furieuse identité française, par A. Benzelikha


article de la rubrique extrême droite
date de publication : samedi 19 novembre 2005
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A la faveur de l’actualité, marquée par les émeutes dans les banlieues françaises, par le vocabulaire insultant et provocateur du ministre de l’Intérieur français, qualifié de sémantique guerrière par son collègue Azouz Begag, par cette loi française glorifiant le colonialisme, les déclarations racistes de Philippe de Villiers ou encore les déclarations de Jean-Marie Le Pen qui confirment sa participation à l’élection présidentielle de 2007, tout en estimant en être le « favori », une convergence de problématiques identitaires, différentes, certes, mais en corrélation, prend forme.

Article paru dans El Watan, le 19 novembre 2005.


Cette convergence évoque l’accession, en 2002, au deuxième tour des présidentielles françaises (et au-delà d’une défaite, qui n’est nullement celle des idées que nous évoquerons et qui demeurent autrement, mais toujours, cultivées par la classe politique française) d’une personnalité au discours focalisé sur la question identitaire, avec une forte fixation, quasi structurante, sur le rejet de l’identité différente, étrangère et singulièrement algérienne et annonce précocement 2007. Le retour sur ces élections, en perspective des prochaines, s’explique par l’exacerbation qui trouve à se manifester dans les campagnes électorales de cette envergure, permettant ainsi le dévoilement de quelques mécanismes du fonctionnement de ce qu’on se doit bien de nommer de la haine. Mécanismes qu’actualise systématiquement toute crise.

En France, la fixation xénophobe a pour toile de fond, le fait colonial et la confrontation violente des deux pôles identitaires, pendant la guerre de libération et ses avatars cycliques et exacerbés, avec les campagnes anti-immigrés, dont la crise actuelle participe au-delà des générations, ou, quotidiens et banalisés, avec le racisme ordinaire et les inégalités qu’il induit ou encore avec cette incongruité, pour reprendre le ton du président Bouteflika, que constitue la loi du 23 février. Ne voilà-t-il pas, qu’encore une fois nous sommes rattrapés par l’histoire, représentée par ce qu’il y a de pire dans les relations franco-algériennes : la guerre, la torture, l’OAS, les ratonnades, l’état d’urgence, le racisme et une haine indicible, avec pour moteur, un concept dévoyé, celui de l’identité, dont le Front national français, comme tout tenant de l’extrême droite, fait son axe articulatoire.

Il faut retenir, de prime abord, que l’identité est un composant essentiel des élaborations idéologiques, pour ce qu’elle véhicule comme éléments identificatoires constitutifs de la personnalité tant individuelle que collective, dont elle est le fondement des représentations. L’identité est, à ce titre, « spontanée » et ne prête pas à conséquence, elle est acceptée comme telle et ne fait pas l’objet d’un investissement particulier.

Ce qui n’est pas le cas, pour ce que nous nommerons les idéologies de crise, qui se caractérisent par une hypertrophie de la composante identitaire, une récurrente des thèmes catastrophiques, une idéalisation de la dimension communautaire et une forte exaltation de la confrontation. Les idéologies de crise, sont des « idéologies » éminemment politiques, elles sont revendicatives et mêmes vindicatives, elles empruntent des thématiques à différentes idéologies, sans crainte de contradiction, elles se construisent d’ailleurs sur les contradictions, grâce à des formules à l’emporte-pièce (qui ont fait dernièrement flores chez un certain personnel politique français empruntant tant à Le Pen qu’à Joël Michel Sambuis) aux clichés et aux stéréotypes. C’est ainsi que le leader du Front national avancera par exemple, qu’il est « socialement de gauche, économiquement de droite et nationalement de France ».

Ces idéologies violentes, ne serait-ce que sur le plan psychologique et verbal, ont pour objectif premier le changement radical par la prise de pouvoir, de ce fait, le même chef de file, claironnera qu’avec lui s’en sera fini de l’ordre ancien, entendre affaibli, et à tous points de vue. Ces idéologies hypocrites, qui n’osent pas se prévaloir de leurs turpitudes racistes, surinvestissent les champs de différence que contient naturellement le terreau identitaire, pour n’y semer que les germes de l’exclusion, des antagonismes et de la domination avec l’affirmation des supériorités nationalistes, ethniques ou religieuses. Le FN parlera alors de la supériorité biologique de certaines « espèces » sur d’autres ou des différences « naturelles » qui font qu’un Noir soit « physique » et un Blanc « intellectuel » ou du respect qu’il a pour les Arabes, mais « chez eux ». Un mouvement du même acabit mettra, lui, en scène une prétendue supériorité culturelle, en confiant à son dirigeant, le goebbelsien Mégret, dans un spot électoral, le rôle d’un quidam rentrant dans son appartement, coupant le son d’un air de rai, sur sa chaîne hifi pour le remplacer par un morceau de musique occidentale.

Sauver la France de l’impureté

Ce qui nous intéresse ici, est le fait que l’idéologie de crise de l’extrême droite française, dans sa forme lepéniste ou dans les récupérations discursives qu’en font sporadiquement des courants politiques intéressés, se construit en particulier, sur un « Autre » algérien, avec quelques incursions antijuives, vite corrigées ou, en tout cas actuellement, mises en sourdine, par l’auteur du « détail » et autres « Durafour crématoire », la dénonciation de ces excès est d’ailleurs singulièrement surmédiatisée, à l’inverse de ceux touchant aux Noirs ou aux Arabes. Cet antialgérianisme primaire, s’il rejoint la vieille peur occidentale du Sarrasin et la haine de l’infidèle, doit beaucoup au parcours du leader de l’extrême droite et, partant, à celui d’une frange de la société française, celui de la France coloniale des Ultras, d’une part, et de l’autre, à la xénophobie induite par la présence marquée d’une nombreuse communauté algérienne ou d’origine algérienne en France, qui cristallise toutes les haines, les craintes et les dépits accumulés.

En fait, il apparaît bien que cette idée lointaine en France de la « pureté de la vieille race française » cultivée tant par les catholiques de la Saint-Barthélemy, que par les monarchistes de la guerre de Vendée, tant par les antidreyfusards et autres maurassiens de l’Action française, que par les collaborateurs des nazis, et tant par les conspirateurs assassins de l’OAS que par les théoriciens du Grece ou du Club de l’horloge, constitue la matrice théorique des idéologies de crise, tandis que le pendant opératoire demeure l’alibi de la prise de pouvoir : sauver la France de l’impureté des... huguenots, avec les dragonnades ou des... bicots, avec les ratonnades.

Cette véritable guerre, à mener contre ceux qui mettent en danger une France mythique et des Français tout aussi idéalisés, se doit malgré tout et comme toute scélérate entreprise de recourir à un stratagème, celui des évidences assenées comme autant de banderilles aux scrupules de l’honnête homme. Ces « évidences » vont théâtralement organiser un monde réducteur mettant en scène une communauté d’appartenance différenciée (la France, les Français), un ennemi irréductible monstrueux et agressif (différent, et criminel), une légitimation (un combat juste, sacré, « Jeanne d’Arcien »), un manichéisme ontologique (nous sommes bons « ils » sont mauvais) et un intéressement, la prééminence due aux « véritables » les Français en droits, y compris en matière de sécurité, et surtout en avantages (la préférence nationale). L’histoire récente, l’actualité et la bêtise de beaucoup de nos semblables font que le bouc émissaire de la « furia identitaire francese », à la mode lepéniste ou à celle électoraliste du populisme sécuritaire de M. Sarkozy de Nagy Bocsa, soit toujours la communauté générique « algérienne » (comprenant, pêle-mêle, citoyens français, immigrés réguliers et irréguliers, Arabes, Maghrébins, musulmans, basanés, jeunes des cités défavorisées, milieux issus de l’immigration).

Dans ce contexte, discours sur l’Algérie et représentations de celle-ci et, partant, des Algériens, datent indéniablement de la guerre d’Algérie, sur le modèle idéologique de « l’Algérie française » « l’Algérie, c’est la France » de Mendès et Mitterrand, ou, plutôt, plus justement, « l’Algérie aux Français ». Jusqu’à ce lapsus nouveau de « la France... française » comme en écho dans la bouche de Le Pen, candidat du deuxième tour des présidentielles, le 29 avril 2002, révélant parallèles et fixations. Ce discours sur l’Algérie est un discours de tension psychique, social et politique, porteur de la contradiction fondamentale d’une Algérie française et d’Algériens « non français », auxquels on a refusé le statut de Français, et de sa projection actuelle d’une Algérie algérienne et de Français « algériens », les Français d’origine algérienne. Cette contradiction dédoublée, en un triptyque « défaite, trahison et désillusion », constitue pour nombre de Français un traumatisme récurrent, que les catharsis politiques et les pathologie extrémistes s’essaient dans un mouvement conjoint, à conjurer et à exploiter. C’est aussi un traumatisme honteux, enfoui, comme peut le prouver, par généralisation, la débâcle des sondages du premier tour des Présidentielles de 2002, du fait de la non-revendication du vote lepéniste par ses propres auteurs.

Le racisme est, bien sûr, le moteur de tout cet échafaudage, un racisme qui rarement dit son nom, derrière cette notion revendiquée de l’identité, mais qui apparaît dans l’euphémisme, quand par analogie Le Pen affirme : « De même qu’il y a des êtres supérieurs et des esprits supérieurs, il y a d’indéniables différences entre les races ». Par substitution, la race deviendrait culture ou civilisation, identité ou personnalité. Le racisme rejoint le nationalisme dans une même exécration de l’Arabe, du musulman, de l’Algérien, en fait de l’autre, de l’étranger, de L’ennemi, sous le couvert de la préservation de l’identité française en danger, dans le cadre ô combien favorable ! en ces temps d’insécurité et de malvie, de doctrines autoritaires et de protectrices. « Une force pour la France » tel fut le slogan électoraliste de Le Pen en 2002, à qui il faut consentir le mérite et la clarté de ne pas se réclamer de l’esprit et de l’âme, qui font l’amitié. Il n’est pas le seul, tant dans une France à qui d’autres promettent le « Kärcher », en perspective de 2007, que dans le monde, où des identités furieuses dans leurs certitudes prennent le pas sur tout raisonnement. Mais un auteur italien ne disait-il pas que les injures possédaient un grand avantage sur les raisonnements : celui d’être admises par le plus grand nombre ?

A. Benzelikha


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