des conneries de jeunes... militants d’Occident


article de la rubrique extrême droite
date de publication : mercredi 26 février 2014
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C’est une connerie de jeunes voilà tout », déclare Thierry Mariani candidat UMP aux régionales en PACA à propos des frasques de jeunesse d’Alain Madelin et Patrick Devedjian, « Qui n’a jamais volé un paquet de bonbons ? [1].

Nous reprenons ci-dessous le compte-rendu paru le 11 novembre 1965 dans Nice-Matin  [2] de l’audience du tribunal de Draguignan qui a jugé ces faits. Cet article évoquant des « activités politiques » qui auraient entraîné les deux prévenus «  sur la voie de la délinquance », nous le faisons suivre d’un rappel de ce que fut le groupe Occident.

On ne sait si Patrick Devedjian et Alain Madelin seraient aujourd’hui repérés comme enfants à risque, mais les « conneries » de leurs jeunes années ne les auront pas empêchés de réaliser une brillante carrière politique au sein d’une droite qui n’a cessé d’exploiter le thème de l’insécurité. Patrick Devedjian est ministre d’un gouvernement qui fiche tout le monde y compris les enfants et dont un autre membre vient d’instaurer le « couvre feu » pour les mineurs de moins de treize ans.

Il y a 44 ans, le bâtonnier Guillaume Barles qui assurait la défense des deux jeunes délinquants avait su rappeler que «  la justice devait, d’une façon humaine, envisager toute chose », avant de faire valoir « que l’on jugeait des enfants plutôt que des hommes faits ».

[Mis en ligne le 8 décembre 2009, mis à jour (Cl. Goasguen) le 26 février 2014]



AU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE DRAGUIGNAN

[Nice-Matin, jeudi 11 novembre 1965]


L’audience correctionnelle du tribunal de grande instance s’est tenue hier, sous la présidence de M. Bérard, vice-président du tribunal de grande instance, assisté par Mlle Risterucci et M. Beauvillain de Montreuil, juges. M. Nalbert, substitut du procureur de la République, occupait le siège du ministère public. Les fonctions de greffier étaient assurées par M. Delvaux et celles d’appariteur audiencier par M. Pierre Rigaud.

Lamentable équipée de deux étudiants

Patrick-Roland Devedjian, âgé de 21 ans, et Alain-Louis Madelin, 19 ans, demeurant tous deux dans l’agglomération parisienne, sont étudiants en droit et appartiennent à des familles aisées. Or, ils ont été surpris, dans la nuit du 5 au 6 août dernier, alors qu’ils tentaient de s’approprier l’essence contenue dans le réservoir d’une automobile en stationnement. Le propriétaire de la voiture, M. Voli, maire de la localité, intervenait ; les deux jeunes gens prirent la fuite, mais l’un d’eux, Madelin, put être appréhendé. Quant à Devedjian, il devait être rattrapé le lendemain matin par les gendarmes et, les pieds en sang à la suite de son escapade nocturne, il demandait à être conduit jusqu’à son propre bateau ancré dans le port de Cavalaire.

Dans cet esquif, les gendarmes découvrirent des cartes grises et des permis de conduire provenant de divers véhicules qui s’avérèrent avoir été volés, l’un le 19 juillet à La Réole (Gironde), l’autre le 23 juillet à Villefranche-de-Lauraguais, et une troisième dans la nuit du 1er au 2 août, à Saint-Cyr-sur-Mer.

Interrogés sur la provenance des documents ainsi découverts, Devedjian et Madelin opposèrent tout d’abord d’impossibles dénégations et même des allégations fantaisistes : Devedjian fit même état d’un personnage nommé Gérard, que tous deux auraient connu dans des réunions d’un groupement politique et qui, les ayant rencontrés au Lavandou, leur avait confié le véhicule dont ils se servaient, de même qu’un pistolet qui avait également été trouvé dans le bateau de Devedjian.

Ce n’est qu’après de multiples interrogatoires que les deux étudiants en rupture de ban se décidèrent enfin à reconnaître les faits, non sans s’être auparavant montrés arrogants et insolents à souhait.

Aucun des deux n’a d’antécédents judiciaires et les renseignements fournis sur leur compte sont bons. Il semble cependant que ce soient leurs activités politiques qui les aient entraînés sur la voie de la délinquance. Ils avalent quitté Paris avec une cinquantaine de mille francs chacun et leurs familles leur avaient envoyé de l’argent.

De toutes façons, leurs inconséquences les amenaient hier au banc des accusés, sous la prévention de vol d’essence, de voitures et de divers objets, d’usage de fausses plaques d’immatriculation et de détention d’une arme de la quatrième catégorie.

Dans une véhémente apostrophe, le substitut Nalbert stigmatisa cette attitude de jeunes gens à qui la vie ne refuse pas grand-chose et qui se sont livrés à des malhonnêtetés extravagantes, n’hésitant pas, pour s’excuser, à se moquer de la justice.

C’est pourquoi l’avocat général réclama une sanction sévère. Il appartenait au bâtonnier Guillaume Barles de prendre la défense des deux jeunes délinquants. Il le fit avec un extrême doigté, faisant valoir que l’on jugeait des enfants plutôt que des hommes faits. Après avoir rappelé que la justice devait, d’une façon humaine, envisager
toute chose, le défenseur appela sur ses jeunes clients la compréhension du tribunal.

Celui-ci, après une courte délibération, rapporta un jugement aux termes duquel Devedjian et Madelin s’entendirent condamner chacun à un an de prison avec sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans.

Présentation d’un livre  [3]

Quarante ans après, les anciens d’Occident revisitent leur passé

par Gérard Davet et Philippe Ridet, Le Monde du 13 février 2005 [extraits]


Patrick Devedjian, Gérard Longuet, Alain Madelin : ils militaient dans les groupuscules d’extrême droite des années 1960 et faisaient le coup de poing dans les manifestations. Devenus ministres ou députés, ils ne renient rien mais imputent à leur jeunesse le radicalisme de leur engagement.

Ils sont ou ont été ministres, chefs de parti, fonctionnaires, députés, membres de cabinets ministériels... ils sont responsables de journaux ou d’agences de communication. Dans les ANNÉES 1960, ils avaient 20 ans et militaient au sein du mouvement d’extrême droite Occident, créé en 1964 et dissous en 1968. C’est l’itinéraire de Patrick Devedjian, Alain Madelin, Hervé Novelli, Claude Goasguen, Anne Méaux, entre autres, que retrace le journaliste et écrivain Frédéric Charpier dans son livre Génération Occident. Aujourd’hui, sans renier leur passé, ils cherchent à le minimiser. « J’étais jeune », plaide Hervé Novelli, « Je me suis trompé (...) mais je n’ai cautionné aucun crime », déclare M. Devedjian. D’autres, comme Alain Madelin, préfèrent ne pas en parler et estime que leur histoire « reste à écrire ».

Sur cette photo, c’est leur jeunesse qui frappe, et ce parfum d’années 1960 : les lunettes noires et la gabardine claire de Patrick Devedjian, le sourire juvénile et carnassier d’Alain Madelin. A l’arrière-plan, les comparses anonymes. Le document orne la couverture de Génération Occident (Seuil), livre enquête sur l’histoire et les membres de ce mouvement d’extrême droite, créé en 1964 et dissous en 1968.

Aujourd’hui, sans rien renier de leur passé, ils cherchent pourtant à le minimiser. « C’était un moment de notre vie », explique Alain Robert, un proche du député (UMP) Robert Pandraud. « J’étais jeune », plaide le député (UMP) Hervé Novelli. « Nous étions jeunes et libres, se remémore le sénateur (UMP) Gérard Longuet. Il s’agissait là de rites initiatiques de jeunes gens, un folklore d’aspect paramilitaire. » D’autres, comme le député (UMP) Alain Madelin, préfèrent ne plus évoquer cette période. « Je n’ai pas encore lu ce livre, j’ai d’autres activités  », lâche- t-il. Lassitude de devoir se justifier ? « Dès qu’on parle de ça, on assemble des ragots et des historiettes invérifiables. Notre histoire reste à écrire », explique un ancien membre du parti d’extrême droite.

Mais le mythe lui est installé. Alors que l’extrême gauche affiche ses élans révolutionnaires et sa générosité, les militants d’Occident sont du côté des manches de pioche et des discours racistes. Infréquentables. [...]

Il y eut donc Occident et la Corpo de droit, mais aussi le GUD (Groupe union droit) du député (UMP) Bernard Carayon. Ou encore le GAJ (Groupe action jeunesse), dont se réclamait l’actuel secrétaire d’Etat à l’aménagement du territoire, Frédéric de Saint-Sernin. Autant de structures étroitement liées, ou issues les unes des autres. Un vrai creuset de l’extrême droite, où l’on relève également les noms de François d’Orcival, l’un des responsables de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, ou d’Anne Méaux, ancienne attachée de presse de Valéry Giscard d’Estaing et patronne d’Image 7, l’agence de communication du gotha de la politique et des affaires.

« C’est fantastique, s’énerve Alain Robert, inspirateur d’Occident, puis du GUD. Quand on parle de l’extrême gauche, tout est sympa. Mais dès qu’on parle de l’extrême droite, c’est violence et barres de fer. Nous n’aurions été que des adorateurs de Mussolini et de Goebbels, alors que les gauchistes vénéraient Beria ! »

L’affaire est moins manichéenne qu’il n’y paraît. Occident, c’est avant tout l’alliance d’anticommunistes primaires et de colonialistes forcenés, sur fond de défoulement physique. Sous l’influence de Pierre Sidos, un ancien du mouvement franciste, maître à penser de la mouvance nationaliste, financé par Hubert Lambert, le magnat du béton qui allait rendre riche Jean-Marie Le Pen quelques années plus tard, Occident naît en 1964.

« TUEZ LES COMMUNISTES »

Le programme prévoit de bannir le « suffrage universel », mais aussi de combattre « les ennemis de l’intérieur », à savoir « les puissances financières », la franc-maçonnerie ou les « métèques ». On y tient des conversations racistes, dans les arrière-salles des cafés, avant d’aller « taper sur le bolchevique ». L’actuel ministre délégué à l’industrie, Patrick Devedjian, recruté en 1963 à 17 ans, y côtoie M. Longuet et M. Madelin, surnommé « Mado ». Leurs slogans ne font pas dans la nuance : « Tuez tous les communistes où ils se trouvent ! » « Si on ne portait pas une parka avec 253 badges de Mao, on se faisait agresser physiquement, assure William Abitbol, ancien député européen (1999- 2004) proche de Charles Pasqua. On s’est beaucoup fritté, j’appelle ça mes années de gymnastique. »

Occident trouve sa triste apogée avec le raid sur le campus de la faculté de Rouen, en janvier 1967. Une dizaine de jeunes gauchistes y sont sérieusement blessés. Une affaire qui vaudra la prison, puis une condamnation judiciaire, à M. Devedjian, M. Longuet et M. Madelin. Progressivement, ces trois-là s’éloignent d’Occident, qui est dissous en 1968. Ils laisseront derrière eux la droite extrême, pour se fondre, pour les uns, dans un libéralisme mâtiné de giscardisme, pour les autres, dans un étatisme à la mode gaulliste. [...]

Gérard Davet et Philippe Ridet


P.-S.

Claude Goasguen [Ajouté le 26 février 2014]  [4]

Le député UMP Claude Goasguen est souvent présenté comme un ancien membre d’Occident. Dans le livre Génération Occident, Frédéric Charpier, qui a eu accès aux fichiers des renseignements généraux de l’époque, le présente comme « l’un des hommes qui comptent à Occident ».

Interrogé mardi 25 février 2014 sur une éventuelle dissolution des black blocs, hostiles aux institutions et mis en cause dans les débordements samedi 22 février [à Nantes], Manuel Valls a renvoyé le député de Paris, Claude Goasguen, à son passé d’extrême droite : « Monsieur Goasguen, vous en venez, de l’extrême droite, vous savez ce qu’il en est. »

Claude Goasguen a réfuté cette appartenance dans les couloirs de l’Assemblée [le 25 février 2014], reconnaissant seulement avoir soutenu le candidat d’extrême droite de l’époque, Jean-Louis Tixier-Vignancour : «  Je n’ai jamais été membre d’Occident, contrairement à des proches comme Alain Madelin, Gérard Longuet, Patrick Devedjian, mais président de la corpo d’Assas [syndicat étudiant de droite]. […] Etant alors partisan de l’Algérie française, j’ai soutenu Jean-Louis Tixier-Vignancour [candidat d’extrême droite à la présidentielle de 1965]. Mais tous ceux qui défendaient l’Algérie française n’avaient pas une démarche d’extrême droite. M. Valls perd les pédales ! »

Selon un article publié sur le site des Inrocks, Claude Goasguen aurait appartenu Ordre nouveau.

Notes

[1Référence : « Buzz autour de l’été varois agité de Devedjian et Madelin en 1965 », Var Matin du 5 décembre 2009.

[2Cet article confirme, s’il en était besoin, cette autre page de ce site : en 1965, deux jeunes dévoyés en vacances ....

Une photocopie de l’article d’origine est disponible sur le site de Cuverville.

[3Frédéric Charpier, Génération Occident : De l’extrême droite à la droite, éd. Seuil, janvier 2005, 22 €.

[4Référence : Le Monde, 25 et 26 février 2014.