Une décision « prise après un examen très attentif du dossier », mais sans avoir entendu l’intéressée. Et mise à exécution discrètement, « dans le souci de préserver la dignité de la personne ».
Une simple question : Bing Jiang a-t-elle pu être assistée d’un avocat ?
« Bing n’est pas en colère. Elle est confrontée à ce qu’elle considère comme un “aléa de la vie”. En contact avec le consulat de France, elle est en train de préparer un visa pour revenir. »
Trois jours après la reconduite à la frontière de Bing Jiang, son ami toulonnais a du mal à contenir son émotion. En France depuis quatre ans, cette ressortissante chinoise, âgée de 29 ans et jeune diplômée de master 2 « Entreprise et Développement local » de l’université du Sud-Toulon-Var, a été interpellée, vendredi, en préfecture du Var. Motif sans appel : la jeune femme, en situation irrégulière, avait l’obligation de quitter le territoire national. Cette décision avait été prise par le préfet du Var depuis le 15 octobre, et notifiée à l’intéressée le 17. Elle bénéficiait d’un délai d’un mois pour quitter le territoire.
Problème : Bing n’aurait jamais eu connaissance de l’injonction, selon ses amis. Un courrier envoyé en recommandé par la préfecture du Var à l’adresse de la jeune femme, demeurant à Toulon, a bien été expédié. Mais en l’absence de l’intéressée, le courrier a été renvoyé à l’expéditeur.
« Elle ignorait sa situation irrégulière »
« La loi c’est la loi, il ne s’agit pas de faire un procès à l’État. Mais je suis déçu de la façon dont cela s’est passé. Le commissariat de police m’a prévenu vendredi midi, comme l’exige la procédure. Placée en garde vue, je n’ai pas été autorisé à la voir. Maintenue en rétention administrative pour un délai de 48 heures (du 1er au 3 décembre) dans les locaux de la sûreté départementale, elle était ce week-end dans un avion au départ de Marignane pour la Chine », commente cet ami, un peu choqué par ce départ expéditif.
D’autant que, d’après lui, Bing, diplômée bac + 5 et qui venait de s’inscrire à un CAP de pâtisserie pour cette année, ignorait qu’elle se trouvait en situation irrégulière. « Si elle l’avait su, elle ne serait pas venue poser une question en préfecture pour connaître l’avancement de son dossier dans le cadre d’un renouvellement de sa carte de séjour temporaire, laquelle expirait le 30 septembre. On ne lui a laissé aucune chance. »
Interrogée sur la situation de cette ressortissante, la préfecture du Var s’est refusée à tout commentaire. Le préfet du Var, Jacques Laisné, n’a pas souhaité « communiquer sur un cas individuel par discrétion et dans le souci de préserver la dignité de la personne ».
« Parcours scolaire non cohérent ? »
Pourquoi la préfecture du Var a-t-elle rejeté la demande de titre de séjour, ne jugeant pas « opportun de régulariser la situation de la jeune femme » ?
Selon nos sources, la décision administrative pointe « dans le parcours scolaire et universitaire, une absence de résultats, de progression, et de cohérence dans le cursus universitaire et dans les études suivies ». De fait, la jeune femme, selon la préfecture du Var, « ne remplit plus les conditions de renouvellement de son titre de séjour en qualité d’étudiant ».
Le statut d’étudiant. C’est sans doute là que le bât blesse. Selon l’université du Sud Toulon Var, Bing n’a plus le statut d’étudiant dans la mesure où elle ne s’est pas inscrite dans une filière à l’issue de son master.
Inscrite depuis septembre en CAP pâtisserie par le biais d’une formation d’alternance au Greta (Groupement d’établissements publics locaux d’enseignement) Hôtellerie tourisme, elle pensait sans doute conserver ce statut... et ses droits.
L’expulsion de Bing, le week-end dernier, a suscité de vives réactions. Tous ceux qui l’ont côtoyé lors de son cursus universitaire ou en entreprise sont unanimes : « Une jeune fille sérieuse, charmante, et motivée. »
Le préfet du Var, Jacques Laisné, a simplement précisé hier que la décision conduisant à l’expulsion de Mue Bing Yiang « a été prise après un examen très attentif du dossier ».
La décision motivée du 15 octobre ne fait pas état de l’obtention du diplôme de master 2 de la jeune femme, avec mention passable. Bing a encore la possibilité de faire un recours gracieux auprès du préfet du Var et un recours hiérarchique auprès du ministre de l’Intérieur. Dans le cas où l’arrêté serait abrogé, l’Etat lui paiera-t-il son billet de retour ? Me Bruno Bochnakian, vice-président de la section toulonnaise de la Ligue des droits de l’Homme, avocat au barreau de Toulon, « n’a jamais vu un préfet payer le billet de retour à un ressortissant reconduit à la frontière ».
Et la Ligue d’ajouter, « indignée » : « Ce sont des procédures très expéditives et qui révèlent une volonté aveugle de renvoyer les étrangers à la frontière, quel que soit le cursus en cours ou leur chance d’intégrer une formation. Il y a eu des erreurs d’appréciation. La préfecture savait qu’elle n’avait pas reçu la décision du 15 octobre lui notifiant l’obligation de quitter le territoire. Qu’est-ce qui empêchait les services, avec un peu d’humanisme, de lui conseiller de faire un recours gracieux ou hiérarchique ? »