l’UMP se mobilise contre l’introduction de la “théorie du genre” au lycée


article de la rubrique discriminations
date de publication : samedi 3 septembre 2011
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Des parlementaires UMP, emmenés par le collectif de la Droite populaire, relancent une campagne contre certains aspects des nouveaux programmes du lycée en sciences de la vie et de la terre (SVT) ayant trait à la sexualité.

En juillet dernier, 14 parlementaires, prenant le relais des critiques formulées fin mai par l’enseignement catholique, avaient posé une question écrite sur ce thème au ministre de l’éducation nationale. Ce sont désormais 76 – et non 80 – députés de la majorité qui ont demandé mardi 30 août au ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, le retrait des manuels scolaires qui font intervenir le contexte socio-culturel dans la construction de l’identité sexuelle des individus. Estimant qu’ils « posaient une vraie question », Jean-François Copé leur a depuis lors apporté son soutien.

Dans leur lettre, signée notamment par Christian Vanneste, Lionnel Luca et Jacques Myard, de la Droite populaire, ainsi que par Bernard Debré, Hervé Mariton... – vous en trouverez la liste ci-dessous –, ils jugent que ces manuels se réfèrent à « la théorie du genre sexuel », selon laquelle, déplorent-ils, « les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités : homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels ».

[Mis en ligne le 2 septembre 2011, mis à jour le 3]



Féminin, masculin, "produits d’une construction sociale", explique une historienne

[ AFP – entretien avec Florence Rochefort [1] ]


« Toutes les représentations assimilées au féminin et au masculin sont le produit d’une construction sociale », souligne Florence Rochefort, chercheuse au CNRS et présidente de l’Institut Emilie du Châtelet pour le développement des recherches sur les femmes, le sexe et le genre.

  • Des associations catholiques et des députés UMP s’insurgent contre des passages de manuels scolaires parlant d’identité sexuelle et de genre. De quoi s’agit-il ?

Le genre c’est un concept qui s’est diffusé dans les sciences humaines et sociales pour dire qu’il existe autre chose qu’un sexe biologique défini par des hormones – on a appelé ça à un moment le sexe social. Car la définition même des catégories homme et femme, leurs rôles, leurs fonctions, toutes les représentations assimilées au féminin et masculin sont le produit d’une construction sociale.

Le concept de genre nous permet d’interroger la construction des normes, la construction de ces catégories. Notre travail se situe dans la prolongation de la démarche féministe qui remet en cause l’idée d’une infériorité naturelle et d’une prédestination à certaines tâches, dans cette même lignée de déconstruction des évidences, pour montrer que ce sont pas des vérités absolues, mais seulement des vérités pour une certaine tranche de la population ou à un moment donné, qui ne s’appuient pas sur des preuves.

  • Où en est-on aujourd’hui ?

La société continue à reproduire une norme dominante. Par exemple les livres pour enfants continuent à véhiculer des stéréotypes souvent très arriérés par rapport à la réalité d’aujourd’hui : le petit garçon est très actif, courant partout, conquérant de l’espace, la petite fille plus volontiers à la fenêtre regardant au dehors, figée, passive. Il y a aussi le code des couleurs rose et bleu, le fer à repasser pour la petite fille...

Le concept de genre montre d’ailleurs à quel point ces rôles sont contraignants pour les hommes. Le système craque de partout, ne correspond plus à des mutations en cours, à des aspirations plus individualistes, à la liberté, l’épanouissement et la singularité de chacun. Sur une même journée j’utilise des registres très différents de ma personnalité, que l’ancienne psychologie définirait comme masculin ou féminin : suis-je un homme quand je dirige un institut, une femme quand je fais le repas ?

  • C’est important qu’on en parle dans les manuels scolaires ?

C’est important que tout le monde ait les outils scientifiques adéquats pour réfléchir, se faire son opinion. C’est un nouveau champ de la recherche scientifique qui existe depuis plus de 40 ans et qu’on ne peut remettre en cause, un champ immense qui touche toutes les disciplines.

Mais le lobby catholique veut faire valoir sa différence idéologique par rapport à la banalisation de l’homosexualité, et il est assez fort. L’Eglise se crispe, d’une façon ouvertement doctrinaire. La droite est attirée par le durcissement de ton à des moments particuliers.

(Sur le site de l’Institut (http://www.mnhn.fr/iec) une pétition est ouverte à la signature, sous l’intitulé "enseigner le genre, contre une censure archaïque").

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Les signataires de la lettre au ministre

Voici la liste complète publiée par TÊTU des “80 députés” qui ont signé la lettre au ministre dénonçant l’utilisation de « la théorie des genres sexuels » dans les manuels scolaires. En réalité cette liste ne comporte que 76 noms [2]. : trois apparentés UMP, 67 UMP, quatre Nouveau centre et deux députés n’appartenant à aucun groupe.


Richard Mallié (Bouches-du-Rhône (10ème), UMP)
Véronique Besse (Vendée (4ème), aucun groupe)
Elie Aboud (Hérault (6ème), UMP)
Alfred Almont (Martinique (2ème), UMP)
Patrick Beaudouin (Val-de-Marne (6ème), UMP)
Etienne Blanc (Ain (3ème), UMP)
Valérie Boyer (Bouches-du-Rhône (8ème), UMP)
Jean-Marie Binetruy (Doubs (5ème), UMP)
Emile Bléssig (Bas-Rhin (7ème), UMP)
Claude Bodin (Val-d’Oise (4ème), UMP)
Chantal Bourragué (Gironde (1ère), UMP)
Françoise Branget (Doubs (1ère), UMP)
Louis Cosyns (Cher (3ème), UMP)
Marie-Christine Dalloz (Jura (2ème), UMP)
Bernard Debré (Paris (15ème), UMP)
Jean-Pierre Decool (Nord (14ème), apparenté UMP)
Rémi Delatte (Côte-d’Or (2ème), UMP)
Bernard Depierre (Côte-d’Or (1ère), UMP)
Eric Diard (Bouches-du-Rhône (12ème), UMP)
Jean-Pierre Door (Loiret (4ème), UMP)
Dominique Dord (Savoie (1ère), UMP)
Jean-Michel Ferrand (Vaucluse (3ème), UMP)
Sauveur Gandolfi-Scheit (Haute-Corse (1ère), UMP)
Jean-Paul Garraud (Gironde (10ème), UMP)
Alain Gest (Somme (6ème), UMP)
François-Michel Gonnot (Oise (6ème), UMP)
Philippe Gosselin (Manche (1ère), UMP)
Michel Grall (Morbihan (2ème), UMP)
Anne Grommerch (Moselle (9ème), UMP)
Pascale Gruny (Aisne (2ème), UMP)
Jean-Claude Guibal (Alpes-Maritimes (4ème), UMP)
Francis Hillmeyer (Haut-Rhin (6ème), Nouveau Centre)
Françoise Hostalier (Nord (15ème), UMP)
Guénhaël Huet (Manche (2ème), UMP)
Jaqueline Irles (Pyrénées-Orientales (4ème), UMP)
Jacques Lamblin (Meurthe-et-Moselle (4ème), UMP)
Thierry Lazaro (Nord (6ème), UMP)
Michel Lejeune (Seine-Maritime (12ème), UMP)
Jean-Marc Lefranc (Calvados (5ème), UMP)
Céleste Lett (Moselle (5ème), UMP)
Gérard Lorgeoux (Morbihan (3ème), UMP)
Gabrielle Louis-Carabin (Guadeloupe (2ème), UMP)
Lionnel Luca (Alpes-Maritimes (6ème), UMP)
Daniel Mach (Pyrénées-Orientales (1ère), UMP)
Jean-Pierre Marcon (Haute-Loire (1ère), apparenté UMP)
Hervé Mariton (Drôme (3ème), UMP)
Christian Ménard (Finistère (6ème), UMP)
Gérard Menuel (Aube (3ème), UMP)
Philippe Meunier (Rhône (13ème), UMP)
Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne (1ère), UMP)
Alain Moyne-Bressand (Isère (6ème), UMP)
Jacques Myard (Yvelines (5ème), UMP)
Jean-Pierre Nicolas (Eure (2ème), UMP)
Yves Nicolin (Loire (5ème), UMP)
Béatrice Pavy (Sarthe (3ème), UMP)
Nicolas Perruchot (Loir-et-Cher (1ère), Nouveau Centre)
Henri Plagnol (Val-de-Marne (1ère), UMP)
Josette Pons (Var (6ème), UMP)
Eric Raoult (Seine-Saint-Denis (12ème), UMP)
Laure de la Raudière (Eure-et-Loir (3ème), UMP)
Fréderic Reiss (Bas-Rhin (8ème), UMP)
Jacques Remiller (Isère (8ème), UMP)
François Rochebloine (Loire (3ème), Nouveau Centre)
Jean-Marc Roubaud (Gard (3ème), UMP)
Rudy Salles (Alpes-Maritimes (3ème), Nouveau Centre)
Fernand Siré (Pyrénées-Orientales (2ème), UMP)
Dominique Souchet (Vendée (5ème), aucun groupe)
Guy Teissier (Bouches-du-Rhône (6ème), UMP)
Michel Terrot (Rhône (12ème), UMP)
Dominique Tian (Bouches-du-Rhône (2ème), UMP)
Yves Vandewalle (Yvelines (2ème), UMP)
Christian Vanneste (Nord (10ème), UMP)
René-Paul Victoria (Réunion (1ère), apparenté UMP)
Philippe Vitel (Var (2ème), UMP)
Michel Voisin (Ain (4ème), UMP)
Jean Ueberschlag (Haut-Rhin (4ème), UMP)

Duos habet ?

Pour la droite catholique, la théorie du genre se limite à :
« duos habet et bene pendentes »


Jeudi 1 septembre 2011

À la faveur de la rentrée scolaire, le feu qui couvait depuis deux mois sur l’affaire de l’intégration de la théorie du genre dans les manuels scolaires se ravive. Ce que compte l’Assemblée nationale comme députés de la droite catholique vient de signer une pétition pour le retrait des manuels scolaires en question. Ces 80 députés viennent compléter les 37.000 signatures recueillies par leur courroie de transmission dans l’institution familiale : Familles de France.

La raison de tout ce tapage : des manuels de Sciences et Vie de la Terre qui osent évoquer, très succinctement, l’idée selon laquelle notre identité sexuelle n’est pas seulement biologique, mais également une construction socioculturelle et psychique.

La belle affaire, ils devraient également proposer l’interdiction de l’étude des civilisations antiques grecques et romaines par exemple, car les élèves risquent à tout moment de découvrir le pot aux roses : les mœurs, la sexualité, le rôle des hommes et des femmes ont varié considérablement au cours de notre Histoire, et cela contredit totalement l’idée de deux identités sexuelles immuables. C’est donc bien ces députés qui veulent introduire de l’idéologie au sein des manuels scolaires contrairement à ce qu’ils affirment : ils veulent continuer à imposer la vison de deux sexes purement biologiques [3] renvoyant à des rôles immuables depuis… Adam et Ève. L’hétérosexualité étant la norme indéfectible.

En lisant la lettre envoyée par Famille de France au Président de la République pour lui demander d’interdire les manuels en question, on est vite édifié : parler de quelque chose en rapport avec le sexe à des élèves de 1re revient à les corrompre, ou, pire, à « être responsable de plus de grossesses précoces et de cas d’infections sexuellement transmissibles ». Et d’ailleurs, les élèves « ont bien d’autres préoccupations à avoir en Première ». Quand le professeur Henri Joyeux prend sa plume, on n’est jamais déçu du résultat !

Il réussit même le tour de force de nous faire la leçon, « estim[ant] que le principe de l’Ecole républicaine s’appuyant sur la prévalence de la raison est remis en cause. En effet la mission de l’école, dans ses enseignements scientifiques, ne peut s’appuyer que sur une méthodologie rationnelle, et non pas sur des opinions ou des croyances quelconques, encore moins des idéologies. »

Reste qu’il est intéressant que les élèves en SVT comprennent que tout n’est pas inné, que nous avons aussi des caractères acquis, fruits de notre histoire, de notre environnement, de notre psychisme et de nos choix, qu’il n’y a pas de normes, et qu’il n’y a aucune raison pour hiérarchiser d’un point de vue moral les différentes identités sexuelles.

Non le genre, la sexualité, les rôles dans la société ne sont pas déterminés totalement par la biologie, ce n’est pas aussi simple que duos habet et bene pendentes [4].

Nicolas Gavrilenko


Notes

[3Il est à noter que la biologie n’arrive pas toujours à déterminer clairement le sexe d’une personne.

[4«  Il en a deux, et bien pendantes » est une phrase rituelle concernant le moment de la vérification que le futur pape est bien un homme. Cette phrase, et cette vérification font partie de la légende de la papesse Jeanne qui raconte comment une femme est devenue pape au 9e siècle en cachant son identité sexuelle. Si cette papesse n’a sans doute jamais existé, on peut au moins dire que cette légende a travaillé le christianisme pendant plusieurs siècles et que les identités et/ou pratiques sexuelles de la papauté, pendant les 9e, 10e et 11e siècles, ont été pour le moins… troubles.


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