risque » que représenteraient les binationaux en cas d’une intervention armée français en Algérie ! Au-delà de l’esprit revanchard, très présent dans certains courants politiques en France, l’extrême-droite est en train d’imposer sa thématique sur la scène politique. La thématique est en cours avec clairement une volonté de remettre en question le droit du sol. Claude Guéant, en application de la règle du rebondissement toutes les trois minutes pour le « bon feuilleton », sera nécessairement de la partie.

Deux discours présidentiels

par Jean Weil, Mediapart, le 8 juin 2011


Je suis rentré des commémorations du 65° anniversaire de la libération du camp de Bergen Belsen le 18 avril 2010 et aussitôt j’ai assisté à un festival de déclarations racistes qui semblaient se répondre et surenchérir l’une l’autre dans l’ignoble.

M. Le Pen a ouvert ce festival (le 25 avril) en déclarant que : « les lois anti-juives (de Pétain) n’allaient pas jusqu’à la déportation. » « Les juifs français ont bénéficié, somme toute, d’une indulgence que leur a valu l’action du gouvernement français. » ce que la presse a atténué en parlant, comme d’habitude, de dérapage et de goût du paradoxe.

Puis ce fut le maire de Parthenay (Deux-Sèvres), M. Xavier Argenton qui n’a pas souhaité que des collégiens lisent un texte de Mme Ida Grinspan déportée à Auschwitz qui mentionnait son arrestation par trois gendarmes français. Pour expliquer son refus M. Argenton (nouveau centre) a déclaré : « Ne stigmatisons pas une catégorie professionnelle qui dans ces temps troubles avait obéi aux ordres de l’autorité légitime », ajoutant pour faire acte d’allégeance, sans doute, au Président de la République : « ce texte n’est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue. » En effet en 2007 dans un discours Nicolas Sarkozy avait déclaré : «  je veux en finir avec la repentance, qui est une forme de haine de soi. »

Le vendredi 4 juin 2010, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Brice Hortefeux, Ministre de l’intérieur (qui a fait appel du jugement) pour « injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ». M. Hortefeux ministre de l’intérieur avait dit, en septembre 2009 : « Il en faut toujours un [arabe]. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. »

Enfin, le 30 juin, le Président de la République Nicolas Sarkozy dans le droit fil des déclarations précédentes :

« Il faut le reconnaître, je me dois de le dire, nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration. [...] La règle générale est claire : les clandestins doivent être reconduits dans leur pays. Nous sommes si fiers de notre système d’intégration. Peut-être faut-il se réveiller ? Pour voir ce qu’il a produit. Il a marché. Il ne marche plus. C’est donc une guerre que nous avons décidé d’engager contre les trafiquants et les délinquants. Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms. Avec un taux de chômage des étrangers non communautaires qui a atteint 24% en 2009. La règle générale est claire : les clandestins doivent être reconduits dans leur pays. Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms. [...] La guerre que j’ai décidé d’engager contre les trafiquants, contre les voyous, cette guerre-là vaut pour plusieurs années [1].

Peu de temps après, M. Christian Wulff nouveau Président de la République fédérale d’Allemagne entre en fonction le 2 juillet. Lors de son discours d’investiture, il dit vouloir être « le président de tous ceux qui vivent en Allemagne », et non seulement de tous les Allemands, selon la formule traditionnelle, et « jeter des ponts » entre les différentes catégories de citoyens. « Il est important, à mes yeux, de créer des liens entre jeunes et vieux, entre gens de l’Est et de l’Ouest, entre autochtones et immigrés, entre employeurs et chômeurs et entre handicapés et non handicapés. » [...]

En politique, Wulff se perçoit comme un médiateur. Son parangon est Nelson Mandela. Wulff veut insuffler le courage, miser sur des arguments et exiger le respect dans le débat politique. Une perception de son poste qui rencontre l’approbation.

En avril 2010, sur l’emplacement de l’ancien camp de Bergen Belsen, M. Christian Wulff, alors Ministre-Président du Land de Basse-Saxe a terminé son discours ainsi :« Le devoir du souvenir qui nous est confié par les survivants s’élargit sur un autre devoir. Il nous faut aujourd’hui comme à l’avenir lutter contre toute forme de violence et d’oppression. Se souvenir des crimes commis ici et les élucider contribue à s’engager pour la dignité humaine absolue. »

Tout commentaire est inutile.

Comparaison et juxtaposition réalisée par
Jean Weil
interné deux ans à Drancy et déporté un an à Bergen Belsen,
inscrit sur le mur des noms.


Notes

[1La Croix du 2 août 2010.


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