Azouz Begag en a marre de passer pour l’« Arabe de service »


article de la rubrique discriminations
date de publication : mercredi 1er novembre 2006
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Azouz Begag est-il, depuis juin 2005, ministre délégué chargé de la Promotion de l’Egalité des chances, ou ministre délégué à la promotion de sa chance ? [1]


Azouz Begag, un ministre en colère

par Nadjia Bouzeghrane, El Watan du 28 octobre 2006

C’est un ministre « en colère » qui s’est exprimé mercredi dernier devant la presse étrangère. Invité par le club de la presse arabe, à deux jours du premier anniversaire des émeutes des banlieues de la région Ile-de-France, Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, s’est longuement exprimé sur les attaques médiatiques dont il fait l’objet et la difficulté d’être « un ministre issu de l’immigration algérienne, arabe et de culture musulmane d’entrer dans un gouvernement français ».

Comme quoi même quand on est au plus haut de l’échelle sociale et qu’on a pris l’ascenseur social jusqu’au bout, on n’est pas à l’abri des discriminations lorsqu’on s’appelle « Mohamed » ou tout simplement « Azouz Begag ». Apparemment, le ministre en avait gros sur le cœur. « Le monde de la politique est cruel, difficile et hermétique. J’ai essuyé pendant de longues semaines, des mois, des questions insultantes. On me traitait d’"Arabe de service", d’"Arabe de Villepin" », a souligné Azouz Begag. Et d’ajouter que « c’est encore difficile même quand on est au plus haut niveau politique de faire état de ses talents, de ses compétences. J’ai écrit 40 livres, je suis chercheur au CNRS depuis 20 ans, je travaille sur les questions de l’égalité des chances, de l’intégration, de l’immigration depuis de longues années ». Et de s’interroger : « Est-ce que ce sont des Républicains qui veulent dire aux jeunes des banlieues que le ministre, qui assiste tous les mercredis au Conseil des ministres, n’est que "l’Arabe de service", "une caution". C’est cela la démocratie ? Ce sont des irresponsables. »

Sémantique guerrière

Sur les émeutes dans les banlieues, il y a un an, Azouz Begag a commencé par balayer toute idée de commémoration. « Il n’y a rien à célébrer. Célébrer 13 000 voitures volées ? Des écoles incendiées ? La violence ?. » Puis d’ajouter que « les journalistes feraient mieux de parler de ce qui a été fait pour les banlieues comme le Tour de France de la diversité auquel 10 000 entreprises ont participé ». « Il y a 20 ans, je disais si les autorités ne font pas l’ouverture sociale vers les banlieues, ils ne font pas entrer dans l’ascenseur social politique des enfants de banlieue, un jour, tous ces enfants vont sortir et ils vont brûler toutes les voitures. » Sur son désaccord avec le ministre de l’Intérieur [2]. sur la gestion sécuritaire de « la crise des banlieues », Azouz Begag affirme : « Quand je me suis opposé à une sémantique que j’ai qualifiée de guerrière, d’aucuns ont dit que j’étais téléguidé. » Il martèle que l’égalité des chances ce n’est pas l’intégration. « Depuis 1975, on nous remplit la tête de ce concept creux d’intégration. » Et aussi : « Je veux que cette égalité des chances soit une exigence personnelle. La nouvelle mentalité que nous sommes en train d’installer depuis 8 mois, c’est que chaque personne qui a le sentiment d’être dans une inégalité se dise : ‘‘Pourquoi pas moi’’, et non ‘‘ce n’est pas pour moi’’. Nous avons aujourd’hui soulevé un élan vers cette exigence. Tout est prêt pour fonder un pacte républicain. »

Diversité

« On n’a pas le droit de dire aux enfants qu’ils sont mort-nés quand ils habitent les banlieues. » « La diversité c’est une source de rentabilité sociale et économique. » « Qui peut s’opposer à cette diversité en marche, même Jean-Marie Le Pen se vante de faire de la diversité. » Sur le droit de vote des immigrés, il considère qu’« il faut donner des étapes à la démocratie », « à la participation », « si nous obtenons que les jeunes Français aillent voter plutôt que casser, retrouvent confiance dans le politique, nous aurons gagné ». Soit intégration pour les uns, égalité des chances pour les autres. « Je souhaite que les responsables des banlieues qui demandent à être reçus à l’Assemblée nationale et au Sénat soient candidats à ces institutions, c’est ce dont nous avons besoin. » Selon Azouz Begag, les prochaines législatives ne feraient pas entrer plus de six députés d’origine arabe ou africaine à l’Assemblée sur 577 députés (pour une population issue de l’immigration de plus de 15 millions de personnes en France). « Il faut que les appareils politiques s’ouvrent à la diversité. » Sur l’affaire des sans-papiers de Cachan : « J’étais très mal à l’aise. Je ne supporte plus que depuis 25 ans, à chaque élection majeure, le problème de l’immigration revienne, et quand on lui associe la sécurité tout est fait pour faire monter les extrémismes. La question de l’immigration est polluée par l’utilisation politique. » Relevant qu’ayant constaté que les trois quarts des jeunes de confession musulmane font le Ramadhan - il ne voit pas là une crispation identitaire, voire un risque d’appel de sirènes extrémistes pour certains - mais le constat de l’appartenance à une culture. Ce qui aux yeux du ministre n’a rien de contradictoire avec la citoyenneté française. « Le sentiment d’appartenir à l’histoire n’est pas contradictoire avec la citoyenneté française. Mes parents sont de Sétif. Je n’ai pas eu peur au moment de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 de dire que le 8 Mai 1945 c’était le massacre de ma famille. » « On est dans la construction identitaire. »

Nadjia Bouzeghrane

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Azouz Begag sur le vif

Azouz Begag en flagrant délit d’inégalité des chances. Interpellé à Lyon par un jeune chômeur, le ministre met en doute son honnêteté.

par Olivier Bertrand, Libération, jeudi 30 mars 2006
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Azouz Begag (AFP Patrick Kovarik)

Sans les images, la scène serait difficile à croire. Vendredi, alors qu’il participait à un colloque à la préfecture du Rhône, Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, s’est livré à un curieux dérapage sur un jeune demandeur d’emploi, membre d’une association. Le garçon l’avait interpellé devant des journalistes. Alors, une fois les médias repartis, le ministre l’a soumis à la question, et la caméra de l’association a tout enregistré. Au départ, le ministre répondait à des journalistes après une rencontre sur l’égalité des chances. Il défendait le CPE, disait que « les étudiants qui investissent la Sorbonne devraient se souvenir des émeutes » de l’automne dernier. Le chômage, ajoutait-il, « atteint 50, 60 % chez les jeunes des quartiers qui se sont manifestés violemment ». Il promettait de « défoncer les cloisons, les plafonds de verre de cette société », lorsqu’un jeune homme l’a interrompu.

« Votre CV ». Mansour, 27 ans, chômeur, prépare pour une association, Camérage, un documentaire sur les « parcours de vie » d’habitants de barres qui seront détruites. Il pensait au départ interroger le ministre sur le sujet, mais les propos d’Azouz Begag le faisant réagir, il le coupe : « J’ai deux bacs + 5, je m’appelle Mansour Benaouda et je cherche du travail depuis trois ans. Qu’est-ce que vous avez à me dire ? » Azouz Begag prend alors les journalistes à témoins. « J’adore. Filmez-le ! Moi, je ne parle pas dans le vide. » Comme le ministre répète le nom de famille de Mansour en le prononçant à l’arabe, le jeune homme lui dit : « On peut le dire en français. » Puis il détaille ses diplômes, passés à l’Ecole normale supérieure et à Lyon-II. Azouz Begag lui explique que le gouvernement va s’engager dans un plan de retour à l’emploi « pour 6 000 jeunes des quartiers ». Mais Mansour rétorque qu’il n’habite pas un « quartier », et qu’il veut devenir « concepteur-rédacteur dans la publicité ou la communication ». Azouz Begag lui dit : « Nous sommes là pour vous aider. Donnez-moi votre CV. » Mansour répond : « Ça s’appelle du piston. » Alors, le ministre rétorque : « Ça s’appelle réinscrire sur le marché du travail des jeunes qui ont des compétences. Pourquoi je vous pistonnerais ? Vous n’êtes pas mon frère. » La conférence de presse est alors écourtée, et le ministre rejoint le cocktail dans un salon de la préfecture.

Les journalistes s’en vont, mais Mansour continue de filmer. Soudain, Azouz Begag l’avise et vient vers lui, suivi de plusieurs personnes. « Alors, est-ce que vous pouvez nous dire qui vous êtes, jeune homme, finalement ? » Mansour commence à répondre, mais le ministre le coupe. « Attendez, nous aussi on va vous filmer. » Il s’adresse à un homme qui le suit : « Prends la caméra, filme. » L’homme s’exécute, prend la caméra des mains de Mansour. « Allez, dites-nous qui vous êtes. On va essayer de dérouler ce qui se passe », reprend le ministre, pendant que Cécile, membre de Camérage, tente de reprendre la caméra. Begag, autoritaire, s’interpose : « Non, non. S’il vous plaît ! Vous laissez. C’est lui qui va filmer. »

Subventionnés. Mansour ne s’énerve pas, répond aux questions, puis l’homme qui filme lui demande, en le tutoyant d’emblée : « Et tu travailles ou pas ? » Il répond qu’il cherche de travail. Alors l’homme lui jette : « T’as une belle caméra pour quelqu’un qui ne travaille pas. » Et le ministre Azouz Begag, en souriant, reprend la phrase : « Vous avez une belle caméra. C’est votre caméra ça ? » Mansour explique que l’appareil appartient à l’association, qu’ils sont subventionnés. Azouz Begag demande alors à Mansour le nom de son association, et celui qui filme ajoute : « De gauche ou de droite ? » Mansour répond : « Mais c’est ça le piège. Vous faites une division des êtres humains par des idées de droite et de gauche. Ça ne veut plus rien dire. Monsieur Georges Frêche, par exemple, a l’étiquette du Parti socialiste. On ne peut pas dire qu’il soit vraiment de gauche. » Begag le coupe : « Répondez à la question, c’est tout. »

Un proche du ministre demande ensuite à Mansour s’il joue la comédie. Alors, le jeune homme répond, effaré : « Mais vous vous rendez compte ? Vous êtes en train de prendre une situation réelle, une situation de crise pour moi, pour une comédie ? » L’homme qui le filme dit : « Moi, je veux juste te poser une question. Tout à l’heure, tu as dit que tu cherchais du boulot. En fait, tu t’en fous d’avoir du boulot. Tu voulais juste tester s’il tient parole, le ministre ? » Mansour lui répond : « Je ne m’en fous pas d’avoir un boulot. J’ai envie d’être comme tout le monde. » Quelqu’un lui lance : « Tu devrais passer un CAP son et lumière. » Et Azouz Begag conclut, en le tutoyant, cette fois : « T’as pas l’air très clair, hein ? » La caméra s’abaisse et l’image s’arrête.

Manipulation. Cinq jours après les faits, le cabinet se montre embarrassé. Azouz Begag indique qu’il a réagi ainsi car il pensait à une manipulation. Il affirme qu’il ne connaissait pas l’homme qui a filmé à sa demande, même s’il le tutoyait. « Ma première démarche, insiste-t-il, a été de sortir de la galère le garçon qui m’interpellait. Je suis sympa, je lui demande de m’envoyer un CV pour le transmettre aux entreprises, et je le retrouve dix minutes plus tard en train de me filmer, de me voler des images en douce. J’ai senti une manipulation profonde. Puis on s’est rendu compte avec la préfecture que c’était une association financée. »

Vendredi, l’attachée de presse du ministre, un conseiller technique puis le chef de cabinet ont appelé à tour de rôle l’association pour expliquer qu’il s’agissait d’une méprise, et s’excuser. Mais les membres de Camérage ont quand même décidé de raconter ce qui leur est arrivé. Mansour a même envoyé un CV au ministère, hier matin. « Ce n’est pas une solution, dit-il, mais je ne voulais pas qu’ils disent que je me fous du travail. » En attendant d’en trouver, il a décidé, avec les membres de l’association, de réaliser un petit documentaire sur leur rencontre avec le ministre.

Olivier Bertrand
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Début juin 2005, Azouz Begag était nommé ministre délégué à la Promotion de l’Egalité des chances du gouvernement Villepin.

P.-S.

Dimanche 29 novembre 2006, Azouz Begag annonce sa candidature "sans étiquette" aux élections municipales à Lyon – une façon de se placer face aux deux candidats attendus : Dominique Perben (UMP), ministre des Transports, et le maire actuel de Lyon, Gérard Collomb (PS).

Notes

[1D’après le titre d’un article de Vanessa Schneider dans Libération du 1er novembre 2006.

[2Dans Le Monde du 26 octobre 2006, Philippe Ridet rapporte la réflexion de Nicolas Sarkozy à propos d’Azouz Begag , en pleine réunion de la commission exécutive de l’UMP, mardi 17 octobre : « Celui-là, il faudrait qu’il apprenne à fermer sa gueule ! »

Vanessa Schneider rappelle, dans Libération du 1er novembre 2006, que le ministre de l’Intérieur ne peut plus souffrir le ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances depuis que ce dernier lui avait reproché son vocabulaire (« racailles », « Kärcher ») pendant les émeutes en banlieue l’année dernière. Il ne lui adresse plus la parole. Azouz Begag s’en contrefiche ( « Je suis content quand Sarkozy me demande de fermer ma gueule, ça prouve que, lorsque je l’ouvre, ça marque », explique-t-il au Progrès) et continue à dire tout le mal qu’il pense de son tout-puissant collègue. Il ne s’est ainsi pas gêné pour qualifier d’ « inacceptables » les propos tenus par Doc Gyneco à l’université d’été de l’UMP, où le rappeur, nouveau chouchou du ministre d’Etat, avait traité de « clowns » les banlieusards.

Sur ce sujet, on lira les chroniques de Thierry Lenain consacrées à Azouz Begag.


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