les enquêtes d’habilitation et les “renseignements généraux”


article de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : mardi 9 décembre 2008
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« J’ai été reçu par un fonctionnaire qui s’est présenté comme le responsable des renseignements généraux pour les collèges et lycées du bassin minier [...] il m’a demandé de faire attention parce que le fait d’aller trop loin dans le syndicalisme pourrait me fermer des portes pour les concours de la fonction publique. »

Fantasmes ou réalité ?


Simon, 19 ans, lycéen et syndicaliste, a été entendu par les renseignements généraux

La Voix du Nord, le 3 décembre 2008

Un lycéen entendu par les renseignements généraux (RG) : c’est arrivé mercredi dernier à Simon Poudroux, 19 ans, en terminale au lycée Picasso d’Avion (Pas de Calais). Leader du mouvement de protestation du printemps, il est devenu depuis président d’un nouveau syndicat lycéen.

C’est une conséquence indirecte du mouvement mené courant mai et juin par des enseignants et élèves du lycée Picasso à Avion. Simon Poudroux a été entendu par le SDIG (service d’information générale, ex-RG). Ce lycéen de 19 ans était un des principaux animateurs de la mobilisation qui avait conduit une trentaine d’enseignants et lycéens à passer la nuit dans l’enceinte du lycée du quartier République durant cinq semaines entre mai et juin.

Simon a reçu une convocation écrite du ministère de l’Intérieur pour se présenter, mercredi 26 novembre après-midi, au commissariat de Lens. « J’ai été reçu par un fonctionnaire qui s’est présenté comme le responsable des renseignements généraux pour les collèges et lycées du bassin minier », explique cet élève qui redouble sa terminale S. « L’entretien était très calme, il était très poli, mais il m’a demandé de faire attention parce que le fait d’aller trop loin dans le syndicalisme pourrait me fermer des portes pour les concours de la fonction publique. » Simon Poudroux est président d’un syndicat de lycéens, la Confédération de la jeunesse du Nord, créé à Avion dans le sillage de la fronde du printemps. Les statuts ont été déposés fin août en sous-préfecture. « Nous sommes quarante d’Avion et trois ou quatre autres d’Henri-Darras à Liévin, l’objectif étant de rassembler des membres dans tout le bassin minier. » Si le président fait partie des Jeunesses communistes (très implantées à Avion où la mairie est PCF), le jeune homme précise que ce syndicat est « indépendant de toute appartenance politique ou religieuse ».

De cet entretien, le lycéen garde un goût amer : « On a essayé de me dégoûter d’être meneur d’un mouvement à Picasso. On essaie de tuer à la base la contestation que nous allons mener contre la réforme des lycées. » Solidaire, le syndicat d’enseignants SNES de Picasso, comptait adresser, hier, un courrier au sous-préfet. « Des remarques ont été choquantes », retient Romain Gény, délégué au lycée Picasso.

« On lui fait comprendre que c’est bien de s’engager mais que ça risque de lui fermer des portes. On lui fait peur pour son avenir, ce n’est pas anodin. Ici, les collègues ont été scandalisés et voulaient même manifester devant le commissariat. » Selon Romain Gény, l’exemple d’un autre leader avionnais aurait été évoqué : « Damien prépare actuellement des concours de la fonction publique. On a fait comprendre à Simon que ça pouvait être gênant. C’est insupportable. » Damien Sayon, tout en n’étant plus au lycée, est actuellement trésorier du nouveau syndicat. [...]

Jointe hier, la direction départementale de la sécurité publique expliquait qu’elle communiquerait ultérieurement sur cette affaire. Une source policière indiquait cependant : « S’il était vraiment surveillé, il n’aurait pas été invité à discuter par le SDIG. »

PH. B. (avec S. R.)

Les fichiers STIC et Judex

Par la quantité d’informations qu’il rassemble, le STIC est l’un des fichiers les plus considérables qui existe actuellement en France. Comme son nom l’indique, le Système de traitement des infractions constatées enregistre les données relatives aux infractions constatées par la police. Il conserve donc des données relatives aux personnes concernées par l’infraction, aussi bien des suspects que des témoins et des victimes, pour une durée qui peut aller jusqu’à quarante ans. Le fichier JUDEX remplit le même rôle, mais pour la gendarmerie.

Ces fichiers existent depuis 1995 mais ils n’ont été “légalisés” qu’en 2001. D’après le rapport remis en 2006 par Alain Bauer, président du groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie, à la date du 1er janvier 2005 STIC et JUDEX comportaient à eux deux des informations sur 7,5 millions de personnes [1].

Les enquêtes administratives

Depuis 1995 la loi autorise la consultation de fichiers pour établir d’éventuels d’antécédents judiciaires dans le cadre d’enquêtes préalables à des décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’agrément, d’habilitation ou d’autorisation. Cela concerne des emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’Etat, des emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, des autorisations d’accès à des zones protégées (zones militaires, aéroportuaires, établissements pénitentiaires), les autorisations de port d’armes, etc. [2].

Les fichiers STIC et JUDEX sont évidemment consultés pour ces enquêtes. Mais la CNIL a mis en évidence qu’ils sont truffés d’erreurs – erreurs d’entrée, erreurs dues à une absence de mises à jour... – qui peuvent avoir des conséquences très importantes pour les personnes concernées [3] :

Mademoiselle C. souhaitait présenter un concours d’entrée
à une école de police, mais elle était enregistrée dans le STIC en tant que mise en cause, alors qu’elle avait été uniquement entendue en
tant que témoin...

Mademoiselle L., a dû interrompre une formation pour devenir hôtesse de l’air lorsqu’elle s’est vue refuser son badge d’accès à la zone aéroportuaire. Elle avait en effet été enregistrée dans le STIC en tant que mise en cause dans une affaire de falsification et d’usage frauduleux de chèque. Mais elle avait été totalement mise hors de cause...

Les fichiers des services de renseignements

L’article 17-1 de la loi 95-73 du 21 janvier 1995 relative à la sécurité précise que « les décisions administratives de recrutement [...] peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes [...] intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. » Les enquêtes préalables ne peuvent donc se limiter à la consultation des données “techniquement neutres” contenues dans les fichiers STIC et JUDEX. Elles doivent prendre en compte des informations provenant des fichiers des services de renseignements – EDVIGE/EDVIRSP, CRISTINA... – dans lesquels prédominent les éléments “qualitatifs”.

Il suffit donc d’être “suspecté”, d’être jugé “susceptible” de pouvoir agir d’une façon incompatible avec la mission envisagée pour que l’enquête se conclut négativement.
Comme l’écrit Alain Bauer dans son rapport [4] :

« Les faits pouvant être pris en compte dans le cas d’un refus
d’agrément ou d’habilitation sont définis de manière large : “comportements” et “agissements”. Avant la loi antiterroriste, les dispositions propres à la sécurité privée indiquaient que seuls les “actes” contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes moeurs ou de nature à porter atteinte à l’ordre public ou à la sécurité des personnes pouvaient être pris en compte.
« Or, ce terme conduisait la jurisprudence à adopter une interprétation restrictive, exigeant que des infractions aient été préalablement commises.
« Ceci est apparu totalement inadapté à la problématique de la menace terroriste contemporaine, avec des individus pratiquant un islamisme radical avec des trajectoires de passage à l’acte terroriste rapide sans nécessairement de passé délinquant. Le terme “comportement” a donc été substitué au terme “acte”. Même s’il s’agit d’un raccourci excessivement simplificateur, on peut considérer que le terme “acte” se rapporte plutôt aux infractions enregistrées dans le STIC, alors que le terme de “comportement” est plus englobant et permet d’inclure les informations contenues dans la documentation des services de renseignement. »

On imagine la part laissée à la subjectivité et aux fantasmes !

L’information suivante publiée le 4 décembre sur le site internet du Nouvel Obs illustre ce qui précède :

Des fonctionnaires des RG sanctionnés pour leur appartenance religieuse ?

De nombreux policiers des Renseignements Généraux de la Préfecture de Police de Paris, français d’origine maghrébine, ont perdu leur habilitation "Secret Défense" sans explication officielle.

De nombreux policiers français des Renseignements Généraux de la Préfecture de Police de Paris, d’origine maghrébine, se plaignent des conditions dans lesquelles ils ont été interrogés ces derniers jours dans le cadre de la réorganisation des services de la capitale. Selon plusieurs sources, les policiers de la 8ème section des RG, "Enquêtes et habilitations", située rue aux Ours, Paris 3ème, leur posent des questions sur leurs orientations religieuses, la régularité de leurs séjours dans les pays de leur famille d’origine. Plusieurs fonctionnaires ont ainsi perdu leur habilitation "Secret Défense" sans explication officielle. Selon leurs examinateurs, ils auraient perdu leur habilitation parce qu’ils visitaient trop souvent leurs parents "restés au bled". De nombreux enquêteurs chevronnés des RGPP s’insurgent contre ces pratiques d’un autre temps et qui les "marquent au fer rouge de la suspicion". L’affaire paraît d’autant plus grave que la plupart de ces agents français "basanés" ont été recrutés, ces dernières années, pour que la police française soit adaptée "aux couleurs de la France". [5]

Combien de temps encore les personnes d’“origine maghrébine” seront-elles considérées comme “susceptibles” de ... ? [6]

Notes

[1Le rapport d’Alain Bauer est téléchargeable sur le site de La Documentation française : http://lesrapports.ladocumentationf....

[2Le décret N° 2005-1124 du 6 septembre 2005 en donne la liste complète :
http://legifrance.gouv.fr/affichTex....

[3Voir page 37 du rapport de la CNIL pour l’année 2007 :
http://www.cnil.fr/fileadmin/docume....

[4Page 109.

[5Depuis le 5 décembre, cette information est complétée de la précision suivante :

Selon des sources proches de la direction de la Préfecture parisienne, ces rumeurs ne concerneraient que deux cas isolés. Celui d’une fonctionnaire française d’origine algérienne : deux de ses frères seraient des activistes fondamentalistes. L’autre cas concerne un officier de police, lui aussi d’origine algérienne, entendu par l’IGS, la police des polices, pour des problèmes d’indiscipline. Pour l’instant, le cabinet du préfet, Michel Gaudin, ne souhaite pas réagir officiellement à cette grogne que l’on juge, en haut lieu, "non fondée et intempestive".

Référence : http://tempsreel.nouvelobs.com/actu....


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