au cœur du centre de rétention administrative de Nice


article de la rubrique les étrangers > à la préfecture du Var
date de publication : mercredi 6 novembre 2013
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Pour la première fois, sur les pas de la députée PS européenne Sylvie Guillaume, deux journalistes ont pu visiter le Centre de rétention administrative de Nice.
Les trois quarts des migrants qui y séjournent ont été interpellés dans les Alpes-Maritimes, les autres dans le Var.


Plongée au coeur du centre de rétention de Nice

[Var-Matin, le 5 novembre 2013]


Pour la première fois, des journalistes ont été admis, hier, au sein du Centre de rétention administrative de Nice. Sans la pugnacité de la députée européenne Sylvie Guillaume (PS), ce reportage n’aurait pas été possible. Lancée au Parlement européen en avril, la deuxième campagne « Open Access » qui l’amenait hier, a pour ambition de faciliter l’accès aux centres de détention des étrangers. Sylvie Guillaume a auparavant visité une structure identique à Lyon.

Le Centre de rétention administrative de Nice, situé au cœur de la caserne Auvare, est réputé être le plus vétuste de France. 32 migrants y étaient retenus, hier, pour une capacité maximale de 38 places. Dès l’entrée, l’inadéquation du bâtiment avec sa destination saute aux yeux. Plafonds hauts, salles étroites, murs en crépi repeint dans un vert opaline assez déprimant : les conditions de rétention pour les migrants, et de travail pour les fonctionnaires sont acceptables mais guère reluisantes.

Dans le premier couloir bordé de bureaux, un médecin, une infirmière, le Forum réfugiés (association humanitaire), l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration accueillent les retenus (on ne parle pas de détenus). Le médecin est présent cinq demi-journées. L’infirmière en permanence. L’ensemble est propre, sans plus, à l’image de l’espace réservé aux rencontres avec les familles, coin sans âme aux murs tachés de projections de café.

Plus loin, la salle de repos est plus dégradée. Une télé pour seul luxe, une machine à café enfermée dans une cage, des détritus au sol. Deux hommes regardent un match. « Nous faisons un ménage constant, mais le lieu n’est pas toujours respecté »,confie Cécile Bataille, capitaine de police, chef de centre qui conduit la délégation, accompagnée de Didier Martin, directeur départemental de la Police aux frontières et de Jean-Jéhan Winckler, directeur de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes. Nous n’avons pas été autorisés à prendre de photos. Ouverture oui, mais sous conditions…

Cécile Bataille s’attache à faire régner l’ordre dans le Centre, mais en s’appuyant sur une très grande humanité, que nous ressentirons chez tous les fonctionnaires et intervenants lors de notre visite.

Des haut-parleurs hurlent les noms

Dans le restaurant collectif, quelques affiches à en-tête de la République française sont rédigées uniquement en arabe. Elles informent les retenus de leurs droits, sociaux notamment. Sur une porte, un autre panonceau indique : « Après le ramadan, il sera interdit de monter les barquettes dans les chambres.  »

À l’étage, les retenus s’entassent à quatre ou cinq par chambre. Tous n’ont pas un vrai lit. Certes, ils ne restent en moyenne que cinq à six jours, sur les 45 maximum légaux, mais l’accueil est spartiate. Volume à fond, des haut-parleurs hurlent les noms des retenus attendus aux démarches administratives. Flippant.

Certains hommes ont des téléphones en main. C’est légal car ils ne sont pas en prison mais en rétention. Il n’y a d’ailleurs pas de fouilles, juste un détecteur de métaux. Mais ce qui frappe, c’est leur désœuvrement. Pas d’activités, si ce n’est une cour de promenade bardée de barbelés, qu’il ne doit pas faire bon fréquenter en plein cagnard.

À la sortie, la députée européenne salue le travail des fonctionnaires et des intervenants, mais jugera le lieu « inadapté ».

La cour de promenade du CRA. Seule image qui ait pu être réalisée, les photos étant interdites à l’intérieur. Franck Fernandes

Migrants : l’attente angoissée dans l’exigu centre de rétention de Nice

[Nice-Matin, le 30 octobre 2013]


Promiscuité, oisiveté, anxiété : tel est le lot des "retenus", ces migrants en transit au centre de rétention administrative (CRA) de Nice, visité pour la première fois mardi par une élue PS et exceptionnellement par deux journalistes, dont une de l’AFP.

Le centre est installé depuis 1986 dans la caserne Auvare où se trouve notamment la PJ de Nice, dans des locaux construits il y a plus d’un siècle pour l’armée. "Un bâtiment pas adapté à notre mission", déplore le capitaine Cécile Bataille, chef du centre.

De fait, ce qui frappe d’abord c’est l’étroitesse des lieux : il est souvent difficile de se croiser de front dans les couloirs exigus aux peintures qui s’écaillent.

"Et 38 places, c’est trop petit pour un département frontalier" comme les Alpes-Maritimes, confronté aux flux migratoires venus d’Italie, "il en faudrait 80", estime Didier Martin, le directeur départemental de la police aux frontières (PAF).

Quasiment jamais d’asile politique

Bien que ce responsable insiste sur le fait que le CRA n’est "pas un lieu de détention", qu’on n’y pratique pas la fouille au corps, que la circulation y est relativement libre, la claustrophobie gagne rapidement le visiteur, derrière les fenêtres grillagées à barreaux. L’impression est accentuée par le son de haut-parleurs qui de temps en temps hurlent les noms des personnes convoquées par l’administration au rez-de-chaussée.

Ce centre de 1.000 m2, contrairement aux deux autres CRA de la région (Marseille et Nîmes), ne reçoit que des hommes majeurs, installés par quatre ou six dans des chambres rudimentaires.

Il s’agit à 90% de Maghrébins, Tunisiens pour la plupart, les Alpes-Maritimes étant "une terre d’immigration tunisienne" depuis des décennies, souligne Jehan-Eric Winckler, directeur de cabinet du préfet.

"La durée de rétention moyenne tourne autour de 5-6 jours ici. On va rarement jusqu’à 45 jours", la durée légale maximale, précise M. Martin. A l’issue de leur rétention, 70 à 75% des personnes sont "éloignées" (vers leur pays d’origine ou le pays d’admission dans l’espace Schengen). Mais si leur Etat ne les reconnaît pas – ce qui est souvent le cas pour les délinquants sortant de prison –, ils sont remis en liberté avec obligation de quitter le territoire. Quasiment aucun n’obtient l’asile politique.

En 2011, au moment du "printemps arabe", 1.807 personnes sont passées par le CRA de Nice. L’an dernier, ils furent 1.759.

Quarante-deux agents de la PAF travaillent dans ce centre, dont une vingtaine au maximum en même temps. Et ils ne sont que quatre la nuit.

Un médecin et une infirmière, des membres de l’association Forum Réfugiés qui aide les "retenus" à faire valoir leurs droits, des agents de l’Office de l’immigration et de l’intégration viennent compléter le dispositif dans ce bâtiment flanqué d’une cour de promenade minérale, ceinte de hauts murs et de barbelés.

Souplesse pour garder la paix sociale

Malgré la promiscuité, la vétusté des locaux, ce CRA connaît peu de dysfonctionnements graves, selon la direction : aucun suicide n’a été rapporté jusque là et les fuites sont rares (une seule durant l’année écoulée). Les bagarres aussi.

Pour "garder la paix sociale, on est très souple avec le règlement : les heures de visite qu’on essaie d’adapter, la cigarette", explique le capitaine Bataille.

Les problèmes au quotidien relèvent plutôt du désoeuvrement, de la polytoxicomanie fréquente ou des automutilations. Beaucoup de Tunisiens se scarifient, repoussant ainsi de quelques jours leur "éloignement".

Ahmed, un Tunisien de Kairouan de 29 ans, issu d’une fratrie de neuf enfants, est arrivé au CRA il y a trois semaines. Il a payé 1.500 euros pour passer en 2006 vers Lampedusa en bateau. Il n’a "plus un centime" après avoir été arrêté par la PAF dans un train venant de Vintimille. Mais il pense qu’il va être relâché et rêve d’un travail à Marseille, explique-t-il à l’AFP. "De toutes façons, je ne peux pas rentrer chez moi : je me ferai engueuler par ma mère", lâche-t-il, angoissé.

A l’issue de la visite qui aura duré plus de deux heures – avec interdiction d’enregistrer, photographier ou filmer, et possibilité limitée dans le temps pour parler aux "retenus" –, l’eurodéputée PS Sylvie Guillaume qui a déjà visité plusieurs CRA en France et en Grèce, estime que le centre de Nice n’a "rien de scandaleux", mais qu’il n’est "pas très propice à la rétention" de par "la contrainte des bâtiments très pesante à la fois pour l’administration et pour les retenus".

En participant à la campagne européenne "Open access now", qui vise à faciliter l’accès de la presse aux CRA, elle espère pouvoir "faire évoluer la situation à l’intérieur" de ces centres.


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