stic : les fichés ne s’en fichent pas


article  communiqué de la LDH  de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : vendredi 23 janvier 2009
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La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a rendu publique, le 22 janvier 2009, une enquête sur les – très mauvaises – conditions d’utilisation par la police et la justice du Système de traitement des infractions constatées, le fameux fichier informatique Stic. Pas de quoi troubler les autorités policières et judiciaires. Au ministère de l’Intérieur, on conseille à « la Cnil de passer à autre chose. Ces histoires de fichiers datent du siècle dernier »[*]... Un cynisme qui n’a d’égal que le petit mensonge entendu au ministère de la Justice : « Nous ne sommes ni au courant, ni concernés ».

[Le Canard enchaîné du 21 janvier 2009]

[*] Le ministère de l’intérieur aurait-il déjà oublié Edvige, Edvirsp, Cristina, et les autres ?


Communiqué LDH

Le Stic, frère aîné d’Edvige : halte au fichage arbitraire et discriminatoire

La Cnil vient de rendre ses conclusions sur le fichier des infractions constatées – le Stic, créé clandestinement dans les années 1995/2000 mais connu seulement en 2001, et qui dès 2004 fichait 23 millions de personnes.

Les conclusions de la Cnil sont accablantes. Seulement 17 % des données collectées sur les personnes mises en cause sont exactes. Les données collectées sont stockées sans respect des durées de conservation, de mise à jour et d’apurement. Les qualifications des personnes fichées sont non seulement fantaisistes mais inacceptables dans un Etat de droit respectueux de l’égale dignité des personnes : on y trouve entre autres « autiste », « homosexuel », « travesti »… Voilà qui permet de juger de la crédibilité des affirmations ministérielles selon lesquelles les autorités n’avaient jamais songé à ficher les orientations sexuelles ou l’état de santé.

Le Stic sert aussi pour les enquêtes administratives ; il est consulté pour le recrutement et l’habilitation des personnes travaillant dans le domaine de la sécurité. On sait déjà que ces très nombreuses données erronées ont conduit à des pertes d’emploi et à des refus de recrutement. Là encore, que penser des discours sur la lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche ?

Au moment où le gouvernement veut fondre le Stic et Judex (qui est à la gendarmerie ce que le Stic est à la police) en un seul fichier nommé Ariane, la Ligue des droits de l’Homme demande que toutes les données erronées qui menacent les droits de millions de nos concitoyens soient immédiatement effacées, que l’ensemble des fichiers de justice et de police soient mis à jour et soumis à des contrôles sérieux, indépendants et transparents, et qu’une loi vienne enfin protéger les droits et libertés des citoyens face à la montée de la « surveillance généralisée » et d’un fichage arbitraire et discriminatoire dont la Cnil vient de caractériser une nouvelle manifestation particulièrement accablante.

Paris, le 23 janvier 2009

A quoi sert le STIC ?

Le « système de traitement des infractions constatées » (STIC) est un fichier national, placé sous la responsabilité du ministère de l’intérieur. Son existence a été officialisée en 2001 [1], mais il existe depuis 1994. Destiné à enregistrer les informations recueillies à partir des procédures établies par les services de la police nationale dans le cadre de leurs missions de police judiciaire, il a été initialement conçu comme un outil permettant d’orienter les enquêtes et, le cas échéant, d’identifier les auteurs d’infractions, grâce à des recoupements avec des affaires précédentes.

Mais depuis quelques années, le Stic possède une deuxième fonction : il est devenu un instrument d’enquête administrative. Depuis la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, confortée et pérennisée par la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, il peut être consulté à l’occasion du recrutement, de l’agrément ou de l’habilitation des personnels de professions très diverses. Ainsi en est-il des personnels de surveillance et de gardiennage, des personnes souhaitant travailler dans les zones aéroportuaires ou des agents de police municipale, des magistrats, des gardes champêtres ou des hauts fonctionnaires, etc. [2]. Au total, la consultation du Stic à des fins d’enquête administrative est susceptible de concerner aujourd’hui plus d’un million d’emplois.

Au 2 décembre 2008, le nombre de personnes physiques mises en cause [3] enregistrées dans le Stic s’élevait à plus de 5,5 millions, le nombre de personnes physiques victimes dépassait 28 millions, pour plus de 36 millions de procédures (une personne mise en cause ou victime pouvant faire l’objet de plusieurs procédures).

Au terme d’une enquête de dix-huit mois, huit enquêteurs de la Cnil ont mis en évidence de graves dysfonctionnements du Stic. Dans son rapport, la Cnil formule des propositions pour que son utilisation soit mieux contrôlée et plus sécurisée de façon que les informations qu’il recèle soient exactes et à jour. Ci-dessous quelques-uns des points importants du rapport [4]

Les conditions d’enregistrement

Au moment de l’enregistrement de l’affaire dans le système informatique, seule une lettre – « C » (constaté) pour une victime ou « E » (élucidé) pour une mise en cause – permet de faire la différence. Ayant constaté des erreurs à ce niveau, la Cnil demande que soit mise en oeuvre une procédure permettant de contrôler et de sécuriser l’enregistrement des données.

Un haut fonctionnaire rappelait, il y a quelques années, cette anecdote : « Ma fille postulait pour un poste dans un organisme sensible. Lors de l’entretien, l’un des responsables, gêné, lui a avoué que son embauche était compromise. Elle était fichée au Stic pour vol de sac à main. En réalité, elle se l’était fait voler. » [5]

Parmi une centaine de qualificatifs proposés aux policiers pour renseigner l’« état de la personne » fichée, on trouve : homosexuel, travesti, permanent syndical, membre d’une secte, membre de l’armée du salut, personne se livrant à la prostitution, en relation habituelle avec prostituée, handicapé moteur, sourd muet, etc. Et voici trois des qualificatifs proposés (parmi 19) pour renseigner le « mobile » : antimusulman, antisémite, homophobe
Même si les fonctionnaires semblent généralement sauter cette étape,
la Cnil pointe un risque de stigmatisation, comme dans le fichier
Ardoise.

Le manque de contrôle de l’accès à ces fichiers

Pour consulter le Stic, les policiers doivent entrer un mot de passe qui change tous les trois mois, et toutes leurs recherches sont enregistrées. Mais aucun système d’alerte en temps réel ne permet de détecter une utilisation anormale du Stic. D’autre part, le nombre de contrôles effectués, 120 en 2008, est dérisoire devant le nombre de fonctionnaires habilités à accéder au Stic (près de 100 000), et devant le nombre annuel de consultations du fichier (plus de 20 millions).

Des affaires récentes ont illustré des cas d’utilisation du Stic en dehors du cadre légal.

Une quasi-absence de mise à jour du fichier

La « quasi-absence de mise à jour » est la principale critique de la Cnil. Les enquêteurs en rejettent l’essentiel des responsabilités, non sur le ministère de l’Intérieur, gestionnaire du système informatique, mais sur celui de la Justice. Selon l’étude, les parquets des tribunaux avisent en effet très rarement la police judiciaire de la conclusion d’un dossier (classements sans suite, ou non-lieu, ou relaxe, ou acquittement...)

En se limitant aux années 2005, 2006 et 2007, la Cnil estime par exemple que les tribunaux ont “omis” de transmettre plus d’un million de décisions de classement sans suite. Des centaines de milliers de personnes continuent donc à apparaître comme « mises en cause » alors qu’elles ont été blanchies.
De plus, insiste la Cnil, « non seulement, la procédure de mise à jour du STIC est peu utilisée par les procureurs de la République, mais, dans certains cas, des demandes d’effacement formulées ne sont pas prises en compte par le ministère de l’intérieur. »

La conclusion de la Cnil dépasse ce que les plus farouches opposants au fichage auraient pu imaginer : « En définitive, sur le nombre des investigations effectuées dans le cadre du droit d’accès indirect à la demande de particuliers, il est vrai, entre le 1er janvier et le 31 octobre 2008, il s’avère que seules 17 % des fiches de personnes mises en cause étaient exactes ; 66 % ont fait l’objet d’une modification de portée variable (changement de durée de conservation, de qualification pénale, etc.) ; 17 % ont été purement et simplement supprimées du fichier. »

Ces dysfonctionnements, erreurs ou retards, peuvent avoir des conséquences dramatiques en termes d’emplois. Être fiché dans le STIC est en effet porteur de conséquences importantes qui peuvent entraîner la perte d’emploi, le refus de recrutement, l’impossibilité de se présenter à des concours administratifs, etc. (Voir cette page)

« Le Stic, un fichier dangereux » [6]

par Alex Türk, président de la Cnil

Il était légitime que nous évoquions nos réserves sur certains aspects d’Edvige, un fichier aujourd’hui abandonné par l’Intérieur. Mais, pour moi, le Stic pose beaucoup plus de problèmes en termes de libertés individuelles et de conséquences sociales. De ce point de vue, il est beaucoup plus dangereux. Il peut hypothéquer la vie quotidienne de personnes modestes et vulnérables. Depuis qu’il est utilisé pour délivrer des agréments préfectoraux dans les métiers liés à la sécurité, il conditionne souvent un recrutement ou un renouvellement de fonctions. Environ 1 million de personnes sont potentiellement concernées. C’est pourquoi nous formulons douze propositions pour réformer le Stic en profondeur. Il est urgent de le faire !

L’association Iris (Imaginons un réseau internet solidaire) a publié un communiqué le 23 janvier 2009. En voici la conclusion :

Ce fichier doit être démantelé, car rien ni personne ne pourra jamais contrôler un tel monstre ni restreindre les erreurs à un nombre raisonnable et facilement réparable. Par leur nature même, des fichiers comme le Stic, son équivalent Judex à la gendarmerie, avec lequel le Stic va être fusionné, Edvige et bien d’autres encore portent en eux des dangers incontrôlables et insurmontables.

Notes

[1Par le décret n° 2001-583 du 5 juillet 2001.

[2Cela explique que le Stic soit parfois considéré comme un casier judiciaire “ bis ”.

[3Mises en cause : « personnes à l’encontre desquelles sont réunis (…) des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission d’un crime, d’un délit ou d’une contravention de 5ème classe (…) » (article 21 II de la loi du 18 mars 2003).

[4Cette brève présentation est basée sur les conclusions du rapport de la Cnil qui étaient accessibles dès le 21 janvier 2009 sur le site de la Cnil :
http://www.cnil.fr/fileadmin/docume....

[5Référence : « Les dérives du fichier Stic », lexpress.fr le 19 janvier 2009.

[6Extrait d’un entretien, publié le 20 janvier sur Lexpress.fr.


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