Les enquêtes réalisées par le Centre d’analyse stratégique et par le Bureau international du travail (BIT), reposant sur le testing, concluent toutes deux à l’importance d’une discrimination à l’embauche sur “l’origine”.
« Près de quatre fois sur cinq, un employeur français préfère embaucher un candidat “d’origine hexagonale ancienne” plutôt qu’un autre d’origine maghrébine ou noire africaine ».
Une situation qui ne semble malheureusement pas propre à la France.
Julien Dubois a eu de la chance, Youssuf Belkacem beaucoup moins. Quand le premier n’a eu besoin que d’envoyer 6 curriculums vitae pour décrocher son premier entretien d’embauche, le second a dû en envoyer... 21. Et encore, tous deux postulaient pour des emplois de serveur dans la restauration. S’ils avaient cherché dans la comptabilité, Julien Dubois aurait dû envoyer 19 CV, Youssuf Belkacem 277... presque quinze fois plus !
Le Centre d’analyse stratégique (CAS) a publié sur son site Internet [1]
les résultats d’une opération de testing menée sur des jeunes de banlieue d’Île-de-France dans deux secteurs professionnels : la restauration et la comptabilité. De début octobre à fin novembre 2006, l’organisme qui conseille Matignon a envoyé 2 112 CV et lettres de motivations d’hommes âgés de 18 à 22 ans, en réponse à des offres d’emploi déposées à l’ANPE. Objectif : tester les effets d’un nom, d’un prénom et d’une nationalité d’origine française ou marocaine sur les chances d’obtenir un entretien d’embauche. « Si la nationalité ne ressort pas, en elle-même, comme un critère de discrimination statistiquement significatif, l’effet cumulé de la nationalité et du nom s’avère bien discriminant et amplifié par l’effet du prénom », écrit le CAS. En clair, l’opération a permis de poser un « diagnostic de fortes discriminations à l’embauche à l’encontre des jeunes d’origine étrangère ».
Éclairer les décisions politiques
Déjà formulé par de nombreuses associations, le diagnostic du CAS prend toutefois une force nouvelle puisque c’est la première fois qu’il est exprimé par un organe aussi proche du gouvernement. Donc plus susceptible de se traduire par une décision politique. Le CAS se garde toutefois de prendre position, du moins dans l’immédiat. « Reste à déterminer dans quelle mesure ce type de diagnostic peut contribuer à éclairer les décisions de politique publique, sachant qu’en matière de lutte contre les discriminations, les réponses vont des quotas contraignants à l’action positive (charte de la diversité) en passant par le CV anonyme », relève la note. Ce sera l’objet d’une journée d’étude, programmée le 28 mars, qui se penchera également sur les travers de la méthode du testing. Premier d’entre eux relevé par la note du CAS : le coût de la méthode qui en limite la portée. Les expériences étant rarement réitérées, les résultats d’un testing peuvent ainsi être affectés par des « biais de saisonnalité », souligne le CAS. En outre, et dans le cas de l’opération en question, les enquêteurs ont « maquillé » les candidatures pour limiter les risques que les employeurs se rendent compte de l’expérience. En utilisant différents types de timbre pour envoyer la candidature, en mentionnant différents lieux de résidence ou différents types de diplômes. « Un timbre fantaisiste peut annuler les chances de succès d’un candidat d’origine marocaine qui recherche un emploi de comptable sans affecter significativement celle d’un candidat marocain à un poste de serveur », relève la note. Sans doute, mais les résultats du testing du CAS demeurent éloquents...
GENÈVE - Près de 4 fois sur 5, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noire africaine selon une enquête nationale par tests de discrimination conduite en France sous l’égide du Bureau international du Travail (BIT) mandaté par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère français de l’Emploi et de la Cohésion sociale. Cette étude, intitulée « Les discriminations à raison de “l’origine” dans les embauches en France »
[2]a été rendue publique le 14 mars à Paris.
Le BIT a déjà réalisé des enquêtes par tests de discrimination aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en Belgique et aux Etats-Unis et plus récemment en Suède comme en France. Cette recherche a obtenu des résultats statistiquement significatifs qui permettent de mesurer l’existence ou non d’une discrimination à l’embauche à l’encontre des travailleurs migrants ou d’origine étrangère.
Le test en situation est une technique d’expérimentation, qui procède en situation réelle se basant sur des comportements constatés, plutôt que sur des déclarations subjectives, d’employeurs en recherche de candidats et de postes à pourvoir. Les résultats des tests ne peuvent être influencés par des réponses socialement correctes puisque les employeurs ne sont pas conscients d’être en situation de tests, c’est ce qui a conduit le BIT à retenir cette technique.
Le principe est simple : deux candidats testeurs en tous points similaires (parcours scolaire, formation, expérience professionnelle et lieu de résidence), excepté le patronyme. Les comportements adoptés par les recruteurs au fil des étapes de recrutements sont ensuite scrupuleusement enregistrés.
Les tests du BIT sur la discrimination à l’embauche ont montré l’existence de celle-ci dans l’ensemble des pays couverts par la recherche. Des taux nets globaux de discrimination sont importants : les candidats d’origine étrangère doivent déposer trois ou quatre fois plus de candidatures pour obtenir le même nombre de réponses positives que le candidat d’origine nationale.
Le BIT réalise ce testing pour aider les membres des gouvernements et les partenaires sociaux à approfondir leur connaissance des attitudes discriminantes sur le marché du travail et pour permettre et orienter l’application de solutions efficaces.
En France, le BIT a testé ainsi 2 440 offres d’emploi. Sur chaque site, 350 candidats testeurs (des comédiens formés à l’exercice) ont répondu à des offres d’emploi de basses et moyennes-basses qualifications, dans les secteurs du commerce et de la vente, des hôtels-restaurants, du transport ou du BTP, pour les hommes ; du commerce et de la vente, de la santé, des services à la personne, des hôtels- restaurants, de l’accueil et du secrétariat pour les femmes.
Tous Français, les candidats au parcours rigoureusement équivalent se distinguant uniquement par le nom (évoquant soit une « origine hexagonale ancienne » : Marion ROCHE, Jérôme ou Emilie MOULIN, soit une « origine maghrébine ou noire africaine » : Kader ou Farida LARBI, Kofi ou Binta TRAORÉ) ont engagé la même procédure de candidature pour le même emploi.
Dans ses conclusions, le rapport souligne que près des neuf dixièmes de la discrimination est enregistrée avant même que les employeurs ne se soient donné la peine de recevoir les deux testeurs en entrevue.
Collectivement, les employeurs testés ont très nettement discriminé les candidats minoritaires. Il apparaît que seulement 11 pour cent des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les deux candidat(e)s, en leur proposant un essai ou une embauche, ou en les refusant tou(te)s les deux après les avoir rencontré(e)s. En revanche, 70 pour cent des employeurs ont choisi de favoriser le/la candidat(e) majoritaire, contre 19 pour cent qui ont favorisé le/la candidat(e) minoritaire.
Les testings effectués par la méthodologie du BIT ont eu des impacts significatifs dans certains pays où ils ont été menés. En Belgique par exemple, au milieu des années 90, l’étude du BIT a permis la mise en place de campagnes de lutte contre les discriminations par les trois grandes fédérations syndicales et a également permis l’élaboration par la fédération des employeurs d’un code de pratique pour ses membres. Des mesures administratives antidiscriminatoires ont été adoptées au niveau régional et fédéral. Des formations spécifiques sur la discrimination ont été menées par l’inspection du travail. Les résultats de la recherche ont permis une modification de la législation nationale
Le rapport sur la France sera publié par la suite dans la série des documents de travail de l’OIT Cahiers des migrations internationales, dont le but est de diffuser les résultats des recherches récentes portant sur les tendances mondiales en matière de migration et de chercher à stimuler le dialogue et l’élaboration de politiques de régulation de la migration de main-d’œuvre et d’intégration des travailleurs migrants et issus de l’immigration.
L’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) a rendu public, le 18 décembre, un rapport accablant sur l’islamophobie dans les pays de l’Union européenne. C’est la première fois que cet Observatoire publie une étude sur la population originaire de pays musulmans, estimée à 13 millions, soit 3,5 % de la population de l’Union. Cette étude ne prend pas en compte son rapport à l’islam, ni sa pratique religieuse, mais conclut à un cumul, dans cette population dite "musulmane", des discriminations à l’emploi, à l’éducation et au logement.
Dans les pays de l’Union, le taux de chômage des "musulmans" est supérieur à la moyenne nationale. Le rapport épingle par exemple l’Irlande où le recensement de 2002 a montré que 11 % des immigrés "musulmans" étaient au chômage pour une moyenne nationale de 4 %. Les musulmanes voilées sont les plus fréquentes victimes de la discrimination à l’emploi, mais celle-ci relève aussi d’une xénophobie ambiante, sans lien avec la pratique religieuse.
En 2004 au Royaume-Uni, la BBC a envoyé des demandes d’emploi de candidats fictifs, laissant deviner leur origine, à cinquante entreprises : les réponses ont été plus élevées pour les candidats "blancs" (25 %) que pour les "noirs" (13 %) et pour ceux qui avaient un nom musulman (9 %). Même expérience en France où, en 2004, l’université Paris-I a envoyé des curriculum vitae fictifs, auxquels les réponses ont été cinq fois moins élevées pour les candidats d’origine maghrébine.
Avec des taux de réussite scolaire et des niveaux de qualification largement inférieurs à toutes les moyennes nationales, cette population musulmane se retrouve dans les secteurs les plus sinistrés de l’économie et des villes.
S’agissant des incidents islamophobes (insultes, agressions, incendies volontaires), le rapport note l’impuissance des pays européens qui ne disposent pas de données statistiques permettant de recenser les délits à caractère religieux et d’engager des poursuites. Seuls le Royaume-Uni et la Finlande utilisent des mécanismes de collecte de données sur ce type d’incidents.
L’Observatoire recommande donc aux Etats-membres d’appliquer sans délai toutes les directives de l’Union contre les discriminations à l’emploi. Il suggère de mener des politiques volontaristes, visant l’égalité à l’emploi, l’inclusion dans les programmes scolaires de cours sur le racisme. Les "musulmans" sont encouragés à participer à la vie publique, les médias à recruter des journalistes issus de cette minorité, les personnels de police à se former aux questions liées à la diversité culturelle et au racisme.
Ce rapport est accompagné d’entretiens avec de jeunes musulmans marqués par un sentiment de "désespoir et d’exclusion". Il note que beaucoup reconnaissent qu’il leur faut "prendre plus de responsabilités" pour s’intégrer. Mais la plupart regrette que leurs animateurs de communautés ne traitent jamais des questions qui se posent dans la société laïque européenne, comme les relations sociales, la sexualité ou la drogue.
[2] Les Discriminations à raison de “l’origine” dans les embauches en France - Une enquête nationale par tests de discrimination selon la méthode du BIT. Genève, Bureau international du Travail, 2007.