l’agresseur était-il de type “africain”, “nord-africain”, “gitan”... ?


article de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : vendredi 29 octobre 2010
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Dans son édition du jour, La Marseillaise présente un document intitulé « Restons acteurs de la sûreté » que la SNCF diffusait jusqu’à hier auprès de ses agents de Marseille pour qu’ils fassent remonter à la police ferroviaire des informations sur les auteurs d’agressions dans les trains. Ce modèle de fiche de signalement serait « déjà utilisé entre le Service interdépartemental de sécurisation des transports en commun [ SISTC ] et la Régie des transports de Marseille ». Dans le descriptif à remplir par le contrôleur de la SNCF, une rubrique réservée au « type » de l’individu propose à la victime d’identifier son agresseur parmi sept faciès géographico-ethniques : « Européen », « Africain », « Nord Africain », « Asiatique », « Latino-Américain », « Gitan » et « Pays l’Est » – une classification évoquant le Stic-Canonge.

Suite à des protestations syndicales dénonçant un fichage ethnique, la direction régionale de la SNCF en Provence-Côte d’Azur déclare avoir retiré ce document mercredi 27 octobre.

Reste à déterminer si ce type de signalement continue à être utilisé par les patrouilles de la police ferroviaire – le SISTC – qui travaillent depuis plusieurs années dans les gares et dans l’ensemble du réseau ferré de la région Paca, ainsi que dans le métro marseillais.

[Mis en ligne le 28 octobre 2010, mis à jour le 29]



L’agresseur était de type… « Gitan » ?

par David Coquille, La Marseillaise, 28 octobre 2010


Dans le descriptif à remplir par le contrôleur de la SNCF, une colonne est réservée au "type" de l’individu. Des contrôleurs refusent la nouvelle fiche anthropo-ethnique.

La direction de la SNCF diffuse depuis une semaine aux contrôleurs de train de Marseille des exemplaires d’un nouveau « modèle de fiche de signalement » d’agressions ou de plaintes qui recueillent des données à caractère ethnique.
Intitulé « Restons acteur de la sûreté », le document présenté comme devant être rempli par « la victime ou le plaignant », est censé être joint au rapport « Sûreté » que rédige le contrôleur en cas d’incident à bord de sa rame.
La fiche n’est pas aussi anodine qu’elle se veut puisque pour rassurer ses agents, la SNCF a pris soin d’indiquer que ce formulaire est « déjà utilisé entre le SISTC (*) et la Régie des Transports Marseillais » et qu’il vise à « augmenter notre réactivité en faisant "remonter" rapidement les bonnes informations déclarées. »

Large palette exotique

La victime est invitée, pardon, doit « impérativement » donner son identité, son téléphone. Elle doit aussi préciser la nature et le lieu des faits puis procéder au verso à une « description du ou des auteurs. » Parmi les cases à cocher proposées, figurent la « taille », le « sexe » mais paradoxalement rien sur la fourchette d’âge de l’individu puisque le choix n’est proposé qu’entre « adulte » et « enfant ». Par contre là où le document s’enrichit c’est dans sa rubrique « Type » à large palette exotique puisqu’il est proposé à la victime d’identifier son agresseur parmi sept faciès géographico-ethniques : « Européen », « Africain », « Nord Africain », « Asiatique », « Latino-Américain », « Gitan » et « Pays l’Est ».

La récente polémique sur les reconduites ciblées de Roms et l’existence d’un fichier « Minorité ethnique non sédentarisée » de la Gendarmerie nationale ne semblent pas avoir servi pour rendre la direction de la SNCF bien imprudente de diffuser pareil document qui suscite déjà le tollé des syndicats. Ils s’inquiètent de ce contenu racial et du devenir de ce qu’il faut bien appeler des fiches.

Il n’est évidemment pas contestable qu’une victime fournisse un signalement précis sur l’apparence physique de son agresseur, mais il l’est davantage quand le support écrit paraît adosser à un traitement informatique des données récupérées utilisables à des fins statistiques dont la valeur scientifique serait parfaitement douteuse. Le formulaire précise en effet aux contrôleurs que « ces renseignements seront très précieux en opérationnel » pour la police ferroviaire (SUGE) et la Police nationale « mais également pour le suivi de l’enquête ».

Loi informatique et libertés

De quel suivi est-il question ? La loi française interdit non seulement le « traitement » de données à caractère ethnique mais il est bon de rajouter qu’elle en réprouve également la simple « collecte ». L’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés précise qu’ « il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. »

La CGT et le Syndicat Sud-Rail s’émeuvent de la diffusion du document et demande le retrait de la rubrique « Type ». « C’est tout simplement une honte », souligne Sud Rail dans un communiqué dans lequel il « demande à tous les cheminots de refuser de participer à ce genre de descriptions qui servent de paravent à la mise en œuvre de la politique antisociale du gouvernement. » De rappeler que « la mission de service public des cheminots consiste d’abord à assurer la sécurité des circulations et des usagers et non de concourir à des actes de stigmatisation des individus en fonction de leur "type" ! »

« C’est absurde et dangereux. Cela suggère qu’une origine ethnique conditionne la délinquance d’un individu. On glisse vers des thèses raciales et je n’aime pas çà », réagit un contrôleur qui n’en veut pas.

La RTM dément tout fichage « ethno-racial »

par David Coquille, La Marseillaise, 29 octobre 2010


La SNCF soutient que son profilage est une « coproduction entre différents acteurs du transport ».

Sans renier le document mais voulant étouffer une polémique nuisible à son image, la direction régionale de la SNCF a annoncé mercredi soir le retrait pur et simple de la fiche de signalement d’agression qu’elle avait distribuée vendredi dernier à ses contrôleurs marseillais et qui comportait une typologie ethno-raciale réservée à la police. « On ne souhaite pas polémiquer. Effectivement, cela pouvait porter à confusion mais l’essentiel, c’est que la fiche est retirée, qu’elle n’a pas été déployée et qu’elle visait une ligne ciblée spécifique et que peu d’agents étaient concernés », s’amendait l’entreprise.
Ce document, révélé mercredi sur le site Internet de La Marseillaise, se voulait une fiche de liaison entre les contrôleurs de la SCNF et les polices à la fois ferroviaire (SUGE) et nationale (SISTC). Il proposait - tâche d’ordinaire dévolue à un policier en dialogue avec la victime - de profiler l’auteur recherché d’une agression en adoptant 7 des 12 éléments de la gamme ethno-raciale en usage dans la police : « Européen », « Africain », « Nord-Africain », « Asiatique », « Latino-Américain », « Gitan » et « Pays l’Est ».

« En cohérence avec tous les acteurs »

Il prétendait répondre à la recrudescence d’agressions sur le TER Aix-Marseille. Dénonçant une « stigmatisation ethnique » explicite à tout le moins envers les « Gitans », Sud-Rail et la CGT avaient refusé de devenir les « auxiliaires » de la police pour un « comptage ethnique ».
Mais hier, c’est un autre front de protestation qui s’est ouvert venant de la Régie des Transports Marseillais, choquée d’être impliquée par la SNCF qui confirmait hier encore s’être inspiré de la grille RTM dans le cadre d’une « coproduction en cohérence avec tous les acteurs ferroviaires ». « Cette fiche, on ne l’a pas construite. Ces éléments, on nous les a donnés. On essaie de travailler ensemble avec différents acteurs… comme la RTM entre autres… », peinait la SNCF dans des explications anonymes et alambiquées, s’en voulant d’avoir mentionné la RTM pour faire adhérer ses agents à la méthode.

« La RTM ne cautionne pas »

« J’apporte un démenti total à ce qu’a écrit la SNCF. C’est inadmissible ! Ce matin, ils nous ont dit regretter », indiquait hier matin Pierre Durand, directeur d’exploitation à la RTM qui expliquait : « Notre grille, nous l’avons construite nous-mêmes : elle se limite au sexe, à la taille, à la couleur des cheveux et à la tenue vestimentaire. C’est tout. » Karim Zéribi, le président de la Régie démentait à son tour, se disant « très surpris », ne comprenant pas : « Notre entreprise n’a rien à voir avec ce genre de fiche et ne cautionne pas la définition des origines ethniques. Que d’autres ouvrent la boite de Pandore pour recueillir des données ethniques... Des instances comme la Cnil [1] doivent indiquer la position sur ces signalements. La déontologie républicaine suffit à se prononcer. Il est dangereux de renvoyer les gens à leur origine. Le témoignage oral d’une victime suffit. On cherche quoi avec des critères écrits préétablis ? Des fiches qu’on conserve pour faire une étude ethnicisante ? Est-ce que ça va faire reculer la délinquance ? Je ne le crois pas. »

Contredisant la SNCF, une haute source policière qui requérait l’anonymat (décidément), indiquait que « cette fiche classique de signalement à usage policier » avait été conçue « à la demande de la SNCF » et qu’on « utilisait à la RTM aussi bien qu’à la RATP », cela dans un « cadre légal » qui permet un partage d’informations et de fichiers.

« Tous les faits de Roumains doivent être signalés »

En début d’année à Toulouse, une annonce dans le train avait déjà choqué : « On nous signale la présence suspecte de trois petites Gitanes dans le train. Nous vous demandons de faire très attention à vos bagages. » Plus tard, la SNCF pondait cette note : « Ces dernières semaines, des soucis ont été rencontrés avec des Roumains. En effet de nombreux vols de bagages ont été constatés. Nous vous demandons de redoubler de vigilance. Par ailleurs, tous les faits de Roumains doivent être signalés au PC national sûreté de la SNCF. » Devant le tollé syndical, la SNCF avait alors parlé d’« expression malheureuse » d’un responsable de l’entité contrôleurs en Midi-Pyrénées. Les lampistes, toujours.

Notes

[1Contactée depuis deux jours, la commission informatique et libertés ne nous a jamais rappelé.


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