Le débat sur la question des statistiques ethniques reprend avec l’adoption récente de la loi Hortefeux sur la « maîtrise de l’immigration ». En effet un de ses articles autorise à recueillir et à traiter des données faisant « apparaître les origines raciales ou ethniques » des personnes dans le cadre d’études, menées sous le contrôle de la CNIL, visant « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ».
Si la Cnil se félicite de l’adoption de cette proposition, de nombreuses personnalités, en revanche, lancent un « appel contre la statistique ethnique. »
Pour Eric Fassin, « mesurer la “diversité” peut être utile pour combattre les discriminations », mais « c’est inacceptable si cela cautionne une forme de xénophobie d’Etat. »
Une page du site est consacrée à la position de la LDH concernant les statistiques sur les discriminations ethniques.
Faut-il, pour étudier la discrimination, produire des statistiques fondées sur l’acceptation des clichés ethniques ?
Le débat sur la question des statistiques ethniques reprend de la vigueur avec l’adoption récente de la loi Hortefeux sur la "maîtrise de l’immigration". [2]
En effet, lors de la discussion de cette loi, un amendement a été introduit et voté qui modifie la rédaction antérieure de la loi n° 78-17 du 6 Janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Dans le premier alinéa de son article 8, cette loi dite ‘informatique et libertés" prévoit que « I. - Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. »
Suivent huit exceptions à cette interdiction, qui envisagent quelques cas particuliers, concernant le droit à se défendre en justice, la prévention en matière de santé et une autre exception sur laquelle nous reviendrons.
La loi Hortefeux ajoute une neuvième exception en autorisant : « 9° Les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration selon les modalités prévues au 9° du I de l’article 25. La présentation des résultats du traitement de données ne peut en aucun cas permettre l’identification directe ou indirecte des personnes concernées. »
Cet amendement a reçu l’approbation de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) qui considère qu’il permettra d’« assurer une meilleure protection des données personnelles recueillies et traitées dans le cadre des études sur la mesure de la diversité et des discriminations tout en garantissant le caractère scientifique de ces recherches. »
Pour Anne Debet, commissaire de la CNIL, il s’agit d’ailleurs d’une « traduction fidèle de l’une des 10 recommandations de la CNIL rendues publiques le 16 mai dernier à l’issue des travaux menés pendant près de 8 mois (et 60 auditions). »
Visiblement, le point de vue de la CNIL est qu’il vaut mieux des études autorisées et bien cadrées que des approximations faites hors cadre légal.
Ce n’est pas le point de vue de nombreuses personnalités qui ont lancé un "appel contre la statistique ethnique", déjà signé par plus de 25 000 personnes [3]
L’intitulé du site (Fiche pas mon pote) est assez peu approprié, puisque la loi interdit bien l’identification directe ou indirecte des personnes concernées par les études en question. De plus la première phrase de la pétition (« Je refuse que quiconque me demande ma couleur de peau, mon origine et ma religion. ») semble bien frileuse et peu réaliste.
Mais, abstraction faite de ces exagérations, le problème posé est bien réel et l’inquiétude légitime : accepter de voir se multiplier les questions du genre « De quelle origine vous diriez-vous ? », « et de quelle couleur de peau vous diriez-vous ? » et « Avez-vous une religion ? Si oui, laquelle ? » etc. c’est prendre le risque d’encourager une lecture "ethnique" des populations et un positionnement individuel "identitaire", là où on préférerait voir promus "liberté, égalité, fraternité".
C’est ce que les signataires expriment en disant : « Je refuse que mon identité soit réduite à des critères d’un autre temps, celui de la France coloniale, ou de Vichy. »
Alors, accepter les statistiques ethniques, au risque de laisser prospérer les clichés ? Ou les refuser, au risque que la discrimination avance masquée ?
On pourrait en effet hésiter ... si la loi "informatique et libertés" ne les permettait pas depuis longtemps.
C’est en effet la septième exception, qui indique : « 7° Les traitements statistiques réalisés par l’Institut national de la statistique et des études économiques ou l’un des services statistiques ministériels dans le respect de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, après avis du Conseil national de l’information statistique et dans les conditions prévues à l’article 25 de la présente loi. »
Et oui, l’INSEE et les ministères ont le droit, depuis fort longtemps, de mener des études "ethniques" ! Elles étaient déjà possibles, et avec les garanties qu’apporte le caractère officiel de ces organismes, avant la loi.
Donc, il ne s’agit pas, par cette nouvelle disposition, de permettre quelque chose qui était impossible, mais de généraliser largement ce qui était possible dans des conditions bien déterminées. Et là, il y a bien de quoi craindre.
Tribune d’Anne Debet, le 5 octobre 2007
L’amendement adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale et par le Sénat, dans le cadre du projet de loi relatif à l’immigration, devrait faciliter les études sur la mesure de la diversité des origines, la discrimination et l’intégration tout en améliorant la protection des droits des personnes et le caractère scientifique des enquêtes.
Notre Commission se félicite de cette proposition qui, présentée par Michèle TABAROT, Député des Alpes Maritimes et Sébastien HUYGUE, Député du Nord, tous deux membres de la CNIL, est la traduction fidèle de l’une des 10 recommandations que la CNIL avait rendues publiques le 16 mai dernier à l’issue des travaux menés pendant près de 8 mois (et 60 auditions) par le groupe de travail que j’ai présidé.
Il s’agit en effet d’adapter la loi informatique et libertés pour assurer une meilleure protection des données personnelles recueillies et traitées dans le cadre des études sur la mesure de la diversité et des discriminations tout en garantissant le caractère scientifique de ces recherches.
Communiqué de la Cnil, le 19 septembre 2007
L’amendement adopté par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale le 12 septembre tend à faciliter les recherches en matière de mesure de la diversité des origines, de la discrimination et de l’intégration tout en améliorant la protection des droits des personnes et le caractère scientifique des enquêtes.
Cette proposition n’est que la traduction fidèle de l’une des 10 recommandations (R n° 6) que la CNIL avait rendues publiques le 16 mai dernier à l’issue des travaux menés pendant près de 8 mois (et 60 auditions) par son groupe de travail sur la mesure de la diversité. La CNIL s’étonne donc de certaines déclarations récentes alors même que ces recommandations avaient été unanimement saluées quelques mois auparavant.
En effet, le droit en vigueur est inadapté et insuffisamment protecteur du droit des personnes.
Ainsi, les chercheurs (sauf l’INSEE qui peut déjà réaliser des traitements comportant l’origine ethnique des personnes sans avoir à recueillir le consentement des personnes) – et la CNIL – sont confrontés, de par la loi, au choix suivant :
C’est pourquoi la CNIL propose de soumettre l’ensemble des traitements sur la diversité à un régime unique d’autorisation, à l’instar de ce qui est prévu pour les fichiers de recherche médicale afin de garantir, sur un plan scientifique, le sérieux des études entreprises, leur impartialité et la sécurité des données.
Enfin, la CNIL tient à rappeler que l’amendement n’a aucun lien avec la création d’un référentiel "ethno-racial" sur lequel la CNIL demeure très réservée compte tenu des risques et des imprécisions d’une telle démarche.
Communiqué de la Cnil, le 17 septembre 2007
Chacun s’accorde sur la nécessité de lutter contre les discriminations. Or, pour lutter contre les discriminations, encore faut-il pouvoir les identifier, les mesurer. Dès lors, quels critères utiliser ? Quelles méthodes statistiques employer ? Qui peut le faire ?
Compte tenu des multiples enjeux soulevés par ces questions, la CNIL a souhaité engager le débat et approfondir la réflexion en constituant un groupe de travail. Ce groupe a réalisé plus de soixante auditions entre novembre 2006 et février 2007, recueillant ainsi le point de vue de l’ensemble des acteurs concernés : chercheurs, statisticiens, organisations syndicales, représentants des grandes religions, mouvements associatifs, chefs d’entreprises…
A l’issue de ces travaux, la CNIL a émis 10 recommandations dont l’une d’entre telle tend à modifier la loi « informatique et libertés » afin de faciliter les recherches en matière de mesure de la diversité des origines, de la discrimination et de l’intégration tout en améliorant la protection des données et le caractère scientifique des enquêtes.
Le 12 septembre, Michèle TABAROT, Député des Alpes Maritimes et Sébastien HUYGUE, Député du Nord, tous deux membres de la CNIL ont présenté un amendement au projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, ayant pour objet de mettre en œuvre cette recommandation. Cet amendement a été adopté par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale et prévoit que :
Cet amendement sera discuté en séance publique à l’Assemblée Nationale à partir du 18 septembre.
Mesurer la « diversité » peut être utile pour combattre les discriminations. C’est inacceptable si cela cautionne une forme de xénophobie d’Etat.
Le projet de loi sur l’immigration en cours de discussion au Parlement comporte deux amendements très controversés. Le premier, en proposant aux demandeurs de regroupement familial le recours au test ADN pour prouver leur état civil, introduit dans le droit français la notion de « filiation biologique », quels que soient les garde-fous posés par le Sénat.
Le projet de loi sur l’immigration en cours de discussion au Parlement comporte deux amendements très controversés. Le premier, en proposant aux demandeurs de regroupement familial le recours au test ADN pour prouver leur état civil, introduit dans le droit français la notion de “filiation biologique”, quels que soient les garde-fous posés par le Sénat. Le second modifie la loi de 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, en ajoutant une exception supplémentaire à l’interdiction de collecter des données sur “les origines raciales ou ethniques” : il autorise les « traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration », soit les statistiques “de la diversité”.
Ces deux amendements s’inscrivent-ils dans une même logique de racialisation ou dans des logiques opposées, discriminatoire et anti-discriminatoire ? On hésite à trancher. L’intention de l’amendement ADN est claire. Sans doute, en réaction aux protestations indignées, son rapporteur M. Mariani affirme-t-il vouloir faciliter la tâche aux demandeurs en remédiant aux carences de l’état civil dans leur pays d’origine. Mais chacun sait que cette loi vise à restreindre, et non à encourager, le regroupement familial.
Non seulement l’amendement ADN est discriminatoire, puisqu’il définit la filiation différemment selon que l’on est français ou étranger, mais il s’inscrit dans une logique plus large de racialisation de l’immigration, et en même temps de la nation française. En effet, limiter le regroupement familial, tout en jetant un soupçon systématique sur les mariages mixtes, comme le fait la loi de 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, c’est définir l’immigré sans famille, mais aussi la famille sans immigré. Autrement dit, quand le droit du sang gagne du terrain, ce n’est pas seulement l’autre qui est racialisé : la loi réinvente peu à peu la France comme une famille nationale ; elle tend à fabriquer des Français de souche.
Dans ce contexte, comment interpréter le second amendement qui autorise les statistiques de la diversité ? L’intention revendiquée est certes louable : il s’agit de combattre les discriminations en reprenant l’une des dix recommandations formulées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en mai. Comme le souligne la députée Michèle Tabarot, qui a déposé l’amendement avec son collègue Sébastien Huyghe : « Pour mieux lutter contre les discriminations, il faut pouvoir les mesurer ! » On peut toutefois s’inquiéter des usages potentiels d’une mesure également défendue par le gouvernement, alors que Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, vient de discuter avec les préfets d’un rapport des Renseignements généraux sur la « violence tribale » perpétrée par des « bandes ethniques », « formations délinquantes constituées en majorité d’individus originaires d’Afrique noire ».
La vigilance s’impose. Non seulement on est dans le cadre d’une loi qui vise à réduire les effectifs du regroupement familial. Mais, au même moment, le ministre de l’immigration appelle les préfets à augmenter leur rendement en matière d’expulsions et le chef de l’Etat annonce « un quota avec un chiffre plafond d’étrangers » et « naturellement un quota par région du monde »…
Au-delà des intentions déclarées, une logique politique d’une inquiétante cohérence prend forme aujourd’hui, qui marque le langage du second amendement. Car si les statistiques de la diversité sont bien nécessaires pour lutter contre les discriminations, encore pourrait-on les penser tout autrement. En effet, inclure cet amendement dans une loi sur l’immigration n’est-ce pas confondre les minorités visibles avec les immigrés - autrement dit, répéter le geste discriminatoire qui les exclut de la communauté nationale ?
L’exposé des motifs prévoit « des données faisant directement ou indirectement apparaître les origines raciales ou ethniques des personnes » : n’est-ce pas encore rabattre la discrimination sur l’origine ? Or quand des Noirs se voient refuser un emploi ou un logement, ce n’est pas en raison de leur origine, africaine ou antillaise, mais du seul fait de leur couleur de peau. Et c’est vrai de tous ceux qui sont victimes de discrimination raciale : le problème n’est pas de savoir s’ils sont étrangers ou d’origine étrangère, mais comment ils sont traités. Bref, au moment de combattre les discriminations, n’est-on pas en train d’en valider les catégories ?
Il est également révélateur que l’amendement prétende mesurer, en même temps que les “discriminations”, non seulement “la diversité des origines”, mais aussi “l’intégration”, qui n’a de sens que pour des étrangers. C’est d’ailleurs tout le sens de l’intitulé du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. On pose un continuum qu’explicite Brice Hortefeux en déclarant à l’Assemblée : « L’immigration non maîtrisée peut aussi produire le pire : cités-ghettos, squats, bandes, violences urbaines. » La question sociale est confondue avec la question de l’immigration. Une telle dérive n’épargne d’ailleurs pas la gauche. Le 20 septembre, le député socialiste Manuel Valls publie un manifeste « pour une politique d’immigration de gauche » : lui aussi évoque tout ensemble les « ghettos » dans les quartiers, le « modèle d’intégration » et les « quotas » d’immigration.
Résister à cette confusion n’implique pourtant pas de renoncer aux statistiques de la diversité. De fait, l’amendement ampute de manière significative la logique de la CNIL. Celle-ci proposait bien d’inclure “les données “objectives” relatives à l’ascendance des personnes (nationalité et/ou lieu de naissance des parents) dans les enquêtes pour mesurer la diversité”. Mais elle ajoutait une autre recommandation : « développer des études sur le “ressenti” des discriminations, incluant le recueil de données sur l’apparence physique des personnes ». La CNIL donnait ainsi le moyen d’appréhender la discrimination raciale autrement que l’amendement qui s’en réclame : au lieu de privilégier l’ascendance (l’origine), on peut partir de l’apparence (la couleur de peau). Car ce qui fonde la discrimination, c’est moins d’où l’on vient que comment on est perçu.
Cette logique alternative n’est donc pas fondée sur quelque “origine raciale”, mais sur l’expérience de celles et ceux que la discrimination racialise. C’est bien pourquoi de telles statistiques, loin d’assigner une appartenance “ethnique”, devraient reposer sur le choix de l’intéressé, par l’autodéclaration. On pourra ainsi penser les statistiques de la diversité contre les discriminations, et non pas contre l’immigration - à rebours de la xénophobie d’Etat.
[1] Source : www.citron-vert.
[2] Vous pourrez consulter deux pages de ce site où cette question a déjà été abordée :
[3] Pour la LDH, cette pétiton pratique un amalgame inacceptable entre une disposition scandaleuse de la loi Hortefeux, que nous avons tous dénoncée, et un projet d’études statistique demandée par la HALDE et discutée entre INED et INSEE (dit « Trajectoires et origines ») qui n’est ni finalisé ni choquant dans son principe... projet dans l’élaboration duquel la Ligue a été auditionnée par les syndicats de statisticiens et par ces institutions indépendantes du gouvernement. Voir statistiques sur les discriminations ethniques : la position de la LDH.