en dehors d’une nouvelle augmentation de la répression, quelle trace de réflexion dans la politique sécuritaire ?


article de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : jeudi 26 mars 2009
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Nicolas Sarkozy a annoncé, le 18 mars 2009 au commissariat de Gagny, seize mesures policières et judiciaires pour combattre le phénomène des bandes violentes, parmi lesquelles :

  • la création d’une peine de trois ans d’emprisonnement « pour participation en connaissance de cause à un groupement, même formé de façon temporaire, poursuivant le but de commettre des atteintes volontaires contre les personnes ou contre certains biens » ;
  • la mise en place d’une police d’agglomération avec un état-major à l’échelle des agglomérations, chargée de coordonner la collecte du renseignement et l’action de la police – n’est-ce pas une reconstitution des RG quelques mois après leur suppression [1] ?
  • « la création d’un fichier dédié aux violences urbaines et au phénomène de bandes » – ce fichier avait déjà été annoncé le 29 juin 2008 par Rachida Dati qui l’avait étendu aux bandes... de militants politiques ou syndicaux et à certains mineurs [2].

Cette dernière décision semble d’ailleurs en contradiction avec l’intention de Michèle Alliot-Marie de réduire le nombre des fichiers de police. Il est vrai qu’elle-même va s’offrir un nouveau fichier en septembre prochain : « Metamorpho », un fichier de « nouvelle génération » qui intègrera une empreinte de la paume de la main en plus de celle des dix doigts [3].

Pour Laurent Mucchielli, avant d’afficher des décisions, il faudrait commencer par analyser les causes de la délinquance


Ousmane Sow - Little Big Horn : le clairon.

« La réponse est oui.
Mais quelle était la question ?
 »

Woody Allen


Laurent Mucchielli : "Il faut revenir à l’analyse des causes de la délinquance"

[Le Monde, du 25 mars 2009]


Lors d’une visite au commissariat de Gagny (Seine-Saint-Denis), le 18 mars, Nicolas Sarkozy a annoncé de nouvelles mesures contre les bandes. La participation à une bande "en connaissance de cause" ou à un groupement, "même formé de façon temporaire", afin de porter atteinte à des personnes ou à "certains" biens sera punie de trois ans de prison. Un nouveau fichier sera en outre consacré aux violences urbaines et aux bandes.

Selon le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS et auteur, en collaboration, des Bandes de jeunes (2007), de La Frénésie sécuritaire (2008) et d’une Histoire de l’homicide en Europe (2009), les mesures proposées ne répondent pas au problème.

  • Que pensez-vous de la nouvelle incrimination annoncée par Nicolas Sarkozy ?

Il existe déjà l’infraction d’association de malfaiteurs définie par l’article 450-1 du code pénal comme "tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes ou délits punis", et punie d’au moins cinq ans de prison. De même qu’il existe déjà une infraction d’intrusion dans les établissements scolaires depuis 1996. Preuve que les faits divers récents n’ont rien de nouveau. Il existe aussi les circonstances aggravantes d’agir "en réunion" ou, pire, en "bande organisée". Sans parler de la fameuse infraction créée en 2003 par M. Sarkozy visant les regroupements dans les halls d’immeuble.

Je ne pense donc pas que le problème soit juridique ni qu’un fichier de plus changera les conditions du travail des policiers et des gendarmes - le système de traitement des infractions constatées (STIC) fichera bientôt 6 millions de personnes, soit près de 10 % de la population française. La bonne question est plutôt : jusqu’à quand va-t-on entretenir l’illusion que l’on répond fondamentalement aux problèmes de délinquance en ajoutant des lignes dans le code pénal ? Ce dernier a été modifié à plus de 40 reprises depuis 2002. Les problèmes, eux, sont toujours là. Il faudra bien un jour admettre qu’à force de prétendre que les explications sont des excuses, on nous interdit de penser, on nous rend aveugles sur la société et on nous entraîne dans une impasse collective. Il serait urgent de revenir à l’analyse des causes de la délinquance.

  • Quelles sont-elles selon vous ?

Cela dépend des phénomènes et des acteurs concernés. Nous parlons ici des groupes d’adolescents des quartiers populaires impliqués occasionnellement dans la délinquance. Les recherches montrent que, outre la proximité affective et géographique, le facteur-clé dans la constitution de ces groupes est l’échec scolaire. La première des préventions est donc là.

Quant à la sortie de la délinquance pour ces jeunes, elle est conditionnée par l’insertion sur le marché de l’emploi. Seul un travail assorti d’un vrai salaire permet en effet à un jeune d’accéder au logement et de s’installer en couple. Enfin, entre le début et la fin des problèmes, un travail social de grande ampleur, y compris dans les prises en charge judiciaires et une vraie police de proximité seraient de bons outils. Or rien de tout cela n’est à la hauteur des problèmes aujourd’hui.

  • Que sait-on des bandes que M. Sarkozy définit comme une "mosaïque de tribus" ?

Le chef de l’Etat utilisait déjà ce langage lorsqu’il était ministre de l’intérieur, notamment au moment des émeutes de 2005. Ce ne sont pourtant que des formules qui sont malheureuses, car elles ethnicisent les problèmes sociaux, et qui traduisent une méconnaissance du phénomène. Du groupe de copains qui "tient les murs" le soir au bas des immeubles en fumant des joints jusqu’à la bande de braqueurs de banque, tout est appelé bandes et délinquance.

Le bon critère n’est pourtant ni le regroupement ni la commission d’infractions. Les véritables bandes délinquantes s’organisent autour d’une activité et d’une finalité délinquantes. En termes juridiques, ce sont donc des associations de malfaiteurs, qui relèvent du travail de la police judiciaire. Beaucoup plus nombreux sont les groupes que l’on évoquait dans la question précédente, qui pratiquent à l’occasion de la délinquance mais n’ont pas de véritable organisation et dont la composition est fluctuante.

  • Pourquoi les bandes sont-elles devenues la grande peur de la société contemporaine ?

Les regroupements de jeunes ont toujours fait peur, ils ont la force du nombre et paraissent incontrôlables. Au début du XXe siècle, c’étaient les Apaches, dans les années 1960, les blousons noirs, puis les loubards et les zonards. Aujourd’hui, ce sont les "jeunes des cités" qui ont la particularité d’avoir le plus souvent la peau colorée, ce qui renforce la peur du fait des caricatures qui tiennent généralement lieu d’analyse sur leurs "origines" et sur l’islam. Mais si ces peurs persistent, c’est aussi à cause de certains politiques qui cherchent à exploiter les faits divers, et de certains journalistes qui s’y précipitent dans une logique sensationnaliste, comme ces derniers jours.

[Propos recueillis par Anne Chemin]


Michèle Alliot-Marie : "Il faut diminuer le nombre de fichiers"

par Jean-Marie Pontaut & Eric Pelletier, L’Express du 24 mars 2009


Alors qu’un rapport parlementaire vient d’être consacré à la multiplication des fichiers de police, Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, dévoile sa stratégie et évoque la nécessité de recenser les bandes.

  • Stic, Fnaeg, FPR, Edvirsp... On recense aujourd’hui, au moins, 45 fichiers de police et de gendarmerie. Certains, regroupant des données d’ordre politique ou privé, ont été contestés. N’est-il pas temps de mettre de ­l’ordre dans le système ?

C’est en cours. Après les polémiques de septembre, j’ai voulu comprendre ce qui suscitait autant de craintes, voire de fantasmes. J’avoue qu’avant d’arriver Place Beauvau ce n’était pas un sujet de préoccupation majeur pour moi. Je n’ai d’ailleurs jamais demandé ma fiche personnelle. Les Français ont avec ces questions une relation un peu schizophrène. D’une part, ils s’inquiètent de l’existence des fichiers du ministère de l’Intérieur, pourtant destinés à garantir leur sécurité.

D’autre part, ils livrent des informations personnelles sur Internet ou ailleurs sans se préoccuper de l’utilisation, beaucoup plus intrusive, qui en est faite. Mais j’en conviens : il s’agit de données sensibles qui nécessitent plus de transparence. Ce ministère doit être exemplaire. Je veux que nous devenions la référence pour tous les organismes publics ou privés.

  • Que proposez-vous pour y parvenir ?

Je m’emploie actuellement à remettre à plat l’intégralité du dispositif : finalité ­opérationnelle de chaque ­fichier, conditions d’accès, durée de conservation des informations, apurement... Le groupe sur les fichiers, présidé par Alain Bauer, m’a fait une série de propositions en décembre 2008. J’ai demandé à mes services un ­recensement exhaustif de l’existant. D’ici à la fin de l’année, nous saurons précisément quels outils conserver. Il existe par exemple plusieurs fichiers concernant les vols : voitures, objets d’art, objets religieux, bijoux. Et des doublons entre services de police et de gendarmerie. Mon sentiment est qu’il faut globalement diminuer le nombre de fichiers. Même si les circonstances peuvent nous amener à en créer de nouveaux...

  • Vous faites allusion au phénomène des bandes ? Vous seriez donc favorable à un fichier spécifique ?

Oui, il serait utile d’avoir un fichier des bandes, réservé aux services dont la mission est justement de les suivre. Les événements de ces dernières semaines, comme les intrusions dans les établissements scolaires, l’ont démontré, le suivi des quelque 2500 membres "permanents" de ces groupes et des 2500 autres gravitant dans leur environnement permettrait de prévenir des violences.

  • Des jeunes, parfois de très jeunes mineurs, seront donc fichés avant même d’avoir commis un délit...

J’ai déjà dit que nous prendrions comme âge plancher celui de la majorité pénale, c’est-à-dire 13 ans. J’ai aussi rappelé mon attachement au principe du droit à l’oubli. Si une personne n’a pas fait reparler d’elle à sa majorité, son nom doit être effacé. En revanche, il n’y a pas de raison de ne pas intégrer un membre d’une bande se livrant au trafic de stupéfiants au motif qu’il est mineur. Sur les 2 500 membres "permanents" des bandes, 48 % ont moins de 18 ans... Et plus de 10 % ont moins de 13 ans. Ils sont en général utilisés comme guetteurs. Il ne s’agit pas de ficher systématiquement les mineurs, mais seulement s’ils sont régulièrement signalés pour leurs activités au sein ou au profit d’une bande violente ou délinquante.

  • Le débat sur la possibilité de recourir à des statistiques ethniques divise jusqu’à la majorité. Quelle est votre position ?

Je n’y suis pas favorable, même si je comprends ce qu’on recherche : une vision plus fine de la situation et donc des discriminations existantes. Mais je reste profondément républicaine. Je crains que ces catégorisations ne soient propices au renforcement du communautarisme.

  • Où en est-on du Fichier ­national automatisé des ­empreintes génétiques (Fnaeg) ? A l’origine, il ne devait concerner que les crimes sexuels. Aujourd’hui, il est étendu à presque tous les délits.

Je crois que l’existence du Fnaeg est bien comprise. La méthode l’est aussi : il s’agit de se doter d’une police technique et scientifique de masse, efficace pour résoudre toutes les affaires, des cambriolages aux meurtres, en passant par les viols. Hier, nous comptions sur les ­empreintes digitales pour confondre un suspect. Aujourd’hui, avec le Fnaeg, nous pouvons faire de même avec l’ADN. En janvier, nous avons passé le cap du million de traces enregistrées. Si bien que les moteurs de recherche, anciens et lents, permettant d’effectuer les recoupements doivent être modernisés. Nous y mettons les moyens. Le Fnaeg est devenu un outil indispensable : depuis sa création, il a permis le rapprochement de près de 50 000 profils.

  • Des affaires récentes ont montré que certains fonctionnaires peu scrupuleux ont revendu des informations confidentielles tirées des fichiers de police. Comment mieux en contrôler l’accès ?

J’exige toutes les garanties dans ce domaine. Avant de pouvoir consulter la base de données, chaque fonctionnaire doit rentrer un code d’accès strictement personnel. L’informatique permet une traçabilité totale. Nous travaillons sur un renforcement des dispositifs de contrôle, par exemple le recours à la biométrie : l’ordinateur demanderait à chaque utilisateur son empreinte digitale avant de se connecter.

Je me montre intraitable vis-à-vis des fonctionnaires pris en faute. Les sanctions sont exemplaires, quelle qu’en soit la raison. Qu’il s’agisse d’une revente d’informations ou de la consultation, par pure curiosité, du dossier d’un chanteur ou d’un homme politique. En 2008, j’ai ainsi prononcé 18 sanctions disciplinaires, dont 5 révocations.

  • Un rapport parlementaire rendu cette semaine préconise de fixer par la loi le champ d’application des fichiers. Qu’en pensez-vous ?

Je suis favorable à un débat public sur la finalité et le contrôle des fichiers. Le Parlement doit y jouer son rôle. Cela participe de l’esprit de transparence que je préconise pour ce ministère.

Nicolas Sarkozy à Ornans, le 17 mars 2009.

Les députés mènent l’enquête
 [4]

Deux députés, Delphine Batho (PS) et Alain Benisti (UMP), ont arpenté pendant six mois les commissariats, les gendarmeries, les services spécialisés de police et les préfectures pour évaluer sur le terrain le fonctionnement des fichiers. Dans leur rapport parlementaire de près de 400 pages, remis le 24 mars, ils font 57 propositions à la ministre de l’Intérieur. L’une des plus importantes préconise que tout nouveau fichier fasse l’objet d’un débat à l’Assemblée et soit entériné par une loi. "Il faut, explique Alain Benisti, montrer l’utilité des fichiers mais aussi la nécessité de préserver la liberté des personnes." "Il est urgent de clarifier le cadre juridique, complète Delphine Batho. Jusqu’à présent, on avait trop tendance à valider par décret ce qui existait déjà."

Deuxième exigence : bien distinguer les fichiers administratifs de ceux qui concernent la sécurité publique. Malgré leurs divergences politiques, les deux élus sont tombés d’accord sur la quasi-totalité des réformes à mettre en oeuvre. Ils demeurent cependant en opposition sur plusieurs thèmes : le fichage des mineurs, l’origine géographique des délinquants et le nombre de cas de relaxe ou d’acquittement nécessitant l’apurement des fichiers.

Eric Pelletier & Jean-Marie Pontaut


Notes

[1Voir le blog Police et cetera http://moreas.blog.lemonde.fr/2009/... de Georges Moreas.

[2Dans une interview au Journal du dimanche, cf : fichage des bandes et vidéo-surveillance sont les mamelles du sécuritaire.

[3L’Express.fr, le 16 mars 2009.

[4Pour assurer "le strict respect des droits et libertés des citoyens, mais aussi la performance des instruments", les deux députés proposent d’étendre le pouvoir de contrôle de la Cnil. Pour consulter leur rapport http://www.assemblee-nationale.fr/1....


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