la Cnil refuse les statistiques ethno-raciales


article de la rubrique discriminations
date de publication : lundi 11 juin 2007
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La Commission nationale informatiques et liberté (Cnil) a rendu public le 16 mai 2007 un rapport sur la mesure statistique de la diversité. Très attendu, ce rapport conclut au refus de statistiques construites à partir d’une nomenclature de catégories ethno-raciales. Pour la Cnil, en effet, il est possible d’évaluer la diversité et l’égalité des chances sans construire un dangereux référentiel ethnique. Un article de Libération souligne le caractère provisoire de cette décision qui ne clôt pas le débat.

Des associations, dont la Ligue des droits de l’Homme, ainsi que de nombreux chercheurs, avaient également fait part de leur refus de ce type de mesure. Une pétition avait fait suite à l’appel du Cran aux candidats à la présidentielle pour qu’ils s’engagent en faveur des statistiques ethniques qui, selon son président, « ne sont pas anti-républicaines ».


Mesure de la diversité, statistiques ethniques, égalité des chances : les 10 recommandations de la CNIL pour mieux lutter contre les discriminations

Tribune publiée sur le site de la CNIL, le 16 mai 2007 [1]

Chacun s’accorde sur la nécessité de lutter contre les discriminations. Or, pour lutter contre les discriminations, encore faut-il pouvoir les identifier, les mesurer. Dès lors, quels critères utiliser ? Quelles méthodes statistiques employer ? Qui peut le faire ?

Après avoir publié, en juillet 2005, ses premières recommandations sur le sujet, la CNIL a approfondi sa réflexion en procédant à plus de soixante auditions : chercheurs, statisticiens, organisations syndicales, représentants des grandes religions, mouvements associatifs, personnalités qualifiées, chefs d’entreprise…

Ces auditions ont montré une grande variété de points de vue, parfois des divergences, et la difficulté en ce domaine, d’aboutir à un consensus.

Néanmoins, un constat se dégage pour la CNIL : la France doit améliorer son appareil statistique et des réponses peuvent d’ores et déjà être apportées pour faire progresser la connaissance de notre société et, par là même, mieux lutter contre les discriminations.

A cet effet, la CNIL formule dix recommandations :

  • Ainsi, il est indispensable d’utiliser plus largement les sources d’information existantes et de permettre aux chercheurs d’accéder plus facilement aux fichiers de personnel, aux fichiers administratifs et aux bases statistiques publiques, bien entendu, dans le respect de la protection des données.
  • Pour mesurer la réalité de la discrimination vécue, il faut aussi développer les enquêtes par questionnaires auprès des personnes concernées. Dès lors qu’elles sont facultatives, fondées sur l’auto déclaration, et que les réponses sont confidentielles, des questions doivent pouvoir être posées sur la nationalité et le lieu de naissance des personnes, mais aussi de leurs parents. Il est aussi important que les personnes qui se sentent discriminées indiquent les critères - apparence physique, langue, nom…- sur lesquels se fondent, selon elles, cette discrimination.
  • En outre, l’analyse des prénoms et des patronymes, sous certaines conditions, - c’est-à-dire quand elle n’aboutit pas à un classement dans des catégories « ethno-raciales » - peut être utile pour détecter d’éventuelles pratiques discriminatoires.
  • A cet égard, la CNIL reste réservée sur la création d’un référentiel « ethno-racial ».
  • Enfin, il faut modifier la loi informatique et libertés pour assurer une meilleure protection des personnes et de leurs données sensibles en garantissant le caractère scientifique des recherches, en renforçant le contrôle de la CNIL sur ces fichiers de recherche pour lesquels le seul consentement des personnes ne saurait suffire.
Anne Debet, commissaire

La discrimination ethnique sans statistiques

Libération, 17 mai 2007

Imaginons qu’une entreprise, soucieuse de lutter contre les discriminations, veuille officiellement comptabiliser le nombre de Noirs qui occupent des postes de direction en son sein. Pour l’heure, la loi ne l’autorise pas à mener ce genre d’enquête. Et, à l’avenir, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) ne souhaite pas qu’il en aille autrement.
Dans un rapport rendu public hier, cette instance continue à s’opposer aux statistiques ethno-raciales. Plus précisément, elle « émet de fortes réserves sur la création d’une nomenclature nationale de catégories "ethno-raciales" ». « Nous avons considéré que ça n’est pas une voie à suivre dans notre pays » car « elle ne s’inscrit pas dans la tradition française », a répété à plusieurs reprises Alex Türk, le président de la Cnil en présentant le rapport.

Petite avancée, la Cnil prône en revanche le développement d’études « sur le "ressenti" des discriminations, incluant le recueil de données sur l’apparence des personnes », mais uniquement « dans le cadre de la statistique publique ». En clair, une entreprise privée ne pourra pas demander à ses salariés s’ils se sentent discriminés en tant que Noirs, Arabes, Asiatiques...
Pour mesurer les discriminations dont souffrent les minorités, la Cnil « admet, sous certaines conditions, l’analyse des prénoms et des patronymes pour détecter d’éventuelles pratiques discriminatoires », et recommande l’utilisation de « données "objectives" relatives à l’ascendance des personnes (nationalité et/ou lieu de naissance des parents) ». Reste que, plus l’installation des familles en France est ancienne, moins ces deux derniers critères sont pertinents, et Alex Türk en est conscient : « Ça peut tenir la route quelques années encore. Nous sommes systématiquement dans le provisoire sur ces questions. »

Pour autant, l’opposition de la Cnil aux statistiques ethniques n’est pas exempte de contradictions. Hier, le groupe Casino a été montré du doigt pour avoir mené une enquête en classant son personnel en deux groupes : ceux portant des noms arabes et ceux portant des noms européens. Or, de l’aveu même de la Cnil, cette classification n’a pas été inutile puisqu’elle a révélé un « élément intéressant ». A savoir que la différence homme-femme joue bien davantage pour les évolutions de carrière dans cette entreprise que les origines ethniques.

Catherine COROLLER

Des syndicats et des associations rejettent toute idée de statistiques ethniques

Le Monde, 8 mars 2007

La commission nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) doit publier prochainement un nouvel avis sur la mesure de la diversité. Dans ce contexte, la polémique sur l’usage de statistiques ethniques pour lutter contre les discriminations redouble. Mercredi 7 mars, les syndicats CGT, CFDT, CGC, FO et SUD de l’Insee devaient tenir une conférence de presse, avec la LDH, le MRAP, SOS-Racisme et la LICRA, pour expliquer leur "refus de l’introduction en France d’un référentiel "ethno-racial" et de fichage de la population selon de tels critères".

Ces acteurs estiment que cette lutte peut s’appuyer sur les informations et outils existants, comme le testing et les enquêtes de la statistique publique, qui est habilitée à informer sur les discriminations. Aller plus loin serait "légitimer une notion de race qui n’a aucun caractère scientifique" et, selon Julie Hervian de la CGT-Insee, "assigner aux individus une identité qui n’a pas lieu d’être et figer des catégories en prenant le risque qu’elles soient introduites dans des fichiers de gestion privés et publics".

Cette initiative fait suite à une pétition publiée le 23 février dans Libération par une trentaine de chercheurs, syndicalistes et responsables associatifs. "L’établissement de telles statistiques n’aurait de sens que dans le cadre de politiques de discrimination positive", affirmait ce texte, rejetant "ce type de discours et de politiques discriminatoires parés des vertus de l’égalité réelle qui portent en elles les germes du racisme et de l’antisémitisme".

"AVIS DIFFÉRENTS"

Cette pétition a été publiée au lendemain de la présentation par le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) des réponses au questionnaire adressé aux candidats à la présidentielle. Dans leurs réponses, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, Marie-George Buffet et Dominique Voynet se disent ouverts, si ce n’est favorables, à la production de telles données pour "avoir une connaissance précise" de la réalité des discriminations, dès lors qu’elles sont fondées sur l’autodéclaration et le volontariat, sous couvert d’anonymat. Seule Ségolène Royal juge la question "délicate", craignant que cela se retourne "par le fichage des citoyens en fonction de critères contraires aux valeurs républicaines".

Des chercheurs travaillant sur les discriminations vont d’ici peu publier un manifeste en réponse à la pétition du 23 février. "On peut avoir des avis différents, soutient Patrick Simon, chercheur à l’INED et l’un des signataires de cette initiative, mais on ne peut pas refermer le débat en disant par exemple que les statistiques ethniques n’auraient pour seule issue une politique des quotas. Il faut au contraire se donner des éléments de connaissances pour le faire avancer."

LAETITiA VAN EECKHOUT

Engagement républicain contre les discriminations

Par Jean-François AMADIEU, Patrick WEIL, Dominique SOPO, Samuel THOMAS, Mouloud AOUNIT

Libération, 23 février 2007

La lutte contre les discriminations et pour une véritable égalité suppose des actions vigoureuses. Celles-ci consistent notamment à soutenir les efforts du système éducatif, à moderniser profondément les processus de recrutement et de déroulement de carrière, à ouvrir et garantir l’accès de tous aux biens et services. Nous, signataires de cet engagement, partageons la conviction de l’importance de cet enjeu, le diagnostic des efforts qu’a encore à effectuer la France en ce domaine, et avons un objectif commun d’égalité.

Pour évaluer les discriminations en raison des origines et pour mesurer les progrès réalisés, il faut disposer de données statistiques. Les informations actuellement disponibles permettent de constituer de telles données. Des enquêtes par tests, consacrées par la loi en 2005, permettent de mesurer les discriminations par exemple dans l’accès au logement, à l’emploi ou encore aux boîtes de nuit. Dans les entreprises et dans les enquêtes nationales, nous disposons d’informations comme la nationalité ou le pays de naissance du répondant (ou de ses parents, parfois). Le prénom des individus est également disponible et suffisamment corrélé aux origines. Il est donc parfaitement possible en l’état actuel de mesurer les phénomènes discriminatoires, c’est-à-dire l’inégalité des chances d’accès à un emploi, au logement ou à certaines formes de consommation.Les discriminations en raison des origines, du handicap, du sexe, de l’âge, de l’apparence physique ou encore du lieu de résidence font déjà l’objet de mesures précises.

Vouloir aller plus loin en sollicitant des individus qu’ils déclarent leur ethnie, leur « race », leur religion ou encore leur orientation sexuelle est inutile dans le cadre de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances.
Inutiles, les statistiques ethniques sont également dangereuses. Loin de donner une image de la diversité, elles reviendraient à la simplifier outrageusement. Il est impossible de classer une population d’origines multiples en représentant cette diversité. Une classification unique serait forcément réductrice et inappropriée. Elle inventerait des groupes qui n’existent pas, créerait des divisions là où il y a rapprochement, suggérerait homogénéité là où il y a diversité, mettrait des frontières là où il y a continuité. Les statistiques ethniques auraient pour effet de faire droit à la notion de « race » ­ dont chacun reconnaît le caractère non-scientifique et le danger ­ et de développer les affrontements communautaires

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L’établissement de telles statistiques n’aurait de sens que dans le cadre de politiques de discrimination positive : refuser l’accès au logement en raison d’une certaine appartenance raciale, donner une priorité en fonction de la couleur de peau dans l’accès à l’emploi, réserver des marchés publics selon la composition des effectifs d’une entreprise ou la « race » de son dirigeant, faire correspondre la composition des effectifs d’une entreprise à son bassin d’emploi, limiter la surreprésentation d’une religion au sein d’une profession ou ajuster la composition des équipes de sport nationales aux caractéristiques ethniques ou raciales de la nation, qui seraient inventées pour l’occasion.
Nous rejetons ce type de discours et de politiques discriminatoires parés des vertus de l’égalité réelle mais qui portent en elles les germes du racisme et de l’antisémitisme. Les statistiques ethniques ne sont donc pas un outil de lutte contre les discriminations, mais risquent d’être l’instrument de certaines formes de discrimination.

Nous nous engageons à poursuivre notre combat contre les discriminations et pour l’égalité et à utiliser les informations actuellement disponibles pour étudier ces réalités et mesurer les progrès accomplis.

Nous refusons que soient collectées des informations sur l’ethnie ou la « race » des individus, leurs appartenances religieuses, leurs engagements philosophiques, politiques et syndicaux ou encore leurs orientations sexuelles dans l’objectif de connaître la composition précise d’une école, d’une entreprise, d’une profession, d’un quartier ou d’un immeuble, des populations délinquantes ou carcérales.

Nous invitons chacun à préserver, pour lui-même et pour les autres, le principe d’égalité comme celui de liberté, lequel commence par le droit à ne pas devoir choisir de révéler son appartenance ethnoraciale, sa religion, ses opinions ou son orientation sexuelle.

Nous affirmons notre attachement au principe d’égalité, fondateur de notre République, qui interdit que l’accès à un emploi, une formation, un bien ou un service puisse dépendre, même provisoirement et partiellement, de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une race, une religion.

Paris, le 1er février 2007

Liste provisoire de signataires : Jean-François Amadieu (université Paris-I), Patrick Weil (CNRS), Dominique Sopo (SOS racisme), Samuel Thomas (SOS racisme), Mouloud Aounit (Mrap), Patrick Gaubert (Licra), Alain Olive (Unsa), Jacques Voisin (CFTC), Véronique Lopez-Rivoire (Halde), Alain Blum (Ined, EHESS), Emmanuel Todd (Ined), Jacqueline Costa-Lascoux (CNRS-Cevipof), Gilles Kepel (IEP de Paris), Gwénaële Calvès (Ceri-FNSP), Justin Daniel (université des Antilles et de la Guyane), Patrick Gonthier (Unsa Education), Karim Zeribi (Parlement des banlieues), Tiennot Grumbach (avocat), Alain Anselin (anthropologue), Raphaël Liogier (Observatoire du religieux), Sylvie Thenault (CNRS), Patrick Klugman (avocat), Odile Issa (Inalco), Michel Cantal-Dupart (urbaniste), Vincent Cousseau (université des Antilles et de la Guyane), Gilbert Meynier (Université Nancy-II), Jacqueline Laufer (HEC), Laurent El Ghozi (Asav), Jocelyne Dakhlia (EHESS), Catherine Gousseff (CNRS-EHESS, Ined), Jean-Louis Amselle (EHESS), France Guérin-Pace (Ined), Arnaud de Broca (Fnath), Thierry Sibieude (Essec), Jean-Hervé Cohen (Snes-FSU), Janine Ponty (université de Besançon), Pierre-Luc Abramson (Snesup-FSU), Marie Ladier-Fouladi (CNRS, Cadis-EHESS, Ined), Messaoud Saoudi (université Lyon-II), Nadia Amiri (Histoire de mémoire), Hafid Rahmouni (Zy’va)...

Notes

[1Source : http://www.cnil.fr/index.php?id=2219, d’où vous pourrez accéder au dossier de la CNIL sur ce sujet.


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