le Stic : Système de traitement des infractions constatées


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date de publication : juillet 2001
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Le STIC a maintenant une existence légale

[ par Pascal Ceaux - LE MONDE 7 juillet 2001 ]

Le ministre de l’intérieur a signé le décret légalisant et encadrant le système de traitement des infractions constatées (STIC). Controversé, ce fichier informatisé était jusqu’alors utilisé par la police, en marge de la loi, pour l’identification des auteurs de crimes et délits. Les contrôles seront renforcés pour éviter tout détournement ou abus.

Cette décision est le résultat d’une longue négociation avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et le Conseil d’Etat, qui, depuis 1994, ont exigé des différents ministres de l’intérieur de l’actuelle comme de l’ancienne majorité parlementaire de multiples précisions ou modifications. Le dossier était d’autant plus sensible que, depuis la fin de 1996, le STIC - vaste fichier informatisé comprenant des informations sur les auteurs de crimes ou délits et sur les victimes - était en état de fonctionnement dans l’ensemble des services de police et était régulièrement utilisé par les fonctionnaires, en dépit de son absence de reconnaissance officielle et légale. Il servait notamment à l’identification des auteurs d’infractions, grâce à la recherche de leurs antécédents judiciaires, par exemple.

LES TÉMOINS EXCLUS

Faisant suite aux recommandations de la CNIL et du Conseil d’Etat, reprises dans leurs avis conformes rendus respectivement les 19 décembre 2000 et 20 février 2001, le ministère de l’intérieur a encadré le contenu et l’usage du STIC, dont la gestion est confiée à la direction générale de la police nationale. Le décret précise ainsi que peuvent être inscrites au fichier, alimenté par les procès-verbaux et les procédures établis par la police, "des personnes à l’encontre desquelles sont réunis, lors de l’enquête préliminaire, de l’enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant leur participation à la commission d’un crime, d’un délit". Certaines contraventions, telles les violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail inférieure à huit jours ou les provocations non publiques à la haine ou à la violence raciales, peuvent aussi conduire à une inscription au STIC. Les victimes de ces infractions peuvent figurer dans le fichier, tout en étant clairement séparées des auteurs d’actes de délinquance. En revanche, les témoins en sont exclus, y compris lorsque leur nom est mentionné dans un procès-verbal.

Le traitement des informations nominatives contenues dans le STIC s’effectuera sous le contrôle des procureurs de la République.

Les parquets pourront ainsi exiger des rectifications ou des effacements. La suppression sera obligatoire lorsqu’une personne aura définitivement bénéficié d’une relaxe ou d’un acquittement. En cas de non-lieu, ou de classement sans suite motivé par une insuffisance de charges, la fiche est obligatoirement mise à jour ; le procureur peut en outre prescrire l’effacement. Il doit communiquer au gestionnaire du fichier les faits couverts par une amnistie. Ceux-ci sont alors obligatoirement retirés du STIC. La durée de conservation des éléments recueillis dans le STIC pourra varier de cinq à quarante ans, selon la gravité de l’infraction et l’âge de la personne mise en cause. Pour les mineurs, elle ne pourra, en toutes circonstances, excéder vingt ans.

Dans certains cas précisés par le décret, le STIC peut être utilisé pour des missions de police administrative, liées à des risques d’atteintes à l’ordre public ou à la sécurité des personnes. La consultation du fichier est alors exclusivement réservée à des policiers qui ont été individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur général de la police nationale ou le préfet. L’habilitation comporte deux niveaux d’accès : le premier permet uniquement de vérifier si une personne figure dans le STIC, le second autorise un accès aux informations qui la concernent. La consultation du fichier n’est possible que par un système de codes d’accès individuels qui permettent d’identifier l’auteur. Tout détournement ou utilisation illicite est passible de sanctions pénales. Exemples : la consultation du STIC est interdite pour un simple contrôle d’identité, pour son compte personnel ou celui d’un tiers, pour des recrutements ou encore pour l’attribution de distinctions honorifiques comme la Légion d’honneur.

DES CONTRÔLES INOPINÉS

Plusieurs dispositifs internes et externes seront mis en place. L’inspection générale de la police nationale (IGPN), la "police des polices", pourra ainsi procéder à des contrôles aléatoires du fichier et sanctionner administrativement les manquements des policiers. La CNIL aura aussi la possibilité d’effectuer des contrôles inopinés, tout en assurant un contrôle général du fichier à intervalles réguliers.

Les personnes qui souhaitent avoir accès au STIC pour y consulter leur éventuelle fiche devront passer par l’intermédiaire de la CNIL dans les cas intéressant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique. La commission effectuera elle-même les recherches sur le bien-fondé des informations recensées et avisera la personne qu’"il a été procédé aux vérifications". Dans les autres cas, la CNIL peut décider, en accord avec le ministère de l’intérieur et le procureur de la République, de communiquer les informations à la personne intéressée, sous réserve que la procédure la visant soit judiciairement close. Les victimes peuvent demander leur retrait du fichier lorsque l’auteur des faits a été définitivement condamné.

Aux yeux du ministère de l’intérieur, qui présente l’informatisation comme un gage de transparence, la légalisation du STIC constitue "un progrès indéniable". Il enregistre moins d’informations que les fichiers manuels. Celles-ci obéissent à des définitions précises, contrairement aux règles non écrites des informations prises à la main ; l’utilisation est donc plus facile à contrôler. Le STIC est également considéré comme un outil plus efficace dans l’orientation des enquêtes. En 1999, selon le ministère de l’intérieur, il aurait rendu possible l’identification de plus de 13 600 suspects. Mais, à cette date, il n’était pas légal.

Un nombre d’éléments précis dans les fiches

Les fiches informatisées du STIC concernant les personnes mises en cause comprendront un nombre d’éléments précis et limités qui sont indiqués dans l’article 4 du décret gouvernemental : il s’agit de l’identité, du surnom éventuel, de la date et du lieu de naissance, de la situation familiale, la filiation, la nationalité, l’adresse, la profession, l’état de la personne, le signalement et la photographie. Celles des victimes recenseront les mêmes informations, à l’exception du surnom ou alias et de la filiation. Le signalement et les photographies ne figureront au fichier que pour les personnes disparues ou les corps non identifiés.

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Trois questions à... Alain Weber

[Propos recueillis par Pascal Ceaux]

En tant qu’avocat et membre de la Ligue des droits de l’homme, qui a été à la pointe des critiques contre le STIC, êtes-vous satisfait de la légalisation de ce fichier ?

A la Ligue des droits de l’homme, nous considérons que nous sommes en plein délire d’hypocrisie. Le gouvernement préfère régulariser même de manière chaotique un fichier illégal qui existe de longue date plutôt que de tout reprendre à zéro. Le paradoxe, c’est qu’on ne voit pas ce qui différencie dans le texte le projet d’un gouvernement de gauche de celui de Charles Pasqua en 1995.

Des améliorations n’ont-elles pas été apportées à la suite des recommandations de la CNIL et du Conseil d’Etat ?

Cela reste à nos yeux un méga-fichier qui rassemble pas loin de 90 % des crimes, délits et contraventions visés dans le code pénal. On peut difficilement faire plus large. En plus, il entretient une sorte de flou juridique gênant : les personnes qui bénéficient d’une relaxe ou d’un acquittement définitifs sont effacées du fichier, pas celles impliquées dans des affaires qui se concluent par un non-lieu ou un classement sans suite. Le STIC est une mémoire perpétuelle qui va souffrir d’un complexe d’obésité, car il est avare de purges et il ne filtre que très peu à l’origine.

Des dispositifs de contrôle internes et externes ont été mis en place. Vous paraissent-ils offrir des garanties suffisantes ?

Nous croyons à la pertinence du contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Elle a prouvé son efficacité. Nous regrettons cependant que les personnes ne puissent avoir un accès direct au fichier. Qu’est ce qui est gênant dans le fait qu’un citoyen puisse savoir ce que l’Etat détient sur lui ? Quant au contrôle des procureurs, nous craignons que les parquets ne soient pas dans une situation très confortable dans la mesure où ils ont besoin de collaborer régulièrement avec la police. Bref, nous pensons que ce texte n’est pas une avancée dans la protection des individus face à l’informatique utilisée par la police.

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Quelques repères chronologiques

- Le dossier STIC a été déposé, pour la première fois, devant la CNIL par M. Charles Pasqua, alors Ministre de l’Intérieur, le 21 octobre 1994.

- La loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 évoquait le STIC comme une des priorités de la modernisation de la police.

- En novembre 1998, la CNIL a rendu un avis favorable, l’assortissant de quelques réserves, dont le refus de consultation du STIC à des fins administratives.

- En février 1999, le Conseil d’Etat a émis un avis critique sur le fichier STIC, ce qui devrait conduire le ministère de l’intérieur à remanier ce projet.

- En 1999, le STIC avait un statut très flou : il n’avait pas d’existence légale réelle, mais il était utilisé "à titre expérimental", dans le cadre d’enquêtes de police. Selon le syndicat général de la police, au 1er janvier 1997, le STIC contenait déjà 2,5 millions de "mis en cause", suspectés à un moment donné ; 2,7 millions de victimes ; 5 millions de procédures et 6,3 millions d’infractions.

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NON au STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées)

[Communiqué du 13 avril 1999, signé par la LDH, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat Général de la Police, et le Collectif Informatique Fichiers et Citoyenneté.]

Le STIC est un nouveau projet du Ministère de l’Intérieur. L’objectif est d’intégrer dans un même fichier informatique non seulement tous les fichiers existants mais encore des informations de toute nature, sur le citoyen qu’il soit victime, témoin ou ayant eu affaire avec les services de police.

Ce fichier sera un formidable "mirador" informatique qui constituera en personnes suspectes toutes les personnes qui de près ou de loin auront eu affaire à la police, fussent-elles victimes.

Ce fichier est constitué au mépris de la présomption d’innocence ; il viole les lois d’amnistie, anéantit le principe du droit a l’oubli et ne peut que décourager tous les efforts de réinsertion.

Il porte gravement atteinte à la vie privée.

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LE FICHIER FOU DU STIC

[Charlie Hebdo, le 3 mars 99]

Pasqua l’avait proposé en 1994. Mais c’est Chevènement qui appliquera le STIC, ce fichier fou qui regroupe coupables, innocents et victimes.

Il y avait déjà les fichiers de police à l’ancienne : fichier des empreintes digitales, fichier des antécédents, fichier de signalements... Il y a maintenant le STIC ( Système de traitement des infractions constatées ).

Le STIC, c’est le fichier bien lourd, en rangers coquées. Il avale et recrache tout, en bloc, comme une bête : les fichiers précédents, les affaires en cours, les P-V de police. En plus des délits et crimes, il garde en mémoire certaines contraventions, comme le racolage, l’intrusion dans les établissement scolaires...

Mieux, comme le STIC n’est décidément pas fin, il enregistre aussi bien les victimes que les auteurs d’un délit ou d’un crime. Avec un peu de chance, tout le monde se retrouvera un jour au STIC. Il suffira de déposer une plainte, ou de traîner dans une manif qui se termine par des interpellations.

Cela fait plus de vingt-cinq ans que couvait ce génial projet. Déjà, en 1974, le ministère de l’Intérieur avait eu l’idée d’un méga-fichier regroupant cent millions de fiches de police en tous genres. À l’époque, il avait appelé ça le "SAFARI". La chasse au déviant, en somme.

Finalement, sous la pression publique, le "SAFARI" et toutes ses pulsions prédatrices avaient été abandonnés. Mais la mauvaise idée ne s’est pas perdue. Et, le 21 octobre 1994, Pasqua dépose son projet à la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés).
Le fichier des crimes, des délits et des teints basanés.

Le STIC est alors une merveille de suspicion et de fliquage comme seul Pasqua sait les faire. À l’époque, il est prévu d’utiliser le STIC dans le cadre d’enquêtes administratives pour accéder à certains emplois ou obtenir la nationalité française, et comprend les témoins.

La CNIL s’étripera longuement sur le projet, avant de l’accepter en 1998, avec quelques retouches. Plus question d’y inclure les témoins. Le STIC ne sera accessible qu’aux officiers de police judiciaire et qu’à quelque 200 personnes habilitées par la Direction générale de la police nationale. La CNIL prévoit également que les citoyens puissent consulter leurs fiches, dans le cas où une procédure judiciaire est terminée. Enfin l’engin est élégamment débaptisé : le pasquaïen Système de traitement de l’information criminelle devient Système de traitement des infractions constatées.

Mais le malaise persiste. La décision rendue par la CNIL n’est votée qu’à une voix de majorité, et le rapporteur, Raymond Forni ( par ailleurs député PS ), clame ses inquiétudes. Aujourd’hui, il confirme : " Le STIC, c’est la suspicion généralisée contre la présomption d’innocence. De plus, je n’ai pas une confiance illimitée dans la police, dont une partie des rangs est proche du FN. J’estime donc dangereux de leur fournir un pareil instrument." Parce que en plus de l’adresse et du nom figure aussi le signalement, autrement dit des qualificatifs comme "cheveux crépus" ou "type africain"...

Le Conseil d’État n’est pas non plus très à l’aise puisqu’il a rendu, mi-février, un avis plutôt critique, en demandant que les décisions de relaxe, non-lieu, classement sans suite ou acquittement soient notifiées au STIC. À l’origine elles n’y figuraient même pas. Tous coupables, même les innocents.

Le Conseil s’est aussi inquiété de l’usage du fichier dans le cadre d’enquêtes " sur des personnes dont le comportement est susceptible de créer des dangers pour autrui ". Une terminologie suffisamment barbotante pour pouvoir y inclure n’importe quel gêneur. Désormais, le procureur de la République devrait être consulté. Un vœu pieux, compte tenu de l’engorgement de la justice.

Même certains flics, qui devraient pourtant piaffer devant un si beau joujou, se méfient. Le SGP ( Syndicat général de la police ) qualifie le STIC de système " un tantinet Big Brother " et redoute que celui-ci soit " utilisé à des fins politiques ".

Malgré tout, ce projet chéri des ministères de l’Intérieur est maintenu. Mieux, il fonctionne déjà, officieusement. En 1997, il regroupait près de 400 000 noms. Et, malgré les précautions, toutes les dérives sont possibles. Comme le précise Alain Weber, de la Ligue des droits de l’Homme, le STIC est " un fichier scélérat qui n’a qu’une seule finalité, rendre les gens suspects ". Et de conclure qu’on se dirige ainsi " vers une société de type policier ". Tous fichés. Tous "sticqués".

Anne Kerloc’h


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