une rumeur contre le programme “ABCD de l’égalité”


article communiqué de la LDH  de la rubrique extrême droite
date de publication : jeudi 30 janvier 2014
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Un appel au boycott a entraîné un absentéisme inhabituel dans une centaine d’écoles. Lancé par une nébuleuse d’organisations d’extrême droite, ce mouvement de protestation visait un prétendu enseignement de la “théorie du genre”. La Ligue des droits de l’Homme dénonce l’amalgame avec le programme de l’Éducation nationale baptisé « ABCD de l’égalité », dont l’objectif est de lutter dès l’école contre les inégalités filles-garçons.


Qu’est-ce que l’ABCD de l’égalité ?
La transmission des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, est une des missions essentielles de l’école. Pourtant, en pratique, les inégalités de réussite scolaire et d’orientation demeurent. L’ambition du programme « ABCD de l’égalité » est de lutter contre celles-ci en agissant sur les représentations des élèves et les pratiques des acteurs de l’éducation.
En savoir plus : http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalit...


Communiqué LDH

Paris, le 29 janvier 2014

Face aux mensonges de l’extrême droite,
le gouvernement doit soutenir les ABCD de l’égalité

Des activistes d’extrême droite ont lancé une action nationale pour l’interdiction de l’étude du genre à l’école. Cette campagne est basée sur un mensonge. En effet, les programmes scolaires et notamment les ABCD de l’égalité contiennent, conformément au Code de l’éducation, des éléments pédagogiques combattant les archétypes sexistes et promouvant l’égalité entre les sexes.

L’école, et c’est son rôle, enseigne le refus des discriminations, l’égalité entre les filles et les garçons, la liberté de construire l’esprit critique et l’intelligence par l’accès au savoir. C’est cette dimension d’égalité qui agresse une extrême droite familialiste, dont le modèle de société est de remettre les femmes «  à leur place », à la maison ; de propager auprès des parents la peur d’une société sans préjugés et sans discriminations.

En appelant à boycotter l’école sur la base du mensonge et de la désinformation, en provoquant la censure d’un livre [*] publié par le Centre national de documentation pédagogique, sous l’autorité du ministère de l’Education nationale lors du Salon de l’éducation, cette extrême droite familialiste entend peser sur les publications, les programmes ou encore la fréquentation scolaire.

Ces prétentions sont à prendre au sérieux et doivent être combattues énergiquement. L’école doit pouvoir poursuivre son travail pour la compréhension et l’éducation des rapports entre les hommes et les femmes, entre masculin et féminin, avec leur dimension d’inégalité, dont on sait qu’elle est grande. Leur « loi de la nature », c’est la loi du plus fort : alors que l’égalité se construit, s’apprend, comme la démocratie.

C’est pourquoi nous en appelons à la vigilance de tous les citoyens et citoyennes, face à des tentatives d’immixtion rétrogrades dans le système scolaire et de retour à l’ordre moral.

[*]Publié aux éditions Sceren-CNDP, et intitulé Déjouer le genre. Pratiques éducatives au collège et au lycée. L’auteur, Hugues Demoulin, est chargé de mission égalité filles/garçons dans l’académie de Rouen.

Non, vos enfants ne devront pas se masturber à la maternelle

par Quentin Girard, Libération, le 28 janvier 2014


De mystérieux SMS se propagent chez les parents français, affirmant que la masturbation serait sur le point d’être enseignée à l’école.

A Rennes, d’étranges messages circulent. « Depuis quelques jours, suite à l’envoi de mystérieux SMS, des enfants ne sont pas venus en cours », relate Ouest France. « Des SMS indiquant que dans les écoles, des cours d’éducation sexuelle et de masturbation étaient donnés et conseillant donc aux parents de ne pas envoyer leurs enfants », continue le journal.

Etonnant. Pourquoi ces textos seraient envoyés et pourquoi les parents seraient enclins à y croire ? Malheureusement, il est probable que ce ne soit pas une lubie bretonne et que d’autres cas se présentent un peu partout en France dans les prochaines semaines. L’Humanité rapporte que des familles ont reçu aussi ces messages dans l’Est. Après leur échec contre le mariage gay, les groupuscules autour de la Manif pour Tous et/ou d’Alain Soral et son site Egalité et Réconciliation ont désormais un nouveau cheval de bataille, la lutte contre ce qu’ils appellent la « théorie du genre ». Représentée par un escargot hermaphrodite, elle remettrait en cause notre vision naturelle du monde et serait imposée à nos enfants innocents. Face à cela, l’écrivaine Farida Belghoul, proche de l’essayiste d’extrême droite et qui participait à Jour de Colère, propose d’organiser des « Journées de retrait de l’école » pour « protéger la pudeur et l’intégrité de nos enfants ».

Le dernier exemple de cette « perversion » serait selon eux l’enseignement imminent de la masturbation dès la maternelle. Une rumeur circule de fait sur des sites proches de ces mouvances, comme 24heuresactu, Boulevard Voltaire, de Robert Ménard ou Egalité et Réconciliation. Le premier annonce par exemple dans un article du 14 janvier qu’un « rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) serait actuellement examiné par le gouvernement socialiste. Ce rapport propose notamment d’encourager la "masturbation enfantine" et de permettre à l’enfant d’exprimer "ses besoins, ses désirs" sexuels ».

CE RAPPORT EXISTE-T-IL VRAIMENT ET QUE RACONTE-T-IL ?

Il existe en effet un texte intitulé « standard pour l’éducation sexuelle », rédigé par le « centre fédéral allemand pour l’éducation à la santé (BZgA) », un service du ministère de la Santé d’outre-Rhin, par le bureau régional de l’OMS pour l’Europe et par « un collège d’experts internationaux », dont aucun Français parmi eux.

Publié en 2010, il a été traduit en français par Santé sexuelle suisse en 2013, une « organisation à but non lucratif ». Indépendante, elle a succédé en 2000 à l’Association suisse de planning familial et d’éducation sexuelle. C’est à partir de cette traduction que le texte a commencé à circuler sur la toile francophone.

Le but de ce rapport, selon la préface, est de « donner aux enfants et aux jeunes une éducation adéquate en matière de sexualité » pour lutter contre les MST, IST, violences sexuelles et grossesses non désirées. Le texte remarque qu’il n’y a aucune norme pour l’éducation sexuelle à l’échelle européenne et espère donc « combler cette lacune ». Regrettant que l’approche de la sexualité par les professionnels soit « essentiellement négative », ces experts demandent une vision plus positive afin de permettre l’émergence d’une sexualité responsable et tolérante.

Premier point. Si le rapport propose d’éduquer dès le plus jeune âge, il parle « d’éducation sexuelle et relationnelle » au sens large, c’est-à-dire incluant des discussions sur l’amitié ou le « sentiment de sécurité ».

Deuxième point. Le rapport propose une « matrice » de modules à mettre en place selon les âges avec plusieurs thèmes, « corps humains et développement », « fertilité et reproduction », « sexualité », « émotion ». Dans la catégorie sexualité, pour les 0-4 ans et les 4-6 ans, il conseille d’informer l’enfant sur « le plaisir et la satisfaction liés au toucher de son propre corps, la masturbation enfantine précoce », et la « découverte de son propre corps et de ses parties génitales ».

Les cours d’information devraient être menés par des spécialistes externes à l’école (médecins, infirmières, sages-femmes, éducateurs sociaux, psychologues, etc.). Les rédacteurs soulignent également que « lorsque l’on parle de comportements sexuels des enfants et des jeunes, il est primordial de garder à l’esprit que la sexualité des enfants est différente de celle des adultes et qu’il est faux d’analyser les comportements sexuels des enfants et des jeunes du point de vue de la sexualité des adultes ».

CE RAPPORT A-T-IL UNE QUELCONQUE INFLUENCE EN FRANCE ?

Rappelons-le, ce n’est pas une loi, mais des recommandations d’un bureau fédéral allemand, traduit par une organisation suisse. En France, il n’a aucune valeur législative, évidemment. En Allemagne non plus, où ces décisions se passent plutôt au niveau régional. L’un des quotidiens de référence germaniques, Die Welt, consacrait récemment un long papier à la question de l’éducation sexuelle, qui fait aussi débat dans ce pays. Dans une classe de 11-12 ans, huit enfants se seraient évanouis après avoir vu des organes sexuels dessinés en cours de biologie. Du coup, polémique. Mais si le journal explique qu’il devient de plus en plus difficile de débattre sereinement de ce sujet, il n’évoque pas une seule fois ce rapport qui inquiète tellement certains milieux chez nous, preuve de son importance toute relative.

En jouant sur la peur d’organisations internationales qui réguleraient tout, les combattants du « gender » font de fait un amalgame entre ce rapport étranger et les modules ABCD de l’égalité qui vont être mis en place dans des académies tests en France dans des classes de maternelle et de primaire.

« Il n’est pourtant pas question une seule seconde qu’on aborde les questions de sexualité dans ces modules », remarque-t-on au service de presse du ministère des Droits des femmes qui a élaboré les ABCD de l’égalité conjointement avec le ministère de l’Education. Il regrette une « agrégation de mensonges et de contre-vérités » et affirme qu’il n’y a aucun rapport entre le texte du bureau allemand et ceux mis en place en France.

Comme le remarque le Parisien dans son édition du jour, « les ateliers sont pour le moment bien "soft" au regard des diatribes » que l’on peut lire. Ce sont des cours qui questionnent sur les « métiers de filles » et les « métiers de garçons » ou les histoires de princesses qui doivent toujours être sauvées par des princes charmants, et pas l’inverse. On est « un peu dans la lutte contre les stéréotypes ("si, Noémie, tu peux devenir pompier"), beaucoup plus rarement dans le "c’est quoi être homosexuel ?" », note le quotidien. Pas de panique donc, vos enfants ne vont pas devoir bientôt apprendre à se masturber en classe de maternelle.

Quentin Girard



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