discriminations envers les jeunes d’origine immigrée et banalisation du racisme de la part de responsables politiques


article de la rubrique discriminations
date de publication : dimanche 30 septembre 2007
version imprimable : imprimer


Une émissaire de l’ONU, après avoir observé que les jeunes d’origine immigrée « se sentent discriminés et rejetés par une conception rigide de l’identité nationale française », déplore l’« ambiguïté » du discours politique.

Un sociologue confirme l’étendue des discriminations que vivent les jeunes issus de l’immigration dans le domaine de l’emploi. Quant au discours de nos gouvernants, un rapporteur spécial de l’ONU contre le racisme avait estimé en juin dernier que le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale participe à une « banalisation du racisme ».


ONU : un racisme « pernicieux » perdure en France

[NOUVELOBS.COM - 28.09.2007 - 18:13]

De retour d’une mission de 10 jours en France, l’émissaire de l’ONU Gay MacDougall a déclaré, vendredi 28 septembre, qu’un racisme « pernicieux » perdure en France, où des minorités sont reléguées dans des « ghettos » sans espoir de promotion sociale.
Regrettant l’« ambiguïté » du discours politique à cet égard, Gay McDougall s’est « rendue compte que le racisme était un sentiment pernicieux dans la société » française. « Des personnes qui ont beaucoup travaillé, qui ont respecté toutes les règles du jeu et qui croient sincèrement aux principes de la République française se retrouvent piégées dans des ghettos urbains où le taux de chômage dans certains cas peut dépasser les 40% », a affirmé lors d’une conférence de presse l’experte américaine, qui s’est rendue notamment dans des banlieues défavorisées de Paris, Marseille et Strasbourg.

Concept de minorité

Les jeunes d’origine immigrée « se sentent discriminés et rejetés par une conception rigide de l’identité nationale française qui ne leur convient pas », a-t-elle ajouté.
Gay McDougall a noté des « pas en avant très importants » dans un pays qui « rejette historiquement le concept même de minorité parce que contraire aux principes de la République », comme l’autorisation prévue de statistiques par origines ethniques, jusqu’à présent interdites en France, et le débat lancé sur la « discrimination positive » par le président Nicolas Sarkozy.

Tests ADN

Par ailleurs, Gay McDougall a regretté « l’ambiguïté » de certaines mesures et déclarations des responsables politiques français sur l’immigration, citant notamment le débat sur l’introduction de tests ADN pour les candidats au regroupement familial et la mise en avant systématique de la notion d’« identité nationale ».
« La France est en train d’engager un virage, mais sans un leadership engagé absolument sans la moindre ambiguïté, la voie ne sera pas la bonne. Il faut que tout le monde comprenne que le gouvernement est contre la discrimination et pour l’égalité », a-t-elle assuré.

L’émissaire doit présenter un rapport à Genève en mars lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.

Les jeunes issus de l’immigration et la bataille de l’emploi en France : Silence on discrimine !

par Mohamed Madoui, Sociologue Enseignant-chercheur CNAM, LISE-CNRS
Le Quotidien d’Oran du 29 sept. 2007

« Notre couleur, c’est notre douleur », déclarait un jeune Français d’origine marocaine à la journaliste qui l’interrogeait, le 9 novembre 2005 sur France 3, à propos des événements de Clichy Sous-Bois.

Cette formule résume à elle seule tout le désarroi des jeunes des cités confrontés à la banalisation du racisme tant sur le marché du travail que sur le plan du logement social ou des loisirs.

Un constat que vient de confirmer l’étude conduite par Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Patrick Simon [1] dont les résultats rejoignent ceux obtenus en 1991 par le sociologue Eric Maurin qui concluait déjà à cette époque à la montée en force de la « spirale de la précarité » qui frappe en premier lieu la main-d’oeuvre d’origine étrangère. Il calculait un risque de chômage supérieur de 79% pour les Maghrébins par rapport à la référence française et, inférieur de 49% pour les Portugais. Près de vingt ans plus tard, la situation ne s’est guère améliorée. « Les déterminants de cette surexposition à la perte ou à l’absence d’emploi ne relèvent pas tous, poursuit Patrick Simon et al., des caractéristiques personnelles, que ce soit la formation initiale, l’origine sociale, l’âge ou la composition familiale. Toutes choses égales par ailleurs, les écarts atteignent des niveaux impressionnants en ce qui concerne les immigrés d’origine non européenne, et restent élevés pour les deuxièmes générations d’origine maghrébine ou africaine ». Ainsi, les jeunes issus de l’immigration maghrébine souffrent d’un handicap, celui d’être d’origine non européenne, et combien même ils possèdent la nationalité française et les diplômes nécessaires, ils sont confrontés, sur le marché du travail, à une véritable difficulté celle d’accéder à un emploi.

A cette question des origines, un jeune d’origine algérienne, interrogé dans le cadre de notre enquête [2], a le sentiment que son origine algérienne pose problème :

« Bien que citoyen français, on me renvoie toujours à mes origines ethniques... A chaque fois que je recherche un emploi ou que je me présente à quelqu’un on me demande si je suis Algérien, Marocain ou Tunisien. Moi je suis né ici, je suis Français mais dans la tête des Français finalement il n y a aucune différence. Tu es un Arabe, ils te regardent comme quelqu’un qui n’a rien à faire ici, tu es en plus, et de ce fait tu acceptes ton sort. Ils nous dénigrent même cette appartenance de français de seconde zone... J’ai l’impression de revivre le scénario de la colonisation et de la guerre d’Algérie... Comment voulez-vous croire alors au modèle français d’intégration républicaine comme ils disent quand on est systématiquement situé en fonction de la couleur de sa peau, de l’intonation de son nom ou de son accent ». (Patron d’une petite entreprise de transport, 37 ans).

Dans le même ordre d’idées, un autre jeune avocat, que nous avions interviewé, nous confie qu’« il avait envoyé près de deux cents demandes de candidature » et qu’il « n’a obtenu que deux entretiens ». D’une voie traduisant la déception, il s’explique en disant ceci : « il m’était impossible de trouver un stage à ma sortie de l’école des avocats ; j’ai envoyé une centaine de demandes pour effectuer un stage avec un avocat, je n’ai reçu aucune réponse favorable ».

La création de son cabinet d’avocat est ici salvatrice, une sortie de tunnel pour ne pas dire des « ténèbres » car rien ne le disposait à créer son « entreprise » si ce n’est la menace de la précarité et du chômage, aggravée, comme il dit, par un contexte social de banalisation de la discrimination touchant essentiellement les populations issues de l’immigration maghrébine.

La discrimination touche également beaucoup de jeunes apprentis sortis des centres de formation professionnels (CFA) qui se voient refuser des stages et ont du mal à trouver un employeur pour finaliser leur contrat. Parfois, note l’un des jeunes entrepreneurs interviewés, cette discrimination se joue dès les premières démarches pour s’inscrire dans un CFA. « Pour m’inscrire dans un CFA, il fallait que je trouve un employeur qui accepte de me prendre en apprentissage. Le CFA vous fournit une liste de patrons à contacter mais c’est à vous de vous débrouiller pour trouver un employeur. Quand vous habitez le 93 ou Sarcelles et que vous vous appelez Ali ou Mohamed, je peux vous dire que le parcours du combattant commence déjà à cet âge où l’on essaye d’entrer dans le marché du travail. Au début, on se culpabilise mais quand on se rend compte que les jeunes recalés du quartier sont pratiquement tous issus de l’immigration maghrébine ou africaine, alors là on se pose vraiment la question ».

Trouver un stage ou un emploi : un parcours du combattant

Dans son ouvrage « Le monde apprenti » paru en 2003, le sociologue Gilles Moreau souligne, en effet, que parmi les jeunes qui n’arrivent pas à entrer en apprentissage faute d’avoir trouvé une entreprise d’accueil, figure une proportion non négligeable de jeunes issus de l’immigration. Parfois ce sont même les CFA qui dressent des barrages à l’entrée de ces jeunes en apprentissage, en estimant qu’ils font partie de ces catégories de jeunes « stigmatisés » pour lesquels il est difficile de trouver des entreprises d’accueil.

Par conséquent, au lieu de s’attaquer à la racine du mal qu’est la discrimination à l’embauche, certains CFA se contentent, tout simplement, de refuser l’accès de ces jeunes à l’apprentissage en prétextant qu’ils sont difficiles à placer dans des entreprises. Ce constat a été confirmé par un formateur dans un CFA public de la région parisienne qui témoigne des exigences de certains employeurs qui refusent d’embaucher des jeunes issus de l’immigration : « dans la restauration, les entreprises nous font souvent comprendre qu’un apprenti de couleur ou d’origine maghrébine n’a pas sa place dans les emplois en contact direct avec la clientèle » (Le Monde du 8 mars 2006). Un directeur opérationnel d’une grande entreprise d’intérim qui reconnaît que « certains CFA sont connus pour écarter presque systématiquement les candidatures de jeunes issus de l’immigration » (Le Monde du 8 mars 2006). Il est évident qu’en cédant aux exigences discriminatoires des employeurs, les CFA comme les ANPE qui entretiennent des relations avec ce type d’entreprises, font en réalité le jeu de ces employeurs.

Ces derniers qui ne souhaitent pas recruter des personnes d’origine maghrébine ou non européenne d’une façon générale font tout pour repousser les candidats « indésirables ».

Dans son ouvrage « Les jeunes dans la discrimination » paru en 2004, Mohammed Rebzani a classé les annonces des employeurs en trois catégories : dans le premier cas de figure, les annonces sont crues et directes, avec un ton on ne peut plus explicite : une annonce déposée auprès d’une mission locale pour un profil de poste d’employé d’entretien fait mention de cette formule « candidat de race blanche exigé » ; une autre annonce établie par un cabinet de recrutement pour une chaîne d’hypermarchés à la recherche de jeunes diplômés précise (pas Noir, pas Arabe, Asiatique si bonne élocution), etc. Dans le deuxième cas de figure, la formulation s’entoure de quelques précautions mais qui n’enlèvent rien à la finalité de l’intention discriminatoire comme cette annonce reçue par une mission locale de la ville de Lille : « Recherche Français d’origine pour travailler comme employé de nettoyage de voitures en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) » ; une autre annonce pour la recherche de cadres commerciaux du secteur de la vente précise « bonne tête, BCBG, pas typé(e) ». Le terme « typé » est réduit ici à son sens restrictif et qui vise en particulier les Noirs et les Maghrébins. Enfin dans la troisième catégorie, l’auteur classe les annonces dans le registre des symboles que les employeurs imposent aux professionnels de l’ANPE, des agences d’intérim ou des missions locales comme, par exemple, la fameuse formule chère au Front national en référence aux couleurs du drapeau français « BBR » et qui accompagne la rédaction de certaines offres d’emploi. Sont exclus de ces offres non seulement les candidats qui n’ont pas la nationalité française mais aussi tous les Français d’origine étrangère (particulièrement non européenne). Certaines de ces pratiques sont également monnaie courante dans les offices HLM qui instruisent les demandes de logement social émanant des collectivités locales. Si certains professionnels se montrent intransigeants en refusent de tels procédés, d’autres, au contraire, adoptent un comportement laxiste, voire même complaisant sous prétexte qu’ils courent le risque de perdre des employeurs qui iraient négocier les emplois disponibles ailleurs que chez eux.

Des carrières bloquées...

Mais la discrimination ne touche pas seulement ceux qui sont à la recherche d’un emploi, elle frappe aussi ceux qui travaillent mais qui sont confrontés aux difficultés de promotion professionnelle. L’un des entrepreneurs interviewé dans le cadre de notre étude a dû démissionner de son poste de comptable après quinze ans de travail dans la même entreprise en région parisienne ; son patron, nous disait-il, n’a jamais voulu le promouvoir à un poste de responsabilité. « Je ne sais pas si c’est de la discrimination ou pas, toujours est-il, je me pose la question pourquoi je suis toujours au même poste depuis quinze ans alors que certains de mes collègues récemment arrivés dans l’entreprise se voient confiés des postes de responsabilité ? A chaque fois que j’évoquais la question avec mon patron, il essaye de trouver des raisons du style : je ne te vois pas à ces postes de responsabilité, tu es bien où tu es, tu as de la chance d’être encore ici, etc. Rester sur ce poste, c’est comme s’il me faisait une faveur. C’est très dur, je pense que mon origine algérienne le dérange vraiment, je ne sais pas comment exprimer ça. Parfois il me dit que nos clients ne préfèrent pas avoir affaire à des étrangers alors que je suis Français. Le seul avancement que j’ai eu c’est par l’ancienneté, je ne bénéficie d’aucune promotion au choix ou sur proposition de mes chefs de service. J’ai fini par baisser les bras et ne plus espérer quoi que ce soit de cette entreprise. Ça fait très mal quand on a tout donné en quinze ans. J’ai fini par démissionner et songer à créer ma petite entreprise pour échapper à toutes ces humiliations. Je sais que c’est difficile mais au moins je serai mon propre patron ». En effet, en 2001, Ali (appelons le comme ça), grâce à ses petites économies s’est associé à son frère qui tient un restaurant à Paris pour s’occuper, dit-il, encore de la comptabilité de l’établissement, « histoire de prendre du recul » et d’échapper à ce monde du travail fortement oppressant et discriminant.

... aux « illusions » brisées

L’armée n’est pas également épargnée par le problème de discriminations. Selon un rapport du CESPAT [3], les jeunes d’origine maghrébine et, plus particulièrement algérienne, sont nombreux à avoir connu des relations « conflictuelles » avec les cadres de l’armée lors de leur service militaire. Si le rapport ne réfute pas ce constat, il l’attribue en revanche à des causes objectives : problèmes physiques ou psycho-sociologiques (intolérance à la frustration, indiscipline, esprit querelleur, etc.) Mais en aucun cas à l’idée que ces jeunes appelés subissent une maltraitance due principalement à leur appartenance ethnique. Il ne faut pas ignorer le poids de l’histoire dans la construction des représentations sociales et de l’imaginaire collectif où la figure de l’Algérien est souvent réduite à l’image de l’indigène et du rebelle eu égard à la guerre d’Algérie, de l’ouvrier-immigré, figure emblématique du dominé, ou encore celles plus récentes de « jeunes de banlieues », menaçant l’ordre social.

La récente étude conduite, en 2005, par Catherine de Wenden sur « les militaires français issus de l’immigration » souligne la prégnance du phénomène de discrimination que l’encadrement militaire fait subir, de manière parfois violente, aux jeunes recrues d’origine maghrébine. « Pendant mes classes, ils...ils voulaient que je résilie mon contrat... L’encadrement... Parce que la plupart, c’est des vrais racistes et...je peux vous dire que j’ai ramassé, là. C’est clair que moi, j’ai mangé plus que tout le monde. Ils se fixaient bien sur moi, quoi. Quand on était sur le terrain, euh... Ils me prenaient chacun son tour... chacun son tour à la suite, comme ça, ils m’emmenaient faire, euh, pour rire, faire des pompes, faire des conneries, quoi. Pendant que les autres, ils étaient tranquilles. Et ils le voyaient, quoi, et tous ils se demandaient comment je faisais pour tenir... Heureusement que je suis un bon sportif... Quelqu’un de... pas très bien dans sa tête, psychologiquement pas très bien, il aurait craqué, quoi... C’est clair que j’aurai craqué, hein. Ils ont essayé plusieurs fois... » (p.59). Ces différentes formes de discrimination se traduisent aussi pour les jeunes militaires d’origine maghrébine par l’absence de promotion et/ou le blocage de leur carrière comparativement à leurs camarades français de souche ou d’origine européenne. Beaucoup d’entre eux, souligne Catherine de Wenden, ont le sentiment que leur origine maghrébine pose problème et que leur hiérarchie les empêche d’évoluer correctement. « J’ai été bloqué au niveau des promotions sociales ... il y a des gens avec lesquels j’ai fait mes classes, qui sont adjudants, adjudants-chefs. Et ils ne sont pas meilleurs que moi... » (p. 63).

Mais comment prouver qu’on est discriminé ?

Car, au-delà de son sens étymologique, discriminer, ce n’est pas simplement séparer, comme le souligne, à juste titre, Danièle Lochak, mais également « hiérarchiser, traiter plus mal ceux qui, précisément, seront dits victimes d’une discrimination. L’adjectif discriminatoire désigne ainsi exclusivement un acte ou des agissements qui tendent à distinguer un groupe humain ou une personne des autres, à son détriment »
 [4]. Mais comment lutter contre ce qu’il est difficile de prouver ? Du point de vue juridique, et c’est toute la difficulté pour lutter contre les discriminations au travail, une « discrimination qui ne peut être prouvée n’existe tout simplement pas ». La personne qui se dit victime de discrimination ethnique ou « raciale » doit non seulement apporter la preuve de ses propos mais il doit en plus montrer « l’intention discriminatoire » de celui qu’il accuse. Et c’est justement cette question de la preuve, note Véronique de Rudder
 [5], qui paralyse la justice. Prouver qu’on n’a pas été recruté ou qu’on n’a pas eu un déroulement de carrière normal en vertu de son appartenance ethnique, de la consonance de son nom ou de la couleur de sa peau suppose réunir tout un arsenal de preuves qui finit en fin de compte par désarmer les victimes de ces discriminations ainsi que leurs défenseurs (le plus souvent les syndicats ou les associations anti-racistes) confrontés à l’incapacité de réunir toutes les preuves. Même les inspections du travail ne s’aventurent guère sur ce terrain et préfèrent plutôt occulter cette question des discriminations au bénéfice d’autres motivations (harcèlement moral, licenciement abusif, etc.). Malgré le nombre élevé d’appels reçus au cours des deux premières années, le numéro vert 114 (traitement des plaintes) s’est soldé par un double échec : d’abord parce que le dispositif mis en place est relativement inefficace pour faire aboutir les plaintes et apporter des réponses aux attentes des victimes ; ensuite le seul traitement de la plainte ne saurait répondre aux discriminations systématiques difficilement repérables par les victimes elles-mêmes. Les prouver, c’est encore plus difficile car il faut établir l’existence d’une inégalité de traitement et démontrer que cette inégalité repose sur des critères illicites.

Un bilan mitigé de l’intégration républicaine

Qu’ils soient jeunes ou âgés, civils ou militaires, diplômés ou peu qualifiés, hommes ou femmes, les jeunes issus de l’immigration ont le sentiment de subir sur le marché du travail (et certainement dans tous les autres espaces de la vie sociale) une discrimination ou un racisme de plus en plus affiché et banal du fait de leur appartenance ethnique et religieuse. Cela a été illustré par les entrepreneurs que nous avions rencontrés dans le cadre de cette enquête et qui m’ont raconté chacun à sa manière toute l’amertume qu’ils ressentent quand ils voient leurs « copains de promotion », de souche française ou d’origine européenne pour la plupart, accéder rapidement à un emploi qualifié et entamer rapidement une carrière professionnelle alors qu’ils se « défoncent tous les jours à trouver un job ou parfois même un stage » qu’ils n’arrivent jamais à décrocher.

Le bilan de l’intégration républicaine via l’école ne peut être que plus mitigé et tous les discours politiques sur l’égalité des chances ne sont à leurs yeux que des « paroles creuses » puisque sur le terrain ils vivent une autre réalité, plus dure, plus complexe. A diplôme et à statut social égaux, les enfants d’origine maghrébine connaissent davantage des situations de chômage que leurs homologues français de souche. C’est pour échapper à cette triste réalité aggravée par la montée d’un racisme « ordinaire » qu’ils vivent au quotidien que certains ont vu dans la création d’entreprises la voie de la dernière chance d’insertion. C’est également à travers l’entreprise et non plus l’école que certains jeunes issus de l’immigration maghrébine, à l’instar des entrepreneurs que nous étudions, ici, vont tenter de réaliser cette quête acharnée de la mobilité sociale ascendante au prix parfois d’une grande amertume à l’égard du modèle républicain de l’intégration. On comprend alors que des tensions et des malaises puissent résulter d’un tel processus de déclassement et de disqualification sociale qui peuvent trouver dans les émeutes comme celles qu’a vécu Clichy Sous-Bois en novembre 2005 un moyen de s’exprimer.

Mohamed Madoui

Devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève, Doudou Diène,
expert des Nations unies sur le racisme, a critiqué lundi 11 juin la création en France d’un ministère de l’Immigration et de l’identité nationale, affirmant y voir une expression de la "banalisation du racisme" [6].

« Le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, M. Doudou Diène, a pour sa part présenté son rapport sur les plates-formes politiques qui incitent à la discrimination raciale ou l’encouragent ainsi que son rapport sur la mission qu’il a effectuée en juin 2006 en Fédération de Russie. M. Diène a notamment attiré l’attention du Conseil sur deux manifestations croissantes de la banalisation du racisme, à savoir la lecture ethnique et raciale des questions politiques, économiques et sociales et le traitement idéologique et politique de l’immigration comme un enjeu sécuritaire et comme une menace à l’identité nationale. Un exemple en la matière vient d’être donné par la France avec la création d’un Ministère spécifique à cet égard, a-t-il souligné. [...] »

Notes

[1MEURS A., PAILLE A et SIMON P., 2005, Mobilité intergénérationnelle et persistance des inégalités, document de travail n°130, INED.

[2Mohamed Madoui, Enquête sur les entrepreneurs d’origine maghrébine en France, Cahiers internationaux de sociologie, Vol. CXXIII, juillet-décembre, 2007, pp 97-120.

[3CESPAT, Armées et populations à problèmes d’intégration. Le cas des jeunes Français d’origine maghrébine, avril 1990.

[4LOCHAK D., 1987, « Réflexions sur la notion de discrimination », droit social, n° 11, P.13.

[5DE RUDER V., POIRET C. et VOURC’H F., 2000, L’inégalité raciste : l’universalité républicaine à l’épreuve, PUF.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP