Catherine Wihtol de Wenden, directeur de recherche au CERI, et Christophe Bertossi, chercheur à l’ifri, ont réalisé, de mars à juillet 2004, une enquête auprès de militaires français issus de l’immigration, toutes armées confondues. Leur rapport a été rendu public le 3 novembre dernier. [1]
Ce rapport livre les représentations de ces militaires sur les raisons de leur engagement, l’islam, leur allégeance, mais aussi les discriminations dont ils font l’objet.
Fortement attachés au principe de la laïcité, ils souhaitent une reconnaissance de leur droit à l’égalité et un plus grand respect des prescriptions alimentaires liées à l’islam.
Nous avons choisi de reprendre ci-dessous une partie des témoignages qui concernent les discriminations qu’ils vivent (pages 236 à 254 du rapport).
Les discriminations sont multiformes : dans les termes d’abord (blagues racistes, propos tenus entre soi, quand on « tombe les galons », quand les conversations s’interrompent au café ou dans la salle de télévision à l’arrivée du militaire issu de l’immigration, avec les stéréotypes et les amalgames globalisants, le racisme ambiant ou perçu comme tel) ; dans les pratiques ensuite (corvées, exhibition d’affiliations d’extrême droite ou nazies, non respect des interdits alimentaires, exclusion du groupe de ceux qui ne boivent pas d’alcool lors des « tournées ») ; dans le vécu quotidien enfin (sentiment - faible - de discrimination professionnelle et de fragmentation sociale amalgamant ces Français à une communauté d’exclus face à d’autres communautarismes exhibés en signe de distinction sociale).
La discrimination verbale
Elle est décrite comme récurrente, même si la plupart reconnaissent que « le système n’est pas raciste et que tout le monde est égal devant le travail à faire ». La discrimination verbale procède souvent de l’amalgame entre Arabe, musulman, banlieues, exclusion, voire délinquance et terrorisme islamique, sans prendre la peine d’individualiser la personne :
« C’est vrai qu’une personne qui est d’origine maghrébine dans l’armée, elle aura toujours un handicap actuellement au démarrage. Mais à la limite c’est dommage qu’on le reconnaisse pas en tant que population française immédiatement » (marine).
Les mots sont toujours les mêmes : « bougnoule », « chaoui », « boucaques », « bicots », « boulous » pour les Français d’origine maghrébine (et « pingouins » pour les femmes voilées), « nègres », « négros », « têtes de macaques », « singes » pour les Français d’origine sub-saharienne, « chai » pour les Noirs de Djibouti :
« Moi je pars du principe que dire boucaque ou bougnoule, c’est manquer de respect » (marine)
« Il y avait un Black, métis un peu et le patron l’appelait le singe... Un autre, il n’y avait pas plus facho que lui. C’était le top du top... des brimades, j’en ai entendues tellement » (marine)
A un Tahitien : « Viens au tableau, mangeur de poisson » (armée de terre).
« Un de Mayotte a déserté. Il m’a dit : ‘c’est la misère tous les jours’. Au-dessus, ils ferment les yeux. La plupart, c’est des vrais racistes, ils veulent que je résilie mon contrat » (armée de terre).
« Il y avait une personne qu’il appelait l’Arabe et qui disait : ‘moi, je suis raciste... Putain, c’est des bougnoules... Il faut tous les fumer’ » (marine).
« L’époux d’une amie à moi, il est embarqué, il est pas typé du tout. Son père est Algérien et sa mère est bretonne. Donc il est roux aux yeux bleus. Mais il porte un prénom clairement musulman. Il a trouvé son prénom gravé dans le métal du bateau sur lequel il navigue avec l’insulte qui va bien avec : ‘sale arabe’... Ça s’est produit à diverses reprises et il a changé de prénom... Ça c’est quelque chose qui m’a choquée quand même... qu’il se soit trouvé dans une situation où la seule solution c’était... pour que ce soit vivable au quotidien qu’il en soit arrivé à cette extrémité » (marine).
Le syndrome de la guerre d’Algérie reste présent, malgré la succession des générations dans la culture de l’encadrement immédiat :
« Ils pouvaient tout dire : les bougnoules, les Arabes dehors avec quelqu’un qui avait fait la guerre d’Algérie... Je pense qu’on reste toujours avec de vieilles images, de vieux préjugés, mais ça, c’est propre aux armées. Ça c’est fait avant et les gens qui se retrouvent ensuite dans le système ils continuent à entretenir ça ou même rester avec cette idée tronquée... ‘C’est quoi ce travail d’Arabe ?’ Je lui dit : ‘c’est moi qui l’ai fait’. Moi, j’en entends tous les jours des comme ça... ce qui est malsain, c’est cet usage de la langue, de l’argot. Par exemple les camionnettes ils appellent ça les bougnoulettes ici, parce qu’il y a que des bougnoules dedans. C’est des usages de langage à éradiquer » (marine).
« Ce sont essentiellement les sous-officiers et plus particulièrement les adjudants-chefs... j’en suis venu à la conclusion que peut-être c’est des gens qui ont fait la guerre : la guerre d’Algérie... C’est ma tête qui accroche : c’est parce que j’ai pas la tête de l’emploi » (armée de l’air).
« Le regard des gens, le fait de dire bonjour et qu’on ne répond pas... peut-être ce sont des gens qui ont dû faire la guerre d’Algérie » (armée de l’air).
« Il y a pas mal de gens qui en sont toujours à 62. Ils ont pas encore passé le cap. Heureusement que j’ai fait dix ans d’haltérophilie parce que sinon j’aurais du mal à supporter le poids » (armée de l’air).
L’amalgame et les stéréotypes peuvent aussi aller jusqu’à une assimilation avec le monde arabe, les pays du Golfe... ou les banlieues :
« Pour eux, quand on fait escale dans un pays arabe : ‘t’es chez toi’. On est tous dans la même galère, mais ça ils ne le voient pas. Ils auront fait un pas en avant quand ils auront compris qu’on est Français » (marine).
« Après le 11 septembre : ‘Oh ! là là, tes cousins ils ont fait fort !’ » (marine).
« En Afghanistan, c’était ‘les musulmans, tes frères’ » (marine).
Ces racistes autoproclamés déclarent parfois faire une exception pour leur interlocuteur :
« Ils disent : ‘Franchement, je suis raciste. Je te dis la vérité, je suis raciste mais moi je t’aime bien... les Arabes, vous foutez la merde et tout... Et tes frères alors ? En Irak les Ricains ont raison, il faut les buter tous... Il n’y a qu’à envoyer des bombes avec des têtes de cochons’ » (marine).
« A Brest il y avait beaucoup de préjugés : qu’on habite dans une cité, qu’on vend du shit, qu’on roule en BM. C’était de l’agressivité, comme on me parlait. Ils pensaient qu’on était des cassos... Ils faisaient des réflexions devant moi. Ils oubliaient que j’étais d’origine marocaine, ils avaient un petit peu occulté cette partie, donc ça critiquait : les Arabes il faut les brûler » (marine).
« Il me disait : ‘tu sais très bien ce que je pense des rebeus et de la musique de merde que t’écoutes, mais toi je t’aime bien quand même... Quand est-ce que tu me ramènes ma BMW ?’... des petites blagues gentilles... Mais il y en avait d’autres où ça sentait le racisme... Chacun a ses opinions mais il n’y a pas de réflexions comme j’en ai eues à Toulon » (marine).
« On m’a demandé si j’ai une copine. Tout le monde a pensé que c’est une arabe. Elle s’appelle Aurore et a les yeux bleus. De même, tout le monde est persuadé que j’ai quatre frères et cinq soeurs. L’image est très figée chez les Français » (gendarmerie).
« Le café est toujours un grand moment de découverte d’autrui. Quand on veut savoir comment sont les gens, on prend un café, on se la ferme et on écoute. Et là, on entend pas mal de choses... Il suffit qu’il y ait eu un reportage sur les banlieues pour que je courre au café et que j’écoute ce qui va se dire et pour me marrer un bon coup sur ce qu’ils disent. L’affaire du voile a été un grand moment » (armée de terre).
Certains sont découragés, d’autres le prennent avec humour :
« Puis il y a les personnes qui vous le font comprendre rien qu’en vous regardant : ‘t’es qu’un Arabe, t’es qu’une merde, j’ai aucune considération pour toi’ ; le regard veut dire ça. Si certaines personnes nous disent d’entrée qu’elles n’aiment pas les Arabes, j’ai dit : ‘OK, moi j’aime pas les cons...’ Et puis il y a toute la génération des 35-40 ans mais là c’est beaucoup plus dur parce que j’ai l’impression qu’ils ne s’y sont pas fait... Beaucoup chez les sous-officiers mariniers, moins chez les officiers de marine parce que je pense que le fait d’avoir fait le tour du monde sur la Jeanne d’Arc, ça leur a pas mal ouvert les yeux... Mais on a un noyau dur de personnes qui ne voudront pas changer d’avis, qui sont hermétiques au reste... C’est clair que le noir de peau qui en plus est musulman il a tout gagné... Au deuxième tour des présidentielles (de 2002), on a vraiment eu ‘bas les masques’ : ‘Eh bien, tu te casses ; c’est bon tu vas pas rester’. J’ai dit : ‘Pourquoi ? Il y a des choses que je sais pas ! Je suis muté ?’ » (marine).
Les blagues racistes accompagnent l’usage des termes :
« Dans la salle du café il y a une affichette : si vous écrasez un Arabe, trois points, une femme enceinte arabe tant de points... Ça ne pouvait plus passer, j’ai pété les plombs... Quand je vais dans une cité avec mon copain, on nous appelle : la patrouille d’Arabes » (gendarmerie).
« Il y a un maghrébin qui disait à un gendarme qu’il ramassait des melons parce qu’on a des cultures comme ça à Lunel. Et le gendarme lui a dit : ‘Ah oui, tu ramasses tes cousins !’ Ça, ça m’a pas fait rire. Ça a fait rire les autres, pas moi » (gendarmerie).
« On m’a dit que c’est normal que je courre plus vite car je suis d’origine arabe... En Alsace j’étais une sale boche (mère allemande). Je ne pas sûre que ce soit très bien de travailler dans l’armée quand on est issu de l’immigration. Un caporal chef a dit à mon père : ‘c’est inadmissible que les enfants d’origine étrangère soient officiers’ » (femme, gendarmerie).
Les pratiques
Elles accompagnent souvent les propos, comme le refus de répondre à un salut :
« Moi les gars que je croise, ils tournent la tête, ils veulent pas saluer un Arabe » (armée de terre).
Coups de genoux, humiliations, hésitations à donner une image non homogène de l’armée sont aussi dénoncés :
« Il y avait la promo d’élèves officiers, dans les rangs il y avait pas mal de noirs, j’étais surpris... Mais la photo était prise de manière à ce qu’on les voie moins, c’était un peu flouté » (gendarmerie).
Et surtout les corvées :
« Un jour mon chef m’a dit : ‘écoutes, tu arrives du Sénégal, tu viens ici, tu es chez nous... t’as une bonne solde, c’est déjà pas mal, tu nourris ta famille en Afrique avec notre pognon que tu gagnes ici. Alors, on te donne ça et tu veux prendre ça...’ Si vous me demandez si j’ai été victime du racisme dans ma carrière, je vous répondrai oui, en toute franchise... même dans le travail, les corvées pour nettoyer les sanitaires. Je me suis retrouvé des semaines entières à frotter du quatrième étage au rez-de-chaussée... j’ai connu des semaines entières où j’étais désigné pour faire ça. » (marine).
Les mimes et l’exhibition de la carte du Front national et de tendances d’extrême droite semblent être pratique courante dans certains milieux :
« Les discriminations, moi je l’ai vu quand j’étais à Toulon... Ça se jouait dans la tête. Je dirai même qu’il y a des gradés qui m’ont fait des trucs... Mettre la moustache et la casquette et se mettre au premier étage et dire (en mimant Hitler) ou alors montrer sa carte du Front national quand j’étais assis en train de contrôler les entrées et les sorties des gens... c’était de la provocation. Ils voulaient nous faire craquer » (marine).
« Quand Le Pen il est passé au deuxième tour, moi, le lendemain matin, on me disait : ‘t’as pris tes billets d’avion pour... Puis attention, c’est plein, les agences elles sont pleines, même les bateaux ils sont pleins’... moi je comprenais pas... je reçois des emails sur les blagues de Le Pen » (armée de terre).
« Embarqués, il y en avait qui lisaient Mein Kampf, d’autres qui avaient des croix gammées dans les caissons. Quand ils savent que je suis fils de harki, ça passe mieux... Bagarres, insultes, il y en a qui se sont fait renvoyer pour ça » (marine).
« Sur le Suffren, il y avait un poste où je ne suis pas allé parce qu’on m’avait dit que c’était des nazis et des fachos. C’était des gens qui avaient une tendance FN... Il y a pas mal d’extrême droite dans la marine. J’ai pu le sonder au moment de l’élection présidentielle » (marine).
« Mon chef de stage m’a clairement dit que des gens comme moi, on n’en veut pas... ‘ta note de gueule est déjà dans le négatif...’ Ici c’est puissance quatre ! T’es peut-être sergent mais si t’essaies de faire péter le galon nous on va te refiler les merdes à faire... Jusqu’un jour où on tombe sur des fachos fâchés qui nous disent : ‘moi j’appartiens à un gang de skinheads et puis je savate...’ Moi je passais de longues soirées à leur expliquer (aux gars des cités) que la France n’était pas comme ça. Maintenant quand j’y pense a posteriori, je me dis : vous aviez raison, les gars » (armée de terre).
« En 2002, quand Le Pen est passé au deuxième tour, il y a des collègues qui m’ont dit fais ta valise et rentre chez toi. Le Pen va être président de la république » (armée de terre).
« Un type fourguait des cartes du Front national sur la base, ce qui est formellement interdit » (marine).
L’apparente indifférence de la hiérarchie à ces propos est vécue comme une discrimination supplémentaire. Les officiers n’affichent pas leurs idées, à la différence de ceux qu’ils côtoient.
La discrimination n’est pas seulement fondée sur la couleur de la peau ou le délit de faciès. Elle s’appuie aussi sur la référence au monde musulman. Sur 54 interviewés, 19 se déclarent musulmans non pratiquants, 19 pratiquants (dont huit dans la marine) et cinq qui se déclarent athées, les autres n’ayant pas répondu ou se définissant comme catholiques, pratiquants ou pas. Mais la pratique religieuse est faible : rares sont ceux qui respectent les cinq obligations du Coran. Seul le respect des interdits alimentaires et du ramadan font difficulté, la prière étant peu fréquente (cas de quelques embarqués). Le non respect des interdits alimentaires dans l’armée est vécu comme une atteinte à la liberté religieuse : la prohibition du porc et de l’alcool chez les musulmans se heurte à l’usage de deux produits largement consommés dans l’armée et parfois même symboles de cohésion et de convivialité pour celle-ci. Certains préfèrent ainsi garder la discrétion :
« La pratique religieuse, je le fais chez moi, là où personne ne me voit. Si je vais à la mosquée, j’y vais en civil. Ma famille est pratiquante. Ma mère ne porte pas le voile » (gendarmerie).
La laïcité
La laïcité est perçue comme s’accordant mal avec l’existence de fêtes militaires qui sont aussi religieuses catholiques : la Sainte Geneviève dans l’armée de terre et la gendarmerie, la Sainte Clotilde dans l’armée de l’Air, ou l’extériorisation d’appartenances catholiques explicites de la part de l’encadrement :
« Il y a des saints patrons tout le temps, on médite trois jours sur le drapeau de l’Ecole (Saint-Cyr)... Ils sont allés à la messe, mais qu’ils se sentent obligés de se mettre en croix par terre pour montrer qu’ils croient plus que le copain qui est derrière ! Il y a le lieutenant, il s’est mis par terre, face à l’autel, couché par terre, face contre terre. C’est le seul lieutenant que j’ai vu (faire ça). Vous imaginez une attitude clownesque ! » (armée de terre).
« Les officiers de marine sont quand même un peu orientés, comment dire catholiques, traditionnels et cela me semble aller un peu à l’opposé des idéaux républicains » (marine).
« A l’école de sous-officiers, ils nous forçaient à aller à l’église une fois par an, pour la Sainte Geneviève, la sainte des militaires et la remise des galons. Le capitaine l’a mal pris (que je n’y aille pas) : il faut vous élever, vous n’êtes pas tolérant » (gendarmerie).
« Dans la gendarmerie, il y a Sainte Geneviève. A la Sainte Geneviève, il y a toujours une messe et les gens sont incités à y aller. Je n’y suis pas allé. C’est les officiers qui montrent le plus qu’ils sont catholiques pratiquants mais je ne pense pas que ce sont eux qui le soient le plus » (gendarmerie).
« Je pense que la gendarmerie est laïque... elle a tendance à l’être moins. Un bon officier est quelqu’un de marié et qui a quatre gamins. Ça a tendance quand même à évoluer » (gendarmerie).
« Il y a des messes. Ils ne permettent même pas aux musulmans de ne pas manger de porc : s’il ne veut pas manger de porc, il a qu’à rentrer chez lui » (marine).
Le porc
C’est un grief récurrent, notamment dans les lieux où le vivre ensemble est une nécessité (marins embarqués, opérations et manoeuvres dans l’armée de terre). Les musulmans ont le sentiment que leur religion est vécue par les autres comme une contrainte, voire qu’elle est méprisée. Le porc est le dernier interdit qui reste, bien après que les autres aient été transgressés :
« Il y a 150 musulmans sur le Charles-De-Gaulle sur 2500. Pour l’ordinaire, c’est juste qu’ils mangent pas de porc. Mais le problème s’est posé pendant le ramadan. Le musulman, c’est le mauvais marin » (marine).
« Moi je dirais que je suis déjà un peu dégoûté parce que l’islam, elle a jamais été salie autant ; parce que l’islam à la base, c’est une religion comme une autre. J’en parle pas, des fois je préfère dire que je suis végétarien que de dire que je mange pas de porc parce que tout de suite c’est des repas musulmans avec l’étiquette qu’il a aujourd’hui, le musulman » (armée de terre).
La non consommation de porc étant l’obligation la plus respectée chez les musulmans, même de la part de ceux qui boivent de l’alcool, l’absence de plats halal ou sans porc est particulièrement mal vécue, d’autant plus que le dispositif respectant les interdits religieux est prévu par les textes. Certains le vivent comme une humiliation supplémentaire à l’égard de leur religion et de leur identité, comme une incapacité à rompre l’uniformité :
« Le porc, même si on n’est pas forcément croyant, c’est mal vu, c’est culturel. L’alcool, non, mais le porc, c’est essentiel. La première fois que j’en ai mangé, c’était un peu bizarre. J’avais l’impression de trahir mon père » (marine).
« J’ai peur de l’extérieur. Je ne suis pas pratiquante mais je ne mange pas de porc. Quand il y a plat unique pour tout le monde, c’est de la choucroute... ça craint... Une fois, j’ai piqué une gueulante au mess. Il n’y avait que de la choucroute et de la salade verte... je fais comment ? Eh bien, vous mangez de la salade verte. Il y en a des jours comme ça ils ne mangent pas. Pas de portions halal, pour eux, c’est normal. Celui que je connais il ne va pas manger au mess. Il prend des sandwichs chez lui. Il mange sur son lieu de travail et c’est tout... Il me dit : ‘Bon, ils mettent soit du porc soit de la viande non halal. Moi il est hors de question que je mange ça. Donc...’ Je pense qu’il trouve ça injuste sinon il ne resterait pas dans son coin. Moi la viande, je la mange, tant que ce soit pas du porc... Ils savent que je ne mange pas de porc, ça dérange pas. Jusqu’à se recueillir dans un endroit musulman, je ne sais pas » (armée de l’air).
« Les menus : ‘putain, ils font chier ceux-là, ils peuvent pas manger comme tout le monde ; nous on a que du porc, c’est ça ou rien’. Il y en a qui font ramadan. » (armée de l’air).« Tu fais chier avec ton ramadan et tout, tu peux manger comme tout le monde » (armée de terre).
« Ma religion, au début, ça avait choqué les gens. Ils n’avaient pas réfléchi aux repas halal. Je suis obligé de leur dire : ‘Pensez à faire quelque chose pour moi...’ Pour la fête du ramadan, j’avais droit à trois jours pour pouvoir partir. La circulaire ministérielle nous le permet. En Turquie, on a une chance, c’est l’armée qui gère tout... » (gendarmerie).
« Déjà voilà, moi je suis pas pratiquant mais je mange pas de porc. Et ça les dérange. Quand on va en manoeuvre, le popotier il est pas content parce qu’il doit faire à bouffer pour tous et moi, il est obligé de me faire un petit truc à part. Et ça les fait chier, oui » (armée de terre).
« Moi, ça m’arrive de pas manger... y a même des régiments où ils mettent des plateaux différents, pour ne pas être emmerdés à la chaîne, quoi, qu’ils mettent des plateaux d’une couleur différente... plateau vert pour les musulmans « (armée de terre).
« Le cuistot, j’en ai marre : ‘je fais pas de cuisine à l’assiette (dit-il) je sers pour la collectivité...’ (Il dit) : ‘Il veut servir dans l’armée française mais il ne veut pas se plier aux coutumes françaises’ » (gendarmerie).
« Le cuistot a lancé en rigolant (à mon camarade juif) : De toutes façons, tu vas pas manger de porc. Et après, le juif, il est très calé... Il m’avait dit que dans la marine il y avait des textes comme quoi il y avait un droit à manger casher ou halal. Ça ne se fait pas mais selon la loi tu peux. S’il veut faire chier son monde il peut leur demander d’acheter de la bouffe casher ou de la bouffe halal » (marine).
Certains ne mangent pas :
« J’ai dit au cuistot : ‘vous savez, il y a des gens qui mangent pas à cause de vos conneries ?’ » (marine).
« Ici, pour la bouffe, des fois, ils ne pensent pas à nous. Le ramadan, je le faisais mais je le fais de moins en moins. Ma première années, à Toulon, je mangeais du porc. C’était la première fois. Parce que si je mangeais pas ça, je ne mangeais pas de la journée. Ce qui est difficile, à l’ordinaire ici, c’est le soir. Des fois le plat principal, c’est une pizza. Ils mettent des lardons dans tout, ici. Du coup, il m’arrive de ne pas manger. Je mange de la salade. Ils n’y pensent pas. Ici on doit être une quinzaine de musulmans (sur 1 500). Il faut toujours demander. Ce n’est pas eux qui y pensent » (marine).
Même si les pratiques se sont améliorées :
« Maintenant les gens qui sont d’origine maghrébine, on leur fait des plats au niveau de la restauration, sans porc. Les gens qui sont d’origine juive, ils ont des plats casher alors qu’avant c’était assez dur. Moi, j’ai connu des militaires d’origine maghrébine et des fois il fallait presque qu’ils s’engueulent avec les cuistots pour avoir du boeuf à la place du porc, c’était presque : ‘c’est ça ou tu manges pas, quoi’. Mais là, c’est vrai que ça a bien évolué depuis cinq ou six ans » (armée de terre).
« Quand il y a du porc, il y a des plats qui sont préparés pour les musulmans et les personnes qui ne mangent pas de porc... C’est surtout au niveau des militaires que ça se trouve » (armée de terre).
Ou si certains ont essayé de s’adapter, des deux côtés :
« Alcool, porc, j’avais un copain à l’Ecole navale, il prenait du saucisson et tout ce qui va avec et il m’a dit : ‘Tu ne sais pas ce que tu perds’, et puis il me regarde : ‘Tu sais peut-être ce que tu gagnes’. Donc, c’étaient des rapports... c’était convivial. Quand il y a un cocktail, les collègues savent très bien que c’est pas la peine d’aller me chercher une bouteille, un verre de champagne » (marine).
« Le jeûne un mois complet, je le fais. J’ai fait un compromis par rapport à la viande » (gendarmerie).
Mais la légitimité de la non consommation de porc est d’autant moins acceptée par les non musulmans et par les musulmans pratiquants que certains boivent de l’alcool :
« Il y a certains, ils buvaient. Ils se disent musulmans et après ils ne veulent pas manger de porc » (marine).
L’alcool
Plusieurs interrogés dénoncent l’alcoolisme et l’usage (ou la vente) de drogue comme pratique courante. La non consommation d’alcool est perçue comme un facteur d’isolement, voire de ségrégation compte tenu du rôle qu’il joue dans la cohésion du groupe (« arrosages » des promotions, tournées festives, voire scènes d’ivresse) :
« Quand je pars en mission, c’est le pool des gens issus de l’immigration, des Antilles ou de la Réunion. On se réunit, même si on se connaît pas, on décide de faire une soirée... soirée des îles, ça nous permet de nouer des contacts, de mettre les gens plus à l’aise. Ça marche moins avec les maghrébins parce que la religion fait qu’ils ont pas le droit de boire. Donc ils sont un peu moins fêtards » (armée de terre).
« Par contre, un truc qu’ils ne comprennent pas, c’est que je ne boive pas : ‘Pas une goutte, tu veux pas savoir ce que c’est d’être bourré ?’ Par contre ils étaient bien contents que je puisse conduire et ramener les mecs qui étaient complètement torchés. C’est toujours les petites piques : ‘le ice tea, c’est pour les tapettes...’ Ou quand j’étais allé le soir avec des potes et je prenais un diabolo fraise ils se foutaient tous de ma gueule. Ils ont du mal à comprendre... ça crée une distance. Le fait de ne pas boire, de ne pas avoir le même délire, ça fait une distance » (marine). « Les mecs y sont un peu dans leur petit moule... c’est la débauche. Déjà, rien qu’au niveau de l’alcool. Et moi j’aime pas trop ces trucs-là... Puis j’aime pas l’ambiance. Pendant un moment c’était la mode. Tous les vendredi on faisait un pot à midi. Si vous allez pas à leurs pots et si vous mettez pas une caisse avec eux, vous êtes pas leur pote. Là, moi, je trouve ça grave... Ça me désole moi, franchement, ça me désole. La notation, elle va avec. Donc, voilà. Tu bois pas du Coca à un pot, prends une bière, allez, t’es un homme, t’es pas, j’sais pas... Quand y veulent, y boivent, hein. Il y en a un, il s’est retrouvé à l’hôpital, il était à quatre grammes, un qui est entré dans le mur du régiment. Ceux qui boivent pas d’alcool ils sont mis à part. Pour eux l’amitié, c’est se murger » (armée de terre).
Les brimades
Suspicion, identification au terrorisme : certains ont le sentiment qu’il est mal vu d’être musulman.
« Des blagues sur l’islam, sur le terrorisme, pourquoi tu manges pas de porc ? » (marine).
« Je ne bois pas d’alcool, je ne mange pas de porc . Je ne fais pas le ramadan à cause du regard des autres. Ceux qui s’étaient convertis à l’islam ont été bloqués » (armée de terre).
« Ils m’ont posé la question de savoir si j’étais musulman et là ils ont fait l’amalgame entre l’origine de mon nom et la religion mais c’était pas malveillant. Ils voulaient savoir si je rentrais dans une catégorie ou pas... Quand j’ai dit non, bon très bien, il est dans une autre catégorie que celle des personnes d’origine maghrébine classique... le 11 septembre, ça a complètement exacerbé cette chose-là... c’est ça qui provoque l’amalgame » (armée de terre).
Beaucoup pensent que le 11 septembre a aggravé les stéréotypes négatifs
:
« Ça s’est empiré depuis le 11 septembre. Le monde musulman est considéré en ce moment comme le monde de l’extrémisme » (armée de terre).« On confond l’islam et les musulmans » (gendarmerie).
« On me pose beaucoup de questions : est-ce que je prie, pourquoi je ne mange pas de porc, est-ce que je vais à la mosquée. Dans un village, il y a un mariage arabe. Un gendarme a dit : ‘donnez-moi une grenade’ » (gendarmerie).
D’autres se plaignent des difficultés rencontrées pour faire la prière
« Pas de rassemblement, c’est interdit... la prière, vous avez pas à la faire... J’ai compris que tout le monde en parlait dans mon dos » (marine),
et de l’absence de prise en compte religieuse en cas de décès :
« On sait très bien qu’il n’y aura jamais d’imam sur un bateau. C’est pas ce qu’on demande. La seule chose serait de créer une salle de prière » (marine).« Aujourd’hui, il y a plusieurs plateaux... Il n’y a qu’un truc qui pêche encore, c’est en période de ramadan quand les gens sont en mer. Si le mec a envie de prier sur la plate forme, si la place est disponible, qui il dérange ? Mais ça se fait pas. On sent bien que c’est pas rentré dans les moeurs. On sent que les griffes sont dehors. Il y a une espèce de rejet... Il y a amalgame entre intégriste, musulman, islam. On met tout dans le même sac » (marine).
« Le ramadan : pas de problème, sauf qu’il y a rien de prévu. La marine nationale, elle reconnaît les chrétiens. Pas de problème : il y a des aumôniers. En mer, j’ai souvent vu messe le dimanche. Quand on est chrétien : pas de souci. On peut rencontrer du personnel compétent dans sa religion. Quand on est juif : c’est pareil, il y a des rabbins... Pas embarqués, parce qu’il n’y a pas d’aumôniers embarqués. On adapte un local de telle à telle heure pour la messe. Je l’ai vu. Or, il y a un message qui est tombé il n’y a pas très longtemps, parce qu’il y avait Kippour. Ça dure six jours. Eh bien, ils avaient carrément des jours décomptés dans les permissions pour faire la fête en famille. Et moi j’ai dit que j’étais musulman. On m’a dit ‘non... non pour les musulmans, vous irez voir le rabbin et lui pourra vous aider...’ Je ne veux pas entrer dans la guerre israélo-palestinienne... Mais à un moment on ne va pas être d’accord.. Si on meurt, il n’y a pas de cérémonie. On vous met dans un sac en frigo le temps de rentrer » (marine).
« Il y en avait un qui faisait sa prière sur son lit. Mais nous dans la chambre on était six, on regardait l’heure. On se disait : ‘Tiens, ça va être l’heure de la prière’. Lui, il nous faisait un grand sourire, on se levait et on allait prendre un coup au bar » (marine).
Un autre élément de fragmentation, qui n’est pas à proprement parler de la discrimination, mais la mise en évidence d’une distinction sociale, provient de la découverte, chez les jeunes issus de l’immigration, d’un autre monde qu’ils ne connaissaient pas, celui de la hiérarchie. Pour eux, le communautarisme, c’est les autres, d’autant plus que les valeurs exprimées par les militaires issus de l’immigration correspondent aux idéaux laïcs, républicains, démocratiques, de diversité sociale et culturelle, d’égalité des chances, de réalisation d’activités communes pour dépasser les clivages sociaux, ethniques ou religieux. Un militaire, pour eux, c’est un citoyen exemplaire :
« Le poème : ‘Qui sait si l’inconnu qui dort sous l’arche immense, devenu fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé...’ c’est un poème que j’aime pas trop mal parce qu’il résume pas mal la pensée des militaires. C’est finalement par la défense de la France qu’on devient français, d’après ce poème-là » (armée de terre).
Le monde des officiers leur apparaît alors parfois étrange :
« Les officiers catholiques, avant, c’étaient que des familles BCBG... Généralement quand il y a trois enfants, on dit qu’il y a trois galons. Des chrétiens pratiquants, sa femme, ses enfants... Voire même que les enfants vouvoient leurs parents. En dessous... et en dessous, il y a le jeune des cités » (marine).« Ils sont tellement ancrés dans la religion catholique qu’ils voient pas ce que font les autres religions, ils savent même pas. C’est pas du racisme, c’est l’inconnu » (armée de l’air).
« L’armée, c’est spécial quand même. Y sont très valeurs, y sont très traditions. Les traditions, c’est un peu grave... Tout ce qui est cérémonie machin, ils prennent ça vraiment au sérieux » (armée de terre).
« Les compétences, ça se paie toujours dans les armées plus qu’ailleurs. Les conditions pour faire une grande carrière dans la marine, il faut avoir un nom à particule, être catholique, être marié et avoir au moins cinq enfants... L’excellence dans le boulot » (marine).
Un gradé d’origine algérienne décrit ainsi sa découverte de plusieurs milieux où on est, selon lui, dans l’ « entre soi », d’abord chez les parachutistes, puis, plus tard, à St-Cyr Coëtquidan :
« On est arrivés. Un monde ! Un truc de fous. Vous rentrez, c’est des caricatures ! Crânes rasés, gueules de guerriers, bérets rouges et tous taillés pareil, des épaules comme ça et tous super physiques, secs. Je dis : qu’est-ce qu’ils mangent, par dessous, dans cette unité ? Parce que quand vous avez dix-huit ans, que vous êtes tout petit, tout rachitique et vous dites : j’aimerais bien ressembler à ça, quoi ! Je suis resté. Fier comme un duc... Il n’y a que physiquement que je suis rattaché au monde maghrébin... Les paras, c’était l’enfer, ça m’a coûté d’être bachelier !... (Avec moi) ils (les jeunes recrues) peuvent s’identifier plus facilement que le lieutenant de la F. qui lui, aime l’équitation. Moi, j’aime le rugby, ça n’a rien à voir ».
Puis il esquisse ce portrait :
« Continent (Coëtquidan), c’est quand même un bon fief catho tradi. C’est génial, c’est un creuset. C’est un moule de culture catholique. Ils m’ont fait rire, Sebago aux pieds et Parabouts fauves, marron. La femme qui était complètement classique avait une coupe au carré. Elle avait un réducteur de cerveau en velours et elle portait un collier de perles. Elle portait surtout la petite chemise achetée chez Cyrillus qui faisait ça... Il faut arrêter, quoi ! c’était trop ! Pour moi, ça a été un creuset d’observation, ces gars-là, je me suis régalé, je les ai regardés... A Coëtquidan, tous des caricatures... Le dimanche matin, ils se dépêchaient à l’office religieux de Notre Dame des Armées à Versailles... Comme par hasard, c’est vraiment le hasard, ils habitent... ils viennent tous de Versailles, ils habitent dans les Yvelines ou le 92... Pour moi, ce n’est pas être profondément laïc. Moi, je suis un modèle d’intégration pour ces mecs-là. Pour eux, c’est une espèce de croisade parce que je suis catholique et pas musulman, le retour aux croisés alors que pour moi, c’est encore une histoire d’enfant (mon éducation religieuse). Ils ont tous plein de gamins et les gamins c’est des caricatures aussi. Beaucoup sont fils de militaires. Ils se connaissent depuis des années, en fait, depuis les scouts. Ils ont grillé les chamalos, ils ont construit les cabanes dans les forêts de Fontainebleau ou de je ne sais pas où. Ensuite, ils ont fait le lycée militaire à Saint-Cyr, à La Flèche ou à Autun, quelques-uns à Aixen- Provence. Mais ils se connaissent depuis des années, c’est ça qui me tue. Ils ont tous passé le concours dans l’ordre pour Navale, après Saint-Cyr. Je ne sais pas pourquoi : c’est une histoire, une histoire d’élévation sociale. S’ils n’ont pas réussi, ils se sont rattrapés sur l’école de St Maixent des sous-officiers. Ensuite, ils sont arrivés. Ben ils ont tous le même parcours... Pour moi c’est une fierté (de ne pas être comme eux). Quand vous avez une saine racaille qui devient une star du show bizz... Je crois qu’il y a de la discrimination à l’entrée, dans les concours d’écoles d’officiers, parce que quand même ils recherchent des caricatures. Je veux dire, ils s’aiment bien entre eux. J’ai toujours eu une excellente note de gueule... je suis lèche-cul, c’est dû à ça (rire) » (armée de terre).
Une autre exprime ainsi la distance sociale :
« Et puis, il y a ce fameux moule, par exemple je vais pas rentrer à Saint-Cyr... Faut être de famille assez noble, aristocrate ou alors très riche, catholique, c’est très structuré, hein, Saint-Cyr... Ils sont dans leur moule et ... c’est dur. D’ailleurs quand ils arrivent, les officiers, les Saint-Cyriens, des fois ils tombent sur le cul, ils ont tellement de principes et tellement d’a priori que... ils sont déconnectés du monde militaire. Y sont dans leur cocon, on leur inculque des manières de voir les choses, en plus de ça, ils ont déjà u ne éducation à l’origine qui est très stricte, donc c’est vrai que pour un Français d’origine... maghrébine ou autre comme moi, métissée, ou même d’origine africaine ou asiatique, rentrer à Saint-Cyr, je ne sais pas s’il y en a beaucoup. On se dit ce sont eux qui vont nous commander plus tard, qui vont commander l’armée, c’est... ah ! oui, ils sont complètement déconnectés ou alors des fois ils veulent même pas se reconnecter... des fois ils ne veulent pas changer d’avis. Il faudrait diversifier le recrutement, changer la pédagogie, l’enseignement. L’enseignement est entièrement fait par des officiers de Saint-Cyr » (femme, armée de terre).
« Mon grand père était un ancien militaire, ça a pas mal facilité mon intégration dans le milieu militaire. C’est évident que la plupart des personnes qui étaient en lycée militaire étaient soit fils de militaires, soit petit fils de militaires ou avaient un environnement militaire autour d’eux. Ça m’a aidé. Le scoutisme m’a aidé à m’intégrer dans la pratique... C’est sûr qu’il y a une sorte de fermeture dans ce milieu puisque la plupart des gens sont issus de familles militaires et donc à partir de là ça reste une sorte de cercle fermé et pour y rentrer il faut peut-être avoir une connivence avec ce milieu... la plupart des gens qui intègrent Saint-Cyr sont issus des lycées militaires... Il y a une culture qui est commune, certaines traditions dans les lycées militaires, des façons de vivre » (armée de terre)
Beaucoup des interviewés ont indiqué d’emblée, que leurs motivations du choix de l’armée ont été dictées par le souci d’éviter les discriminations à l’embauche, de mieux se réinsérer ensuite et parce que l’armée leur offrait des opportunités de formation qu’ils ne trouvaient pas dans la vie civile.
Un nombre non négligeable (20 sur 52) ont été socialisés dans un milieu militaire : fils et/ou petits-fils de harki, de moudjahid, de militaires de carrière ou de policiers dans des pays d’Afrique sub-saharienne ou au Maghreb, frères dans l’armée. Ils reconnaissent que c’est un plus pour se faire accepter en dépit de leur origine arabe et musulmane :
« Ce qui était assez paradoxal, c’est que cette personne-là (qualifiée par l’interviewé de raciste d’extrême droite), elle adulait en quelque sorte la population des harkis, ce qui était un peu paradoxal par rapport à l’origine des personnes, finalement, qui sont d’origine maghrébine... Elle a complètement éludé le problème de l’origine pour ne souligner que le service rendu à la France... le sang versé. Mon grand père était un ancien militaire, ça a pas mal facilité mon intégration dans le milieu militaire » (armée de terre).
« Je ne pense pas qu’il y ait actuellement dans l’état major des personnes réticentes à faire monter des gens d’origine maghrébine de par ses croyances politiques, personnelles, ou des raisons ethniques. Pour moi, il y a une vraie égalité des chances. Effectivement il y a peut-être du racisme mais le racisme est représenté dans toutes les catégories du monde du travail
» (armée de terre).
[1] WIHTOL DE WENDEN (C), BERTOSSI (C), Les militaires français issus de l’immigration, "Les Documents du C2SD" n° 78, 335 pages. Ce rapport est librement téléchargeable http://www.c2sd.sga.defense.gouv.fr....