la lepénisation des esprits, par Alain Gresh


article de la rubrique extrême droite
date de publication : mercredi 7 mars 2007
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Vous trouverez ci-dessous trois extraits du blog d’Alain Gresh où ce dernier montre qu’il n’est pas nécessaire d’être membre du Front national pour défendre des idées parallèles à celles de l’extrême droite.


La lepénisation des esprits [1]

Jusqu’au début des années 1990, certaines thèses sur l’islam et les musulmans étaient défendues avant tout par le Front national (FN). C’est ce que nous rappelle fort opportunément Face au racisme, La Découverte, 1991, un ouvrage publié en 1991 et dirigé par Pierre-André Taguieff, converti depuis à l’idée d’une « menace islamiste ». Ses auteurs ont étudié l’argumentation xénophobe du Front national sur les principaux thèmes : démographie, droits sociaux, école, emploi (« les immigrés prennent le travail des Français »), logement, sécurité (« les immigrés sont la cause principale de l’insécurité »). Ils consacrent un chapitre à l’islam, « une religion incompatible avec nos traditions culturelles », relevé des arguments du FN ou des déclarations de ses dirigeants. Les citations de textes du Front national sont en italique ; elles datent de la fin des années 1980 et sont devenues aujourd’hui des « lieux communs » dans les médias et chez nombre d’intellectuels. Les commentaires sont ceux des auteurs de Face au racisme.

Les six arguments du Front national

Argument n° 1 : La religion qui fait peur

« Religion conquérante dont les principes (la charia) s’imposent directement à la vie civile. En terre d’islam, les chrétiens sont systématiquement persécutés. » « L’attitude agressive et conquérante de l’islam […] fait virtuellement de tout “renégat” un condamné à mort, victime désignée d’un fanatique. »

COMMENTAIRE : « L’islam serait par nature, de toute éternité et partout, fanatique, conquérant, et générateur de terrorisme. […] La représentation unitaire, caricaturale et polémique de l’islam et des musulmans en France n’est pas seulement fausse : elle est dangereuse en ce qu’elle conforte l’image de l’islam que cherchent à imposer les islamistes eux-mêmes. » Par son choix des mots, le Front national cherche à présenter une certaine image : « La France qui est (ou sera demain) la proie facile, inconsciente et sans défense des intégristes. Deux à trois millions de fanatiques sont là, tapis dans l’ombre, qui n’attendent qu’une bonne occasion pour prendre le pouvoir, répandre le sang, changer les lois, les moeurs et le paysage français. […] Pour en arriver là, il suffit d’imposer subrepticement dans le discours la série d’équivalences suivante : travailleur immigré = Maghrébin = Arabe = musulman = intégriste sur le modèle iranien = fanatique et terroriste.

Argument n° 2 : La France future république islamique ?

Le Front national rapporte dans son matériel de propagande la déclaration de Hussein Moussawi, un des dirigeants du Hezbollah libanais, faite au Matin de Paris le 11 septembre 1986 : « La France, c’est sûr, deviendra une république islamique. »

Argument n° 3 : L’identité française menacée

« L’islam, qui représente déjà la deuxième religion en France […], menace notre identité. »

COMMENTAIRE : « La tant rebattue “perte de l’identité française” formule aussi avec discrétion la hantise lepénienne de la “substitution physique” d’une population (immigrée) à une autre (française, blanche et catholique). Le succès de l’“idée” se mesure à sa reprise généralisée, à sa répétition non critique seulement atténuée par sa transposition en “crise d’identité”. Le caractère mal défini de la formule s’y prêtait : toutes les inquiétudes amalgamées peuvent trouver leur écho et leur raison dans ce simulacre d’explication. Interrogations,angoisses, révoltes, renoncements et ressentiments : tout peut se perdre, et mal se dire, dans la “crise d’identité”. »

Et Taguieff explique : « Tandis que le système républicain reconnaît la légitimité des cultures minoritaires dans la sphère privée, le nationalisme de droite ne tolère pas leur existence, et interprète toutes les formes de culture minoritaires comme l’indice d’invasion, de destruction et de décomposition de l’identité nationale. Toute minorité est perçue comme corps étranger, organisme parasitaire et prédateur 5. »

Argument n° 3 bis

« Ce sont les étrangers musulmans qui veulent aujourd’hui imposer leurs coutumes : aujourd’hui, les mosquées et le port du foulard à l’école, demain la polygamie et la loi coranique pour le mariage, l’héritage et la vie civile. »

Argument n° 4

« L’islam est incompatible […] avec une vision laïque des rapports entre la religion et l’État. »

Argument n° 5 : L’islam incompatible avec le christianisme

« L’islam est incompatible […] avec une conception chrétienne du monde car les deux religions s’excluent mutuellement. »

COMMENTAIRE : « Le grief d’"incompatibilité” entre islam et christianisme se fonde en fait sur le rejet du principe de la laïcité de l’État ; il révèle la revendication implicite d’un État chrétien, et la nostalgie de la religion (catholique) d’État. »

Argument n° 6

« L’islam […] s’oppose à toute assimilation » et « menace notre identité, notre civilisation occidentale et chrétienne ».

L’affaire Redeker [2]

Les propos de Redeker témoignent qu’il n’est pas nécessaire d’être membre du Front national pour défendre des idées parallèles à celles de l’extrême droite.

Comme l’écrit Oliver Roy dans le dernier numéro de novembre d’Esprit, dans « Les illusions de l’affaire Redeker » :« (...) il faut que les règles soient claires : on ne peut distinguer un mauvais racisme (l’antisémitisme de Dieudonné) d’un bon comme celui de Redeker. Car il faut le dire : le texte de Redeker est raciste. Lorsqu’un professeur de philosophie aligne les deux prémisses suivantes : - 1) Le Coran est haineux et violent, - 2) tout musulman est éduqué dans le Coran (« Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué »), il sait très bien que la nécessaire conclusion du syllogisme, qu’il se garde de dire explicitement, est : tout musulman est enclin à la haine et à la violence. Tous, y compris ceux qui ne croient plus (puisque ils ont de toute façon été éduqués ainsi). Redeker utilise le mot musulman comme d’autres le mot juif où l’on fait semblant de ne parler que de religion alors que l’on vise bien la généalogie même de la personne. »

La campagne présidentielle [3]

La campagne présidentielle est propice à toutes les dérives, et on ne peut douter que les musulmans et l’islam seront un argument « vendeur » pour mobiliser l’électorat. On a déjà vu Nicolas Sarkozy évoquer les musulmans qui égorgeaient les moutons dans les baignoires [4]
 ; Philippe de Villiers parler des 70 000 mariages forcés en France (quelques jours plus tard il parlait de 120 000 mariages forcés) [5]. Nul doute que cette surenchère ne s’arrêtera pas et que la lepénisation des esprits fera quelques progrès.

Dans un entretien accordé à Libération le 19 février, Erwan Lecoeur, sociologue, qui a coordonné un livre à paraître le 6 mars, Dictionnaire de l’extrême droite (Larousse), explique que les adversaires de Le Pen se servent du même vocabulaire que lui : « La lepénisation a toujours fonctionné par insertion progressive d’un champ d’idiomes inventés par Le Pen. Or, quand on reprend le vocabulaire de Le Pen, on court le risque de faire entrer dans un discours majoritaire quelque chose qui demeurerait minoritaire. Sarkozy le fait ouvertement, Royal d’une autre manière quand elle parle de "centres fermés" pour les primo-délinquants avec "encadrement militaire". Ces éléments de langages peuvent servir à la "lepénisation des esprits". D’autant qu’un nouveau clivage s’installe, celui qui oppose "eux" et "nous". On le voit dans les "groupes quali" de nos travaux. A propos de l’immigration, soit les gens se lâchent violemment, soit ils refusent d’évoquer le sujet. La lepénisation sémantique de la société va de pair avec l’ethnicisation du social. »

On peut se demander si ces prises de position des responsables politiques sont en accord avec celles de l’opinion. La BBC vient de publier un sondage réalisé dans 27 pays du monde, musulmans et non musulmans, qui indique que 52% des personnes interrogées pensent que ce sont des problèmes de pouvoir et de rivalités politiques qui créent des tensions entre l’Occident et l’islam ; seuls 29% pensent que ce sont les différences religieuses et culturelles. En France, ces pourcentages sont respectivement de 56% et de 29%.

Alain Gresh

Notes

[1Extrait du blog d’Alain Gresh, à la date du 2 octobre 2006.}

[2Extrait du blog en date du 15 novembre 2006.

[3Extrait du blog en date du 21 février 2007.

[4[Note de LDH-Toulon] - « …quand on habite en France on respecte ses règles c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement et on respecte les règles de la République… » (Nicolas Sarkozy, TF1, lundi 5 février 2007.)

[5[Note de LDH-Toulon] - Le site de l’Insee donne 270 000 mariages par an en France. Il y aurait donc un mariage sur quatre qui serait un mariage forcé ? Plus que bizarre, incroyable.
Pour aller plus loin sur le sujet, on peut consulter les deux pages suivantes sur le site Pénombre http://penombre.assoc.free.fr/publi... et http://penombre.assoc.free.fr/publi....


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