Nice : deux crocodiles mâles dans le même marigot


article de la rubrique extrême droite
date de publication : samedi 10 novembre 2007
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Comme prévu, c’est Christian Estrosi, président du Conseil général des Alpes-maritimes et fidèle de Nicolas Sarkozy, qui bénéficie de l’investiture UMP pour les prochaines élections municipales à Nice. On attendait la décision de Jacques Peyrat ; le sénateur-maire sortant a répondu hier : « je demeure candidat à un troisième mandat à la mairie de Nice ».
Finira-t-il par renoncer en échange de l’assurance d’un nouveau mandat de sénateur ? ...

Christian Estrosi, Jacques Peyrat — fidèle admirateur de Jacques Médecin — ... cela mérite quelques rappels [1].


« Il n’y a pas place pour deux crocodiles mâles dans le même marigot » [Proverbe africain attribué à Jacques Chirac qui visait Valéry Giscard d’ Estaing.]

Estrosi vire Peyrat de Nice avec perte et fracas

par Philippe Jerôme L’Humanité, 25 octobre 2007

Le ministre ultrasarkozyste a déclaré sa candidature à la mairie tout en démolissant la politique du sénateur et maire sortant UMP.

« Un présent chaotique, […] un quotidien où l’on vit mal, […] Nice est une ville qui se cherche, une ville qui se perd… » Dans un vaste salon du palais Acropolis, devant deux mille de ses supporters et un carré VIP où se pressaient nombre d’élus de droite y compris colistiers du maire sortant qui commencent à quitter le navire, le ministre de l’Outre-Mer, Christian Estrosi, dressait dimanche un portrait au vitriol de la capitale de la Côte d’Azur, administrée depuis maintenant douze ans par l’ancien leader local du FN Jacques Peyrat que la droite avait accueilli à bras ouverts en 1997. « Bruit, insécurité, absence de propreté, pollution, manque d’équipements sportifs et culturels, de crèches, traumatismes liés à la réalisation de chantiers…  », rien ne trouvait grâce à ses yeux.

Mais le patron départemental de l’UMP, qui dit avoir « des liens charnels avec (sa) ville  », estime aussi que Nice entretient « l’espérance d’une rupture ». Rupture avec la politique municipale actuelle. Rupture aussi avec l’image que Nice a pu donner ces dernières années. « Je ne veux plus que nous fassions la une de la rubrique des faits-divers ! », s’est exclamé Christian Estrosi, multipliant par ailleurs les appels du pied aux Niçois, notamment juifs et musulmans, « qui ne prient pas comme moi  », maltraités par l’ex-frontiste Peyrat. Rupture aussi mais est-elle sincère ?) avec son propre passé politique, celui du benjamin du conseil municipal sur la liste Médecin qui n’avait rien trouvé à dire du jumelage Nice-Le Cap à l’époque de l’apartheid ou de la tenue à Nice d’un congrès du FN ayant pour invité d’honneur le SS Schöenuberg. [...]

Philippe Jerôme

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Le maire sortant, 76 ans, s’accroche malgré la candidature du ministre

par Michel Henry, Libération, le 26 octobre 2007

Candidat déclaré à la mairie de Nice, en route vers un triomphe attendu face à une gauche en pleine déliquescence, le secrétaire d’Etat (UMP) à l’Outre-Mer, Christian Estrosi, n’a plus qu’un souci : l’actuel occupant des lieux. Après deux mandats consécutifs, Jacques Peyrat (UMP, ex-FN), rêve de se représenter, car il se sent toujours vert, malgré ses 76 ans. Peyrat est seul, mais il résiste, au point que Nicolas Sarkozy le reçoit aujourd’hui à l’Elysée, dans l’espoir de lui faire rendre les armes.

En bon avocat, l’ancien para plaidera une cause perdue : la sienne. « On ne me dira pas “cou-couche panier” », avait-il indiqué, bravache, à Nice-Matin, début octobre. Ajoutant : « Ceux qui pensent que je vais négocier ma sortie contre mon renouvellement au Sénat se trompent. » Mourir sabre au clair, pour l’honneur ? « C’est un soldat, dit-on dans son entourage. Ce n’est pas le genre de combat qui lui fait peur. » Osera-t-il ? Lui seul le sait. « Il paraît qu’on veut ma peau. Il faudra venir la prendre », avait-il lancé, en septembre.

Epouvantail. Au moins, son baroud insuffle un peu de suspense. Parce que sinon l’équation se résume à cela : Estrosi va-t-il gagner au premier tour ? Seul Peyrat, peut-être, pourrait l’en empêcher... Ce qui ne serait pas pour lui déplaire. Mais, à Nice, le paysage a changé. Il fut un temps où la gauche montait. En 2001, avec Patrick Mottard comme tête de liste, elle talonnait Peyrat de 3 500 voix, à peine deux points de retard. Et elle gagnait la moitié des cantons sur la ville grâce, notamment, à l’effet repoussoir du maire : entre son caractère autoritaire, ses idées restées au FN et les affaires judiciaires entourant l’hôtel de ville, il y avait de quoi nourrir le moulin du PS. Hélas pour la gauche, Peyrat ne peut plus servir d’épouvantail. Même s’il se présente, il risque de ne pas aller bien loin.

Privée de son meilleur argument, la gauche en rajoute, jouant suicide mode d’emploi. Prenez deux Patrick, jetez-les l’un contre l’autre, et vous faites rigoler toute la droite. Patrick Allemand est la tête de liste officielle du PS ; Patrick Mottard, qui se voyait en « candidat naturel, légitime », part en dissidence. C’est la guerre des deux Patrick, où plus rien ne compte que le désir d’éliminer l’autre. Chaque Patrick sait où ça finira : dans le mur. Pour gagner, dans une ville où « le rapport droite-gauche, c’est deux tiers-un tiers », comme le rappelle Mottard, se diviser, c’est perdre, et c’est la tactique de la gauche.

Pourtant, elle aurait des arguments à faire valoir, face à Estrosi. A 52 ans, l’ancien champion moto qui suce la roue de Sarkozy se campe en candidat de « la rupture », après les années Peyrat. Pour donner corps au « changement », Estrosi décrit « une ville qui s’est perdue », qui vit « l’espérance du sursaut, du renouveau », et rêverait d’un maire « ouvert aux autres, à la différence, à ceux qui ne pensent pas comme lui » : l’anti-Peyrat.

Il y a là de l’entourloupe. Car Estrosi a toujours soutenu Peyrat. Et le système qu’il dénonce, il y est né, y a été élu, pour la première fois avec Jacques Médecin en 1983, et l’a ensuite porté. « Estrosi, c’est le candidat du système ! martèle Allemand. Le système a peur que Peyrat ne soit pas en capacité de garder la ville. Donc, il considère Estrosi comme le sauveur. » Tous les élus UMP lui ont d’ailleurs sauté dans les bras.

Autre crainte, émise par Patrick Mottard : le « verrouillage ». « Tout contrôler, retourner au système Médecin, placer un homme de paille au conseil général », qu’Estrosi préside et qu’il serait contraint de quitter. Proche du secrétaire d’Etat, le député (UMP) Eric Ciotti rétorque : « Si les électeurs donnent les responsabilités à Christian Estrosi, c’est de la démocratie, pas du verrouillage. »

Eric Ciotti réfute aussi les critiques sur un futur cumul des mandats de maire et de secrétaire d’Etat : « Ce dont souffre Nice, depuis Médecin, c’est d’être coupée des cercles de décision nationaux. Il faut faire retourner Nice dans la communauté nationale. Tous les grands maires ont cumulé des responsabilités nationales. »

Reddition. A cinq mois du scrutin, la droite est tonitruante. « Rien ne peut entraver la marche de Christian Estrosi ! assure la députée UMP Muriel Marland-Militello. Surtout que sa candidature freine l’ambition d’un tas de gens à droite. » Le centriste Rudy Salles est prêt à remballer sa propre candidature : « Nos électeurs ne comprendraient pas qu’on s’affronte », dit le député du Nouveau Centre qui, comme prix de sa reddition, négocie la future présidence de la communauté urbaine. Il ne reste plus qu’à convaincre Peyrat. C’est le boulot de Nicolas…

Michel Henry

Christian Estrosi

  • Député des Alpes-Maritimes de juin 88 à décembre 1993, puis de juin 1997 à juillet 2005.
  • 2 juin 2005 - 15 mai 2007 : Ministre délégué à l’aménagement du territoire du gouvernement Dominique de Villepin.
  • 19 juin 2007 : Secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer auprès du Ministère de l’Intérieur dans le gouvernement François Fillon II.
  • Depuis le 18 septembre 2003, il préside le Conseil général des Alpes-Maritimes.

Christian Estrosi est un farouche défenseur de l’œuvre positive de la France coloniale, il aimerait ficher les empreintes génétiques de tous les enfants à la naissance, il n’aime pas les membres du Syndicat de la magistrature, ni les gens du voyage, il ne laissera pas construire de mosquées — pas plus que Jacques Peyrat ...

Jacques Peyrat

L’itinéraire politique de Jacques Peyrat est aussi sinueux que celui de Jacques Médecin : il passe du Rassemblement du Peuple Français (RPF) de De Gaulle au CNI puis au RI (futur UDF) de Giscard, et au FN. Il démissionne du FN en 1994 :
« J’en ai assez que nous jouions les éternels Poulidor, il n’y a pas d’autres solutions pour emporter la mairie de Nice que de mettre son étiquette FN dans sa poche. J’espère que J.M Le Pen comprendra qu’en proposant aujourd’hui une autre forme d’action politique au niveau local, je ne fais que tracer le chemin qui nous permettra à terme de ne plus être diabolisés. L’efficacité politique doit primer sur tout le reste » [2]. Mais cela dans la fidélité à ses idées : « Je n’ai pas changé d’un iota et je continue de partager l’essentiel des valeurs nationales du parti de J.M Le Pen. » [3].

Il est élu maire de Nice, en 1995, sous l’étiquette "Divers Droite", . Et en 1996, « dans le respect de ses propres valeurs », il adhère au RPR, qui devient UMP et lui permet d’être élu sénateur en 1998...

Depuis son élection, Jacques Peyrat n’a jamais manqué une occasion de faire référence à son illustre prédécesseur, allant jusqu’à faire financer par le contribuable les obsèques de celui-ci (délibération du 20 novembre 1998).

Le 31 mars 2004, Jacques Peyrat avait fait voté par son conseil municipal une délibération débaptisant l’actuel forum Masséna pour le transformer en « Espace Jacques Médecin ». Le tribunal administratif de Nice a annulé cette délibération le 24 mars 2006. Les juges ont donné raison au préfet des Alpes-Maritimes qui demandait son annulation en soutenant que cette délibération était « entachée d’erreur manifeste d’appréciation », en raison des condamnations pénales pour ingérence, corruption passive et recel d’abus de biens sociaux prononcées à l’encontre de l’ancien maire de Nice de 1966 à 1990, décédé en 1998 [4].

Jacques Médecin [5]

Jacques Médecin a été élu maire de Nice en février 1966, puis député des Alpes-Maritimes en 1967. Il sera député pendant vingt ans, sous les étiquettes successives de Réformateur, Républicain indépendant, Parti républicain, RPR, avant d’opter finalement pour le CNI... Il se définissait comme « un homme de droite et qui ose le dire  ». Secrétaire d’Etat au tourisme de 1976 à 1977, dans le gouvernement de Jacques Chirac, puis secrétaire d’Etat auprès du ministre de la culture et de l’environnement de 1977 à 1978, dans celui de Raymond Barre.

Maire pendant vingt-quatre ans, président du conseil général à partir du mois d’octobre 1973, Jacques Médecin regroupe entre ses mains tous les pouvoirs locaux. Il tisse son réseau « médeciniste » autour d’associations, de clubs, de comités de quartier ; il lance, fin 1981, la puissante association des Amis du maire pour servir de relais d’opinion, collecter des fonds, etc. Il met sur pied un formidable appareil électoral comprenant, en permanence, trois cents agents [6].

Les premières accusations concernant ses affaires aux Etats-Unis commencent en 1985, de même que ses premiers ennuis avec le fisc. Jacques Médecin est inculpé de délit d’ingérence en novembre 1989. En septembre 1990, il démissionne de son mandat de maire et fuit la ville de Nice pour « ne pas laisser à ses ennemis socialistes la satisfaction de le couler ». Mais, en novembre 1994, sous le coup de trois mandats d’arrêt internationaux pour recel d’abus de biens sociaux et corruption passive, abus de confiance et délit d’ingérence dans des affaires paramunicipales, il est extradé d’Uruguay, pour comparaître devant la justice française. En 1995, le tribunal correctionnel de Grenoble le condamne à des peines confondues de deux ans de prison. Jacques Médecin effectue vingt et un mois d’incarcération en Uruguay et en France, avant de rejoindre à nouveau l’Amérique latine, début 1996.

En janvier 1996, il quitte le sol français, pour éviter d’être rattrapé par d’autres affaires. Le 31 mars 1998, Jacques Médecin est condamné par défaut à deux ans de prison assortis d’un mandat d’arrêt par le tribunal correctionnel de Grenoble pour fraude fiscale. Il meurt en Uruguay le 17 novembre 1998.

P.-S.

Une question reste posée : en cas de succès de Christian Estrozy, y aura-t-il création d’un poste d’adjoint à l’Identité à Nice ? à qui sera-t-il attribué ? Vous en saurez plus, en consultant cette page http://groupenadatoulon.lautre.net/....

Notes

[1Et un site militant à visiter http://ademonice.free.fr/.

[2Déclaration à Minute en 1994.

[3Déclaration à Nice-Matin en septembre 1994.

[4Voir, sur ce site : article 1244.

[5Extraits de la biographie publié par Le Monde, le 19 nov 1998.

[6En dehors de sa ville, ses "écarts de langage" lui causent du tort. En 1974, il compare le programme commun de la gauche à Mein Kampf... Il rêve de transformer Nice en « Las Vegas européen » avec son ami Jean-Dominique Fratoni, un empereur des casinos.


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