Au cours de l’année 2007, 282 personnes en situation irrégulière ont été « reconduites à la frontière » dans le Var (y compris 67 départs volontaires).
282 expulsions, c’est quarante-deux personnes de plus – quarante-deux drames de plus – que l’objectif fixé par le ministère de l’Immigration, qui tablait sur 240.
Pourquoi avoir procédé à plus de reconduites que Paris n’en demandait ? Un indice : le nouveau préfet n’hésite pas à se déclarer « sans états d’âme ».
Ci-dessous, l’intégralité des pages 2 et 3 que le quotidien Var-Matin a consacré à ce problème dans son édition du 11 février 2008.
Boris Cyrulnik : « la honte du XXIème siècle »
« Les camps - les nazis et les autres - auront été la honte du XXème siècle. Celle du XXIème pourrait bien naître des mouvements de populations. Car comment imaginer que des gens vivant dans la pauvreté ne viennent pas tenter leur chance chez nous ? »
Immigration : le nombre, croissant, de reconduites à la frontière a dépassé, l’an dernier, le « quota » fixé par Paris. Les policiers réclament plus de moyens.
Pour la seule année 2007, 282 personnes en situation irrégulière ont été « reconduites à la frontière » dans le Var. Ce chiffre englobe 67 départs volontaires, « c’est-à-dire des étrangers qui ont bénéficié d’une procédure d’aide au départ », précise la préfecture. Parmi eux, 32 personnes s’étaient vues opposer un refus de séjour sur le territoire.
« Pas de course aux résultats »
282 expulsions, c’est davantage que les objectifs fixés par le ministère de l’Immigration, qui tablait sur 240. Alors pourquoi avoir procédé à plus d’expulsions que Paris n’en demandait ? « Il n’y avait pas de course au résultat » a fait savoir le représentant de l’Etat à Toulon. Le ministère avait fixé la « barre » 2007 à 240 en s’appuyant sur le nombre de reconduites à la frontière de l’année précédente. Une nouvelle « barre » se dessine donc pour le Var, et, de toute évidence, les chiffres devraient encore augmenter en 2008.
À l’inverse, le nombre de régularisations a lui aussi évolué (836 en 2005 et 1193 l’année d’après). Pour 2007, le chiffre n’est pas encore connu. « L’instruction d’un dossier dure 18 mois en moyenne. Les chiffres peuvent donc varier en fonction du moment dans l’année », rappellent les services de l’Etat.
Alliance : « Pas d’opposition de principe, mais... »
Du côté des policiers, chargés d’appliquer sur le terrain ces nouvelles priorités de l’Etat (qu’ils soient d’accord ou pas), il s’agit d’une mission supplémentaire pour laquelle ils ne sont pas forcément formés. Les spécialistes appartiennent à la PAF (Police aux frontières, lire ci-dessous), C’est surtout une mission qui s’ajoute à toutes les autres, augmentant la charge de travail observe Fabienne Hudelot, représentante du syndicat Alliance dans le Var.
« Nous n’avons pas d’opposition de principe sur les reconduites aux frontières, en dehors du fait que cela « coûte » un nombre considérable d’heures par fonctionnaire. Comme d’habitude, c’est le manque d’effectifs le problème. »
Une brigade spécialisée à Toulon
L’Etat a tenté d’y répondre en créant en novembre dernier au sein de la Sûreté départementale du Var une brigade des étrangers ». « Composée de quatre fonctionnaires, elle génère un nombre important de gardes à vue : environ une soixantaine en un mois et demi, même si toutes n’engendrent pas une reconduite à la frontière. Ces collègues, trop peu nombreux et manquant de moyens, sont déjà débordés par le travail » ajoute le syndicat.
Et cela ne devrait pas cesser en 2008 si les priorités chiffrées du ministère ne changent pas.
Syndicats : « Il faut fixer des priorités »
Au syndicat SGP-FO (syndicat général de la police), on ne mâche pas ses mots sur le sujet des reconduites à la frontière. « Les policiers se retrouvent aujourd’hui avec deux ministères comme autorités de tutelle : l’Intérieur et l’Immigration. Ça complique tout. On déshabille Pierre pour habiller Paul et, au final, les fonctionnaires de terrain doivent en assumer les conséquences », explique Michel Sclavons, secrétaire départemental. « Sans compter le double emploi entre la Police aux frontières, formée à ces missions, et la police générale. Il faut fixer des priorités. Jusque-là, c’était les vols, les cambriolages et surtout les agressions crapuleuses, en forte hausse. Les policiers travaillent contre la délinquance et pour ces priorités-là. Mais pas pour une chasse à l’étranger, préjudiciable aux policiers ! »
La police aux frontières en première ligne
La lutte contre la clandestinité est le quotidien des fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) de Toulon. Ils sont responsables de la prise en charge des personnes en situation illégale et de la surveillance de tous les lieux susceptibles d’abriter des individus en situation irrégulière.
Chaque fois, la procédure est la même. Après une période de garde à vue, l’interpellé peut faire l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, décidé par le préfet du Var. Dès lors, il est placé en centre de rétention : celui de Marseille le plus souvent ou, faute de place, Nîmes ou Sète ! La personne appréhendée ne peut, en tout cas, y rester plus d’un mois. Soit elle est renvoyée dans son pays d’origine, soit remise en liberté selon sa situation personnelle. Dans le cadre de la procédure d’aide au retour, un autre cas peut se produire : entre 150 et 300 € offerts pour quitter volontairement le territoire et « tenter une nouvelle vie dans son pays d’origine » en échange de la promesse de ne plus revenir en France. Cette aide est non renouvelable.
Bing, le rêve brisé
Deux mois après avoir été contrainte et forcée de quitter le territoire national, Bing Yiang continue ses démarches pour l’obtention d’un visa. Cette ressortissante chinoise de 29 ans attend sereinement la réponse au recours gracieux formé auprès du préfet du Var. Par décision du 15 octobre 2007, le rejet de la demande de titre de séjour lui avait été notifié par courrier, l’obligeant à quitter la France sous un délai d’un mois. Son parcours scolaire atypique n’avait, semble-t-il, pas convaincu. Diplômée de Master 2 « Entreprise et développement local » à l’Université du Sud Toulon Var, elle rêvait « d’ouvrir une entreprise de pâtisserie à Hubei ». Mais le rêve d’obtenir un CAP de pâtisserie par le biais de la formation par alternance à Toulon s’est brisé net le 30 novembre 2002 au matin : la jeune femme a été interpellée au guichet de la préfecture du Var. Bing, venue se renseigner sur son dossier, ignorait alors qu’elle se trouvait en situation irrégulière.
- Var-Matin, le 13 février 2008.
« Quand tu n’as pas de papiers, tu es comme mort. En pire, puisque tu as peur de tout. » Bien sûr, il y a les lois, les frontières, les quotas d’expulsions, l’impossibilité d’accueillir toute la misère du monde...
Et pourtant des hommes, des femmes, des enfants s’accrochent coûte que coûte, à leur rêve – et parfois leur planche de salut : vivre en France. Malgré tout. Malgré les conditions de vie précaire, la peur incessante des contrôles, les menaces d’expulsion, les boulots les plus ingrats et les exploiteurs en tout genre.
Face à une législation de plus en plus complexe, changeante et sélective qui laisse toujours plus de candidats à l’immigration sur le carreau, les associations humanitaires sont souvent devenues le dernier refuge d’humanité. Ajoutant, par la force des choses, une nouvelle corde à leur arc : le droit des étrangers.
« Vous m’avez accueilli »
Parmi les associations varoises qui s’efforcent d’accompagner ceux en quête d’un statut, le Secours catholique [1] a acquis une juste reconnaissance. Fort de la parole biblique : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. »
« L’arrivée de réfugiés du Kosovo dans le Var en 1999a vraiment marqué une étape. La nécessité d’accompagner ces populations s’est imposée. »
Patrice Fougerat fait partie des animateurs du Relais étrangers du Secours catholique du Var. Composée de permanents et de juristes bénévoles, l’équipe est constamment confrontée à des situations difficiles, à des cas complexes.« On confond souvent les “sans-papiers” et les “clandestins”. La différence est pourtant de taille. » Les premiers sont des personnes en attente d’un statut et qui se sont fait connaître comme telles. « Les clandestins, par définition, nous ne les voyons pas. »
Donner et recevoir
Le premier travail ? Déterminer si les moyens légaux sont réunis pour obtenir un titre de séjour. Puis constituer le dossier, ce qui demande temps, ténacité et connaissances juridiques pointues. Et, quand visiblement la voie légale s’avère impossible, tenter le recours à titre humanitaire.
« Les déboutés du droit d’asile constituent le gros des effectifs. On rencontre aussi beaucoup de personnes concernées par le regroupement familial mais qui abandonnent devant la complexité des conditions requises. »
« Nous voyons forcément les plus démunis et les plus précaires des sans-papiers, des familles qui vivent dans des conditions vraiment dures », précise Patrice Fougerat. Parfois, le soir, difficile de refermer la porte sans se laisser hanter par certaines détresses. « On donne beaucoup mais on reçoit et on apprend beaucoup aussi. » Les bénévoles qui arrivent avec des préjugés les perdent vite.
Le même rêve
« Bien sûr qu’il nous arrive de rencontrer des personnes aux motivations douteuses. Mais, sans faire d’angélisme, c’est vraiment très rare. Tous ces gens en attente de papiers, ont le même rêve : travailler et élever leurs enfants en France. »
C’est d’ailleurs leur premier souci quand ils ont la chance d’obtenir leur titre de séjour : trouver un vrai boulot. Vivre enfin.
Pourtant quand la situation s’avère sans espoir, comme par exemple avec ces hommes jeunes et célibataires dont les compétences n’intéressent pas la France, reste à accomplir le plus difficile, humainement parlant : l’annoncer. « Et, si possible, commencer à travailler avec eux sur un retour au pays. » Une démarche particulièrement
éprouvante pour les étrangers dont on ne veut pas. Comment renoncer à l’espoir d’une vie meilleure et prendre le chemin du retour sans mourir un peu ?
Maillage associatif
L’Union diaconale du Var et Promosoins, offrent à tous un accès aux soins. Du moins dans les grandes villes. D’autres associations, comme le Secours populaire, aident et accompagnent ceux qui ne savent plus vers qui se tourner.
Comment une famille aimante et unie a été contrainte d’abandonner un de ses enfants... Là aussi, l’histoire finit bien mais a fait des dégâts.
Le père est arrivé du Maroc, très jeune, en 1966, pour travailler. Il a toujours vécu en France et faisait des allers-retours pour aller voir sa femme et ses enfants au pays. Jusqu’au jour où ils se sont résolus à vivre sous le même toit dans le Var, grâce au regroupement familial.
Mais voilà : si l’épouse et les enfants mineurs ont pu s’établir en France, l’aîné des fils, qui venait d’avoir 18 ans, n’a pas pu suivre le reste de la famille, trop âgé de quelques mois...
« Nous ne vivions plus »
« Cela a été horrible pour lui et pour nous. Notre fils n’a pas supporté de rester seul au Maroc. Au téléphone, on pleurait. Il a fini par nous rejoindre. Que vouliez-vous qu’on fasse ? Qu’on lui ferme la porte ? »
C’est ainsi que le jeune homme s’est rapidement retrouvé lors-la-loi sous le toit familial.
« Il ne sortait pas, il avait très peur. On n’arrivait pas à avoir des papiers pour lui. La vie était devenue impossible. Il a fait deux tentatives de suicide dont une l’a conduit dans le coma. Nous ne vivions plus. J’essayais d’expliquer mais personne ne voulait s’intéresser à notre cas. » Après bien des péripéties, l’affaire est arrivée dans les mains de Me Bochnakian. A la suite d’un recours gracieux, le jeune homme a finalement été régularisé. « Quand on a appris la bonne nouvelle par téléphone, ma femme s’est carrément évanouie. Depuis, nous nous sommes remis à vivre comme tout le monde. Notre fils est maintenant marié, il travaille. Les autres enfants aussi ont de bons boulots. On remercie la France. C’est notre pays. »
« Mes enfants ont l’avenir devant eux. Ils seront peut-être avocats ou médecins. » L’histoire de Khaled et sa famille finit bien. Il compte parmi ces « sans papiers » anonymes que Me Bruno Bochnakian, avocat au barreau de Toulon, spécialiste du droit des étrangers, défend. Avec d’autant plus de conviction qu’il assure la vice-présidence de la Ligue des droits de l’Homme, section de Toulon [2]. Rencontré dans son étude, Khaled, 36 ans, marié, père de quatre enfants, raconte son parcours chaotique, de son Algérie natale au Var, en passant par l’Italie.
« Je suis l’aîné de la famille. En Algérie, je n’avais pas d’avenir. Mon rêve, c’était l’Europe. » Il commence sa nouvelle vie en Italie où il restera dix ans, apprend vite et bien le métier de pizzaïolo, obtient rapidement son titre de séjour italien, gagne correctement sa vie. Et Khaled se marie. Avec une Algérienne qui a du mal à s’acclimater à l’Italie. « Elle voulait vivre en France, plus proche de sa culture. On s’est lancé. » Ils comptaient sur l’aide de membres de la famille déjà en France pour s’installer. « Mais en fait, ils n’ont rien fait. »
515 euros pour 30 mètres carrés
Commence alors la galère. Khaled et sa femme peuvent vivre sur le territoire français grâce à leurs papiers italiens mais n’ont pas le droit de travailler. Et pourtant il faut bien vivre. « Il ne restait que le travail au noir. Je n’avais jamais manqué d’emploi, un bon pizzaïolo, c’est recherché. Je passais d’un patron à l’autre, ils nous trouvaient des logements. » Du genre à 515 euros pour 30 m² où Khaled et sa femme, qui auront finalement quatre enfants, s’entassent à six. « Ma femme a fait une dépression sévère. Elle est restée deux mois à l’hôpital. »
Pour demander des titres de séjour français, Khaled doit attendre l’expiration des papiers italiens. Entre-temps, sa route a croisé, comme celle de tant d’étrangers, un escroc qui se fait passer pour avocat. Son complice rabat ses victimes à la sortie de la sous-préfecture de Draguignan. Des étrangers, en attente de papiers, qui payaient. « Moi, je lui ai donné 1900 euros. Puis il m’a demandé encore 500 euros parce que, soi-disant, mon dossier était bloqué à la préfecture. J’ai alors compris que c’était une arnaque. » Pour l’anecdote, ce faux avocat a fini devant le tribunal...
« Arrêtez-moi »
Une fois ses papiers italiens périmés, Khaled commence les démarches pour obtenir le droit de vivre en France. Il a une promesse d’embauche, un justificatif de domicile, un passeport mais rien ne vient. « Un jour, mon nouvel avocat, MMe Bochnakian, me dit que si je me faisais arrêter, mon cas serait examiné plus vite. Découragé, je l’ai pris au mot. J’ai essayé de me faire interpeller. Mais les policiers me prenaient pour un fou. Ils ne voulaient pas de moi. »
Finalement, tombe la circulaire du 13 juin 2006 qui permet la régularisation de certaines catégories d’étrangers. « Le dossier de Khaled était bon. Nous avons obtenu les titres de séjour », résume Me Bochnakian.
« Ce jour-là, c’était comme naître une deuxième fois. » Aujourd’hui, Khaled a réalisé son rêve : il a ouvert une pizzeria. Sa famille a enfin trouvé un logement décent. « Dans les moments de découragement total, quand par exemple ma femme était à l’hôpital et que je devais m’occuper des enfants tout en travaillant, j’ai envisagé de rentrer en Algérie. Mais je n’ai jamais pu m’y résoudre. »
Jean-Pierre Dubois, président de la LDH : « désobéir à cette loi, c’est obéir à l’humanité »
« Il y a des moments où on ne peut pas choisir d’obéir à la loi contre sa conscience. Lorsqu’une loi conduit à punir de prison ceux qui ont donné à manger à des sans-papiers, désobéir à cette loi, c’est obéir à l’humanité. »
[1] Secours catholique, délégation du Var : 04 94 89 72 00.
www.secours-catholique.com
[2] Tél 04 94 36 22 50.