« nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée... »


article de la rubrique Big Brother > l’administration et les données personnelles
date de publication : vendredi 2 janvier 2009
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Article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme :

Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

Ce commentaire de l’article 12 de la Déclaration universelle est extrait du supplément du N° 139 d’Hommes & Libertés, consacré à la DUDH [1].


La vie privée de plus en plus enregistrée et fichée

par Alain Weber [2]

L’article 12 de la DUDH consacre l’individu dans ses rapports avec les groupements qui l’entourent, et avec l’Etat dont il est citoyen. Ainsi, c’est bien l’individu que cet article protège en ses rapports avec les autres – tous les autres – qu’il s’agisse d’êtres humains ou d’institutions.

L’article 12 sanctuarise la vie privée de l’Homme, c’est-à-dire la part de vie qu’il est et doit demeurer le seul à connaître, et ses prolongements naturels : la famille, le domicile, la correspondance.

L’article 12 protège également l’Homme contre les atteintes à son honneur et à sa réputation. L’honneur, c’est l’idée que l’on se fait de soi-même. La réputation c’est l’idée que les autres se font de vous.La vie privée, la famille, le domicile, la correspondance sont ainsi éligibles à la protection de la loi tant ces domaines sont importants pour l’Homme.

Il s’agit d’un article fondamental qui place l’individu sous une cloche protectrice.

La protection de la vie privée de l’individu sera, par la suite, également consacrée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par la Convention relative aux droits de l’enfant.

Mais cette protection s’effrite sous les coups de buttoir de l’usage, de plus en plus intensif, de technologies nouvelles, que ce soit par des opérateurs économiques qui tendent à profiler les consommateurs par l’observation fine et approfondie de leurs modes de vie, que par les Etats qui cherchent à constituer des bases d’informations à fin de police, et à les enrichir sans cesse, afin de mieux connaître les citoyens, au détriment de la sphère de vie privée.

Une législation abondante, particulièrement intrusive dans la vie privée des gens voit ainsi le jour depuis une décennie.

Les actions terroristes, et notamment celles du 11 septembre 2001 – qui doivent ici également être radicalement dénoncée – servent d’alibi à cette mise en place d’une société de surveillance. Ainsi, des lois nombreuses sont prises à répétition, et rétrécissent de plus en plus le champ de la vie privée. On ne peut plus se promener dans la rue sans être filmé jusqu’à la porte d’entrée de son domicile, ni communiquer par Internet ou par téléphone sans que les données de connexion ne
soient conservées. On ne peut plus se déplacer sans que ses déambulations personnelles ne soient tracées.

Dans le même temps, ce même mouvement législatif cherche à réduire le rôle des juges de l’Ordre judiciaire – garants de la protection de la liberté individuelle et donc de la vie privée – au bénéfice de la police et d’autres administrations d’Etat. Et ce n’est pas tout. De très grandes démocraties, comme celle des Etats-Unis par exemple, s’affranchissent du carcan de la légalité et procèdent de manière secrète par des moyens que l’article 12 justement qualifie d’immixtion arbitraire.

Constituent en effet une immixtion arbitraire, la surveillance des communications téléphoniques par le gouvernement des Etats-Unis sous la présidence de monsieur Bush, ou l’utilisation à des fins de police, de fichiers privés recensant les transactions financières à travers le monde, à l’insu des citoyens, au mépris de leurs droits au respect de leur vie privée et sans aucune habilitation légale, ou encore les écoutes illégales de diverses personnalités, notamment des avocats et des journalistes, réalisées en France au mépris absolu des textes et notamment de l’article 12, par la « cellule de l’Elysée », agissements dont à eu connaissance la juridiction pénale plusieurs années après les faits. La loi doit protéger la vie privée et familiale du citoyen.

Peut-il, dès lors, y avoir une immixtion arbitraire qui résulterait de la loi elle-même ? Il faut répondre par l’affirmative. En effet, quand le législateur a abandonné toute éthique, quand il se départit de son humanisme, quand son action est créatrice de discriminations, il faut considérer que la loi peut être une immixtion arbitraire. C’est ce qui se déroule en France par le projet de texte scélérat relatif à la fourniture de tests ADN par les demandeurs au regroupement familial, c’est-à-dire ceux et celles qui demandent le droit de vivre avec et au sein de leurs familles. Il s’agit là d’une immixtion dans la vie privée et familiale des personnes, immixtion d’autant plus insupportable qu’elle heurte la tradition d’accueil de la France Républicaine, celle qui n’a pas peur de l’autre, notamment pour un motif de regroupement familial, méprise la loi bioéthique qui relevait pourtant d’un consensus parlementaire abouti, s’affranchit de l’éthique qui écarte toute filiation par le sang, sauf dans un cadre contentieux.

Ainsi, il faut constater et dénoncer que celui qui devait donner protection à l’Homme contre les immixtions arbitraires, le législateur, celui-là même retourne contre le peuple son pouvoir de légiférer.
Ce législateur-là a rayé l’article 12 de sa mémoire.

Alain Weber

Notes

[1Hommes & Libertés, revue de la LDH, supplément du N° 139 – juillet, août, septembre 2007 – http://www.ldh-france.org/H-L-139-S....

[2Alain Weber est “personne ressource” du groupe de travail « Informatique et biométrie » de la Ligue des droits de l’Homme.


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