Il s’agit là d’une décision importante concernant les « mariages mixtes ». Pour la première fois, un juge porte une appréciation sur un procédé utilisé jusqu’à présent par des services de police, en le qualifiant de déloyal.
La Cour de cassation avait récemment estimé que l’administration ne pouvait « utiliser la convocation à la préfecture d’un étranger, faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière [...] pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention » (voir notre article).
La décision du JLD de Marseille devrait inciter une nouvelle fois les différentes administrations françaises au respect des « frontières éthiques et déontologiques qu’il convient de ne pas dépasser dans un Etat démocratique ».
Le 31 mai 2007, un juge des libertés et de la détention (JLD) du Tribunal de grande instance de Marseille siégeant au Centre de rétention administrative du Canet a pris position, de manière inédite, sur la légalité de l’interpellation d’un étranger qui souhaitait épouser une ressortissante française et qui s’était rendu au commissariat de police à la suite d’une convocation du commissariat concernant son dossier de mariage.
Depuis de nombreuses années, une procédure bien rodée visant à empêcher les mariages entre étrangers en situation irrégulière et Français était mise en pratique entre les services du parquet et de la préfecture du Var ; elle permettait d’organiser la reconduite à la frontière de l’étranger sitôt le projet de mariage déposé en mairie.
L’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales affirme le droit au mariage pour toute personne à la seule condition qu’elle ait l’âge légal pour le faire :
« A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »
Le mécanisme varois
Voici comment les choses se passaient depuis des années dans la région toulonnaise :
C’était un traquenard !
On connaît la suite : garde à vue pendant une journée, puis, alors que l’étranger est bien « au chaud » dans les geôles du commissariat, son dossier est transmis à la préfecture pour que soit pris un arrêté de reconduite à la frontière.
Sitôt cet arrêté notifié, l’étranger est placé en rétention administrative au centre de rétention du Canet de Marseille, par exemple (ou l’équivalent à Nice ou à Lyon …), dans les starting-blocks pour la reconduite à la frontière.
Au fait, un détail, ... Ne devait il pas se marier ?
Une décision qui fera date
Le 31 mai, le juge des libertés du centre de rétention du Canet à Marseille a pris parti, de manière inédite sur la pratique de ces « convocations pièges » adressées par la police aux étrangers souhaitant se marier.
Me Bochnakian, avocat au barreau de Toulon, spécialisé en droit des étrangers, invoquant l’article 5 de la Convention européenne (le droit à la liberté et à la sûreté), a invité le juge à considérer que le procédé de la police était déloyal, la convocation de la police ayant pour seul objet de mettre en garde à vue l’étranger.
Aux termes de son ordonnance, le juge des libertés et de la détention déclare :
« Monsieur XXX a été convoqué au commissariat de police pour le motif “mariage avec Mademoiselle YYY” ; que l’intéressé s’est présenté spontanément à cette convocation et a été immédiatement placé en garde à vue ;
« Attendu qu’il convient de souligner les termes trompeurs de ladite convocation lesquels vicient la procédure s’agissant d’un procédé déloyal et d’une violation du paragraphe 1 de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme ;
« Attendu qu’il convient de faire droit à l’exception de nullité ».
Il s’agit là d’une décision remarquable qui, pour la première fois, porte une appréciation sur le procédé jusqu’à présent habituel des services de police, en le qualifiant de déloyal.
Cette décision rejoint l’arrêt du 6 février 2007 par lequel la Cour de cassation avait condamné le recours aux convocations-pièges en préfecture.
Une grande avancée en droit des étrangers, qui ne pourra que rassurer tous ceux qui souhaitaient se marier et n’osaient le faire de crainte d’une reconduite à la frontière.
Pour avoir voulu se marier avec une Hyéroise, après plusieurs années de relations suivies et quelques mois de vie commune, un jeune Marocain de 24 ans a bien failli être renvoyé de l’autre côté de la Méditerranée, avant même que ne soient publiés les bans.
Placé au centre de rétention du Canet, à Marseille, Karim n’a dû son salut qu’à l’intervention de son avocat toulonnais autant qu’à la décision inédite rendue par un magistrat phocéen.
Du projet de mariage à la mise en garde à vue
Ce juge des libertés et de la détention a en effet estimé, conformément à ce que plaidait Me Bruno Bochnakian, que le jeune homme avait été victime « d’un procédé déloyal et d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Ayant déposé un dossier en mairie d’Hyères pour pouvoir épouser sa compagne, Karim avait été invité à rencontrer les services de police, afin de leur permettre de constater la sincérité de l’union envisagée, procédure normale entrant dans la lutte contre les mariages blancs.
Son problème, toutefois, tenait dans l’expiration de son visa, il y a un peu plus d’un an. Du coup, étant en situation irrégulière, le jeune homme s’est retrouvé placé en garde à vue, pendant le temps nécessaire à la préfecture pour établir un arrêté de reconduite à la frontière puis transféré au centre de rétention.
Amené à se pencher sur ce dossier, le magistrat marseillais ne s’en est pas laissé conter.
« Il convient de souligner les termes trompeurs de la convocation qui vicient la procédure », a précisé le juge, avant d’ordonner la libération du jeune homme le 31 mai dernier.
Restait toutefois l’arrêté préfectoral, que le tribunal administratif de Marseille a annulé le lendemain pour « détournement de pouvoir », retenant que le départ forcé du jeune Marocain aurait eu pour effet de rendre impossible le mariage, prévu le 23 juin, alors que, selon la CEDH (article 12), c’est un droit absolu et que seul le procureur de la République a le pouvoir de l’empêcher. Et pour faire bonne mesure, les juges administratifs ont accordé 1 000 € de dommages et intérêts à Karim, enjoignant en outre à la préfecture du Var de lui délivrer un titre de séjour provisoire d’un mois.
Une fois marié, il pourra mettre en oeuvre une procédure de régularisation sans être obligé de quitter le sol français.
Une première juridique
Karim et Andréa, 20 ans, vont donc pouvoir sceller bientôt officiellement leur union à Hyères, même s’ils se seraient bien passés d’un tel contexte.
Il n’en reste pas moins que le fait de considérer comme « un procédé déloyal » une convocation débouchant sur une interpellation sans aucun rapport avec le motif original constitue une première juridique en France.
Celle-ci est toutefois dans le droit fil d’un arrêt de la Cour de Cassation, rendu en février dernier, traitant de la même manière les « convocations pièges » dans les préfectures, quand une personne en situation irrégulière est invitée à venir discuter de sa demande de régularisation...
Procédures à reconsidérer
Suivie avec attention par la section toulonnaise de la Ligue des droits de l’hom¬me, l’issue heureuse de ce nouveau dossier devrait logiquement amener les administrations concernées à revoir leurs procédures. « Jusqu’à maintenant, il y avait une entente tripartite entre le parquet, les services de police et la préfecture. Il va falloir réviser les pratiques », estime Me Bruno Bochnakian, très au fait de la jurisprudence en la matière.
« On comprend la nécessité de lutter contre les mariages blancs, ajoute l’avocat toulonnais, mais le problème c’est le systématisme des pouvoirs publics... »
Un procédé que vient donc de sanctionner la justice marseillaise, pénale et administrative.